Plus grand que la Nouvelle-Aquitaine et ses 84 000 km² ! La Science veut prouver l’existence des gigantesques “mers laiteuses” qui hantent les marins depuis 400 ans
9 mai 2025
9 mai 2025
Depuis des siècles, les marins racontaient des histoires d’eaux mystérieusement illuminées en pleine nuit, des « mers laiteuses » si brillantes qu’on pouvait y lire un livre sans lampe. Des légendes maritimes ? Pas du tout. Grâce à une collaboration entre l’université du Colorado et le NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration), la science dispose désormais d’une base de données précise couvrant 400 ans d’observations pour prouver son existence.
Ce registre associe 240 témoignages fiables à des images satellites modernes capables de détecter les plus faibles lueurs sur Terre pour une carte mondiale des mers fantomatiques… et quelques surprises sur leur comportement.
En analysant cette masse d’informations, une évidence saute aux yeux : près de 60 % des mers laiteuses connues apparaissent entre la Somalie, l’île de Socotra au Yémen et les Maldives.
Un second foyer se dessine autour des mers de Java et Banda, en Indonésie. Ce n’est donc pas un hasard du calendrier si les plus anciens récits nous viennent d’explorateurs naviguant sur ces routes.
Les chercheurs ont aussi relevé un lien net avec deux grands oscillations climatiques : le dipôle de l’océan Indien et le phénomène El Niño. Quand ceux-ci injectent de l’eau chaude et riche en nutriments en surface, la probabilité de voir une mer laiteuse grimpe en flèche.
À la différence des éclats bleus éphémères produits par le plancton classique sur nos côtes, ici, l’éclat est uniforme, d’un blanc ou d’un vert pâle, couvrant parfois des surfaces supérieures à 100 000 km² (plus grand que la Nouvelle Aquitaine et ses 84 000 km²).
Imaginez une nappe lumineuse aussi vaste qu’un pays comme l’Islande, et suffisamment intense pour être repérée par des satellites spécialisés dans la capture de faibles lumières.
Le coupable présumé s’appelle Vibrio harveyi, une bactérie marine bioluminescente qui, en atteignant une densité critique, déclenche collectivement son “interrupteur” lumineux. Ce phénomène porte un nom : le quorum sensing. Pour l’instant, seule une expédition scientifique en 1985 a réussi à échantillonner une mer laiteuse.
Sous son aspect féerique, la mer laiteuse pourrait cacher un rôle discret mais puissant dans le cycle du carbone océanique. En coïncidant avec des zones d’upwelling (remontées d’eaux profondes riches en nutriments), ces événements pourraient accélérer le transfert de matière organique vers les abysses, avec des conséquences sur la séquestration du carbone, et donc, à terme, sur le climat mondial.
Reste une question pendante : ces épisodes sont-ils le signe d’un écosystème dynamique ou au contraire d’un déséquilibre inquiétant ? Certaines souches de Vibrio sont effet nocives pour les poissons et crustacés.
Pendant 400 ans, ces eaux étranges n’ont vécu que dans les récits de marins. Désormais, elles entrent dans les modèles climatiques grâce à des archives scrupuleusement recoupées : journaux de bord du XVIIᵉ siècle, relevés d’observateurs marins, données satellitaires modernes…
Cette compilation inédite fournit aux chercheurs des positions précises, des notes météorologiques et même des descriptions comportementales des mers laiteuses, offrant enfin un pont entre le folklore et la physique.
La prochaine étape pourrait être décisive puisqu’elle consiste à organiser une expédition rapide et coordonnée pour échantillonner une mer laiteuse PENDANT son activité.
Les scientifiques espèrent ainsi analyser l’oxygène dissous, identifier les espèces planctoniques impliquées, mesurer la chimie locale et obtenir l’ADN des bactéries bioluminescentes.
Ces analyses sont indispensables pour répondre à plusieurs interrogations : qu’est-ce qui déclenche vraiment cette lumière ? Quel est son impact sur les réseaux trophiques locaux ? Et peut-elle devenir un indicateur naturel de l’évolution du climat ?
Surtout que ces régions coïncident avec des zones de biodiversité marine exceptionnelle et des pêcheries vitales pour plusieurs économies. Comprendre les mers laiteuses, c’est aussi mieux protéger l’équilibre fragile entre humanité et océan.