Plus de la moitié des lacs, des réservoirs et des mers intérieures dans le monde perdent de l’eau

 

La diminution de la ressource en eau douce est à la fois due au changement climatique et aux activités humaines, selon une étude parue dans « Science ».

Plus de la moitié des grands plans d’eau naturels et artificiels dans le monde ont vu leur volume se réduire au cours de ces trois dernières décennies, sous l’effet du changement climatique et des activités humaines, principalement l’irrigation agricole et la production d’énergie, selon une étude parue dans Science le 19 mai.

Les pertes sont considérables : en intégrant à leur recherche les volumes stockés dans les réservoirs artificiels importants, les auteurs concluent que les baisses nettes cumulées atteignent 21,51 gigatonnes (Gt) par an (avec une incertitude de plus ou moins 2,54 Gt), soit l’équivalent de tout ce que les Etats-Unis ont consommé durant l’année 2015. Ce sont donc 602,28 milliards de mètres cubes (m3) littéralement évaporés, prélevés, détournés ou manquants faute d’avoir été apportés par des rivières épuisées.

Les réductions de la ressource dans les grands lacs entre 1992 et 2020 excèdent même ces chiffres astronomiques, mais des gains importants enregistrés par certains d’entre eux compensent une partie des pertes dans l’évaluation globale. Au total, 53 % de ces plans d’eau déclinent de façon « significative », écrivent les chercheurs, tandis que 24 % sont au contraire davantage remplis qu’il y a trente ans. Ces derniers se trouvent dans des zones reculées ou peu peuplées comme le plateau du Tibet et les grandes plaines du nord de l’Amérique du Nord. L’est de l’Afrique connaît pour sa part un retournement de tendance dû à des précipitations très abondantes.

 

Accumulation de sédiments

 

Quelques plans d’eau immenses pèsent lourdement dans le déclin global. C’est le cas de la mer Caspienne en particulier, mais aussi de celle d’Aral, des lacs Goud-e Zareh en Afghanistan, d’Ourmia en Iran, Mar Chiquita en Argentine…. Cependant l’assèchement est à l’œuvre tout autour du globe : de l’Arctique à l’Australie, en passant par l’Asie centrale, le Proche-Orient, l’ouest de l’Inde, l’est de la Chine, le nord et l’est de l’Europe, l’Océanie, les Etats-Unis, le nord du Canada, le sud de l’Amérique du Sud, de l’Afrique… Pire encore, ce sont les régions déjà arides qui sont les plus durement touchées. Environ 60 % de leurs stockages ont baissé de façon très nette, surtout les lacs qui perdent 25,9 Gt par an, mais aussi les réservoirs (– 5,3 Gt par an).  Dans le monde, les deux tiers de ces importantes retenues enregistrent elles aussi des volumes en baisse, bien que 20 % d’entre elles connaissent de fortes augmentations liées à la construction de nouveaux barrages. C’est l’accumulation de sédiments qui explique très largement ces pertes de volumes. Une étude canadienne publiée en décembre 2022 a pour la première fois souligné l’ampleur du problème qu’elle a analysé à partir de 47 000 grands barrages implantés dans 150 pays.

Les auteurs en ont conclu que les principales régions du monde ont déjà perdu pour cette raison 13 % à 16 % de leur capacité de stockage et que ce phénomène pourrait atteindre 26 % d’ici 2050. Apport des satellites L’équipe de chercheurs internationaux – notamment de l’université du Colarado – qui publie l’étude dans Science a, elle, étudié 1 051 grands lacs (d’une superficie comprise entre 100 et 377 kilomètres carrés) et 921 réservoirs (de 4 à 67 kilomètres carrés), soit respectivement 96 % et 83 % de la totalité des volumes stockés. C’est exceptionnel. Car même s’ils contiennent 87 % de l’eau douce de la planète, les lacs qui n’en occupent que 3 % de la superficie, n’ont guère suscité d’études exhaustives jusqu’à présent.

Ce n’est pas qu’ils étaient négligés, mais on manquait de moyens, avance Jean-François Cretaux, chercheur au Laboratoire d’études en géophysique et océanographie spatiales/CNRS, qui a contribué à cette étude. Grâce à l’apport des satellites et à des moyens de calcul considérables, nous avons pu produire cette analyse à la fois globale et fine, qui n’aurait pas été possible il y a encore quatre ou cinq ans. »

Avec le lancement il y a cinq mois du satellite SWOT (Surface Water Ocean Topography) actuellement en mission pour le Centre national d’études spatiales et la NASA, Jean-François Cretaux promet que les millions de petits lacs de la planète seront à leur tour passés au crible dans les prochaines années. Ces nouvelles données pourraient intégrer les modèles climatiques à terme. Hausse des températures Pour ce travail-ci, les chercheurs ont agrégé près de 249 000 images par satellite et quantité de données météorologiques, sur l’évaporation de l’humidité des sols et la transpiration des végétaux, sur les ruissellements et les écoulements, sur l’irrigation aussi. Ainsi ont-ils pu estimer la part respective des responsabilités dans le déclin de la ressource hydrique à la surface de la Terre. 

La hausse des températures et l’évapotranspiration sont majoritairement impliquées dans l’absence d’eau du lac Goud-e Zareh en Afghanistan ou l’assèchement marqué des lacs Khyargas en Mongolie et Zonag en Chine. Ceux de l’Arctique pâtissent d’une combinaison de facteurs : changements du régime des précipitations, des ruissellements, des températures et à nouveau augmentation de l’évapotranspiration. L’étude glisse aussi quelques cas caractéristiques de prélèvements inconsidérés qui ont conduit au rétrécissement de la mer d’Aral et de celle de Salton en Californie, de Mar Chiquita, de la mer Morte, entre autres. Elle souligne a contrario l’exemple du lac Sevan en Arménie, qui a pu redresser la situation grâce à des efforts de conservation et de sobriété entrepris dans les années 2000. C’est l’unique note d’espoir cité.

Martine Valo

Source: Le Monde