Polar Pod en suspens : pour débloquer la situation, Jean-Louis Étienne mise sur l’UNOC

Le projet de station océanographique dérivante autour de l’Antarctique est à l’arrêt depuis des mois, pour cause de différend financier entre l’Ifremer, le maître d’œuvre, et Piriou, le constructeur. Un « grain de sable » que Jean-Louis Etienne, qui porte le projet, espère voir disparaître en juin à Nice, lors de la Conférence des Nations unies sur l’océan, explique-t-il à Mer et Marine.

« J’ai reçu des lettres du MIT (Massachusetts Institute of Technology), de CalTech (California Institute of Technology), de Georgia Tech (Georgia Institute of Technology), des écoles polytechniques de Lausanne et de Zurich, de Chine… Le projet est attendu dans le monde entier, parce que ça n’a jamais été fait ». « Ça », c’est le Polar Pod, le projet de plateforme océanographique verticale et dérivante destinée à explorer l’océan Austral qui encercle l’Antarctique, sur lequel Jean-Louis Etienne travaille depuis 2010. Un projet qui fédère 43 institutions issues de 12 pays, dont le programme scientifique est coordonné par le CNRS, en partenariat avec le CNES et l’Ifremer.

 

95885 Jean-Louis Etienne
© David Becus

 

Après un accord de construction en 2022, il achoppe depuis des mois, à cause « d’une nouvelle boucle de calculs qui implique un complément de financement » demandé par Piriou, le constructeur, et que l’Ifremer, également maître d’œuvre, refuserait de financer, selon Jean-Louis Etienne. Sans s’avancer sur les chiffres, l’« entrepreneur d’expéditions lointaines », comme il se définit lui-même auprès de Mer et Marine, indique que le différend financier « ne représente pas grand-chose par rapport au budget de construction », estimé à 15 millions d’euros (en 2019). Une aide de 28 millions d’euros avait été attribuée par l’Agence nationale de la recherche (ANR) à l’Ifremer pour couvrir la construction du Polar Pod, son acheminement sur le lieu de départ de l’expédition (Afrique du Sud) et contribuer aux essais opérationnels post-chantier.

 

« Nous comptons sur le Président de la République »

 

« C’est un grain de sable dans cette cathédrale », se désole aujourd’hui le porteur du projet, qui estime avoir « tenu [ses] engagements », avec la construction de Persévérance, la goélette de 42 mètres de long pour 11 mètres de large, à la coque en aluminium renforcée pour la navigation polaire, dessinée par Olivier Petit (qui a notamment signé Tara (l’ex-Antarctica de Jean-Louis Etienne), et Simon Watin du cabinet d’architecture navale VPLP. Egalement construit par les chantiers Piriou, le voilier, initialement destiné à jouer le rôle de navire ravitailleur du Polar Pod, enchaîne expéditions et croisières en attendant le déblocage de la situation. 

 

© Illustration Nicolas Gagnon

 

Peut-être aura-t-il lieu à Nice, où Persévérance sera présente, début juin ? C’est en tout cas l’espoir de Jean-Louis Etienne, qui voit dans la Conférence des Nations unies pour l’océan, coorganisée par la France et le Costa Rica, une fenêtre idéale. « Nous comptons sur le Président de la République », indique l’explorateur, qui rappelle l’engagement d’Emmanuel Macron en matière de soutien à la recherche polaire, réaffirmé lors du One Planet – Polar Summit en 2023. Le chef de l’Etat avait alors annoncé porter à un milliard d’euros le montant dévolu à la stratégie polaire française à horizon 2030, comprenant notamment des aides pour la construction et le lancement de Tara Polar Station, baptisée fin avril à Lorient, et pour le Polar Pod. 

 

Soutien à la création d’aires marines protégées

 

En attendant une éventuelle bonne nouvelle, Nice sera en tout cas le point de départ des prochaines expéditions de Persévérance, qui mènera notamment deux campagnes océanographiques en lien avec les aires marines protégées (AMP). « Nous irons sur l’île de Clipperton, possession française dans le Pacifique, pour apporter de la connaissance sur cet écosystème unique confronté à différents enjeux », de la surpêche du thon rouge à l’infestation de l’île par les rats, qui menacent la plus grande colonie mondiale de fous masqués. Objectif de cette mission : soutenir l’extension de l’aire marine protégée de Clipperton, aujourd’hui cantonnée à ses eaux territoriales, jusqu’aux 200 milles de sa zone économique exclusive.

 

© Francis Latreille

 

Puis la goélette prendra la direction de l’Antarctique, avec une première étape en mer de Ross, l’une des deux aires marines protégées de la zone, puis une seconde en mer Dumont d’Urville. « Nos différentes recherches serviront à appuyer la Principauté de Monaco, la France, l’Union européenne et l’Australie qui militent pour la création d’une AMP dans cette zone particulièrement concernée par la surpêche au krill », ce petit crustacé à la base de la chaîne alimentaire polaire, très convoité par l’industrie de l’alimentation humaine et animale pour sa haute teneur en vitamines et protéines.

 

Acteur de la recherche océanographique

 

Avec ces contributions à la connaissance scientifique et bien qu’il n’ait pas été spécifiquement conçu à cette fin, le futur navire ravitailleur de Polar Pod se positionne très clairement comme un acteur de la recherche océanographique, notamment en zone polaire. « Nous disposons désormais d’une multitude de capteurs embarqués et d’équipements océanographiques, qui permettent de couvrir de larges champs de la recherche », confirme Jean-Louis Etienne, qui dit répondre à la demande de la communauté scientifique, « très intéressée par les zones où nous nous rendons, parce qu’elles sont très peu étudiées ». 

 

© Francis Latreille

 

L’explorateur confie également à Mer et Marine être en discussion avec la Flotte océanographique française, engagée dans une démarche de décarbonation de ses activités. « Un navire de recherche consomme entre 22 et 27 tonnes de fioul par jour, quand Persévérance consomme une tonne au moteur, et 0.5 tonne sous voile ». Equipée d’un pot catalytique pour réduire les émissions de particules fines, la goélette est également dotée d’un traitement des échappements à l’urée pour réduire les émissions nocives d’oxyde d’azote (IMO Tier III). 

Pour Jean-Louis Etienne, le navire va tout simplement « dans le sens de l’évolution de la recherche ». C’est aussi vrai des partenariats publics-privés, en plein essor dans le secteur de la recherche océanographique, et dans lequel il s’inscrit. « Tous nos contrats de partenariat et de mécénat sont visés par l’Agence nationale de la recherche », tient-il à préciser, dans l’espoir de rassurer les (nombreux) scientifiques qui n’adhèrent pas à cette tendance.

Source : Mer&Marine