Plongée en Afrique du Sud : l’océan apprivoisé par des écoliers des quartiers défavorisés
6 décembre 2024
6 décembre 2024
Le soleil est éclatant en ce début d’hiver austral. Pourtant, l’eau est glacée. Sherizma Adonis prend une grande inspiration. La fillette de 12 ans plonge la tête sous les vagues cristallines de False Bay. Nous sommes à Miller’s Point, dans l’est de la péninsule sud-africaine du Cap, dans des eaux brassées par les océans Atlantique et Indien. La mer s’infiltre dans le masque et le tuba de Sherizma, s’engouffre dans son cou, sous sa combinaison de plongée mal ajustée. Mais l’écolière n’en a cure : elle se laisse flotter, paisible, comme trois de ses camarades de classe, la main posée sur une bouée. Autour d’eux, les cris des mouettes et le roulis des vagues et, sous la surface, le « chant » du corail, subtil crépitement qui émane des récifs pleins de vie. Peu à peu, sous les yeux fascinés des enfants, se dessine une incroyable forêt sous-marine. De longues tiges de varech ondulent dans les rayons ocre qui percent la surface. « Je ne savais pas qu’il y avait des arbres sous la mer! », s’émerveille l’une des jeunes filles, sortant la tête de l’eau, sourire béat aux lèvres. Des oursins orange ou violets, des anémones et des coquillages iridescents recouvrent le fond marin. Des bancs de poissons argentés glissent avec grâce entre les rochers. Mais quand un requin-pyjama (Poroderma africanum) au dos rayé se faufile entre ses jambes, Sherizma sort de l’enchantement et boit la tasse.
L’atelier de plongée auquel ces enfants de communautés côtières défavorisées de la région du Cap participent a pour but de les familiariser, deux jours durant, avec l’océan. L’association I Am Water, fondée en 2010 par Hanli Prinsloo, une ancienne championne sud-africaine de plongée en apnée, s’est donné pour mission de réparer la relation de ces jeunes à l’océan. Dans ce pays prisé des surfeurs, les plaisirs de la natation restent inaccessibles à la plupart des habitants : seuls 15 % des Sud-Africains savent nager, d’après le National Sea Rescue Institute, dans un pays qui compte pourtant 2000 kilomètres de côtes… Une réalité en partie héritée de l’histoire douloureuse du pays. Les vagues de colonisation successives, puis le régime raciste d’apartheid (1948-1991), ont déplacé de nombreuses communautés côtières non-blanches loin de l’océan. À partir des années 1960, les plages – comme le reste de l’espace public – ont été soumises au système de ségrégation raciale, les meilleurs lieux de baignade étant réservés à la minorité blanche et les zones plus dangereuses reléguées au reste de la population. L’apartheid a pris fin en 1991, et pourtant… « Il y a toujours un traumatisme transgénérationnel, analyse l’anthropologue Rose Boswell, spécialiste des cultures et du patrimoine océaniques à l’université Nelson-Mandela de Port-Elizabeth. Les expériences et les souffrances vécues par la génération antérieure se sont en partie transmises aux générations suivantes. »
La plupart des élèves de l’école primaire mixte Downeville, comme Sherizma Adonis, qui participent à l’atelier, vivent à Manenberg, un township de la banlieue du Cap, à une quinzaine de kilomètres des plages prisées par les touristes. Le sol sec de leur quartier tranche avec le sable blanc de Miller’s Point. Durant l’apartheid, Manenberg avait été désignée comme une zone d’habitation exclusive pour les personnes classifiées « Coloured » – une catégorie regroupant les métis, groupe issu du mélange d’Européens et des communautés autochtones khoi et san, mais aussi d’esclaves originaires d’Asie du Sud-Est. À l’époque, les familles coloured, expulsées des quartiers multiculturels du centre-ville et de la côte, furent relogées de force dans des immeubles gris et des maisons étroites, construits à la va-vite à l’est de la ville du Cap. Cette zone, les Cape Flats (la plaine du Cap), était « dépourvue à l’origine de toute infrastructure et régulièrement en proie aux inondations », précise Rose Boswell.