Plus loin, plus longtemps : les baleines bouclent 2024 avec un double record
10 janvier 2025
10 janvier 2025
Alors qu’une baleine à bosse a réalisé une migration de plus de 13 000 kilomètres, certaines baleines franches affichent une durée de vie « naturelle » de plus de cent trente ans.
Elles s’étaient faites plutôt discrètes en cette année 2024. Pas de découvertes majeures, ni d’exploit retentissant à savourer. Saison blanche pour les baleines. Mais cette plongée en eaux anonymes n’était qu’un prélude à deux bonds spectaculaires. Le 11 décembre 2024, une équipe internationale a annoncé dans la revue Royal Society Open Science qu’une baleine à bosse avait réalisé une migration de plus de 13 000 kilomètres, pulvérisant le précédent record qui était de 10 000 kilomètres. Le 20 décembre 2024, trois écologues ont estimé dans la revue Science Advances, chiffres à l’appui, que la longévité extrême chez les baleines franches australes était « la règle, pas une exception », avec 10 % d’individus dépassant les 131 ans. Les chiffres impressionnent mais, avec ces géants des mers, on y est habitué. Surtout, ces records apportent l’un comme l’autre un nouveau regard sur ces animaux emblématiques mais mal connus.
Prenons la baleine à bosse. Depuis des siècles, les scientifiques observent ses migrations nord-sud un peu partout sur le globe. Un individu peut, par exemple, passer l’hiver en Colombie, s’y reproduire, puis filer, en été, vers l’Antarctique pour amasser des réserves de krill. Un voyage d’environ 6 000 kilomètres. Idem dans l’hémisphère Nord entre Hawaï et l’océan Arctique. Des itinéraires largement balisés. Mais se pouvait-il que certains individus en sortent ? En 2010, des chercheurs ont identifié au large de Madagascar une femelle photographiée deux ans auparavant dans les eaux brésiliennes. La dame avait donc piqué au sud, puis navigué vers l’est pour remonter de l’autre côté de l’Afrique. En tout, 10 000 kilomètres.
Cette fois, c’est dans le canal de Zanzibar qu’Ekaterina Kalashnikova (du Tanzania Cetaceans Program, également première signataire de l’article paru dans Royal Society Open Science) et ses collègues ont repéré, en août 2022, un mâle déjà connu de leurs services. L’animal avait en e et été observé à deux reprises, en 2010 et en 2013, en Colombie. Les photos de sa queue avaient été intégrées dans la base Happywhale.com. Le site, créé il y a quinze ans, rassemble 900 000 photos de nageoires caudales prises par des amateurs comme des professionnels. L’équivalent, pour les cétacés, de nos empreintes digitales. Et le logiciel a fait le travail, révélant au passage un nouveau record : 13 046 kilomètres. En e et, l’animal a dû longer toute la côte sud-américaine, franchir le cap Horn, poursuivre vers l’est,
dépasser le cap de Bonne-Espérance avant de virer vers le nord et sa nouvelle destination, sur le bord oriental de l’Afrique.
Un tel périple implique que l’animal ait changé de « pod », ce groupe social qui structure la vie des baleines et reproduit chaque année le même itinéraire. La raison ? Possiblement la quête d’une femelle disponible, estiment les auteurs de l’article. Mais « le changement climatique global et un environnement altéré peuvent aussi expliquer cette exploration inhabituelle d’un nouvel habitat », ajoutent-ils. Une variété d’hypothèses qu’apprécie la cétologue Fabienne Delfour, chercheuse associée à l’ILCB d’Aix-Marseille Université. « L’étude révèle la plasticité comportementale de ces animaux, ajoute-t-elle, et ça, c’est une bonne nouvelle compte tenu des dé s qui les attendent : changement
climatique, pollutions, tra c maritime… »
L’autre performance établie en 2024 par les baleines s’appuie là encore sur les bases d’images. Greg Breed (université d’Alaska, Etats-Unis) et ses collègues ont analysé toutes les données de « recapture » de baleines franches réalisées depuis plus de quarante ans. Autrement dit les individus revus. Ils ont ensuite utilisé de nouveaux modèles démographiques qui permettent de mieux estimer la structure des populations. Résultat : les baleines franches australes (Eubalaena australis) a chent une durée de vie médiane de soixante-quatorze ans, avec 10 % d’individus qui dépasseraient les 131 ans.
Une surprise de taille au pays des grands cétacés. Jusqu’ici, la baleine boréale (Balaena mysticetus) était vue comme une exception, elle qui dépasse régulièrement le cap des 150 ans. Plus étonnant encore, les baleines franches de l’Atlantique Nord (Eubalaena glacialis) se contentent d’une durée de vie médiane de vingt-deux ans, avec seulement les 10 % les plus âgées qui atteignent 47 ans. « Biologiquement, elles sont pratiquement identiques, rappelle Greg Breed. La di érence ne tient qu’à la mortalité induite par les humains. » Collisions avec les navires, prises accidentelles dans les lets des pêcheurs : alors que les populations de baleines augmentent globalement depuis trente ans, celle de baleines franches de l’Atlantique Nord s’e ondre. Elles étaient 20 000 au début du XXe siècle, il n’en restait que 373 en 2023. Encore un record, triste celui-là.