C’est une raison de plus pour encadrer strictement, voire interdire, le chalutage de fond. On savait que cette technique de pêche contestée, qui consiste à racler les fonds océaniques avec d’immenses filets pour ramasser les poissons, attrape tout et trop, et détériore les habitats marins, mais ce n’est pas tout. Une étude scientifique publiée ce jeudi 18 janvier dans la revue Frontiers in Marine Science avertit que cette pratique contribue à libérer du CO2 en masse. Elle serait «responsable de l’injection de jusqu’à 370 millions de tonnes de dioxyde de carbone dans l’atmosphère chaque année», affirment ses auteurs américains et australiens dans un communiqué. Dans leur étude, ces derniers précisent que c’est le «double de l’estimation des émissions annuelles dues à la combustion de carburant pour l’ensemble de la flotte de pêche mondiale». La plus grande empreinte climatique provient du chalutage dans l’est de la Chine, la mer Baltique, la mer du Nord ainsi que dans la mer du Groenland.
Des émissions non comptabilisées par les pays
Les océans sont nos alliés dans la lutte contre le changement climatique. Ces puits de carbone engloutissent près de 30 % des émissions de CO2 libérées dans l’atmosphère. Mais le passage des filets dans les profondeurs remet en suspension une partie du carbone enfoui dans les sédiments du plancher océanique. «Ce n’est que récemment que nous avons découvert que le chalutage de fond libère des panaches de carbone, qui autrement seraient stockés en toute sécurité pendant des millénaires dans le fond des océans», explique Trisha Atwood, de l’Université d’Etat de l’Utah.
Fondé sur des données concernant le chalutage de fond à l’échelle mondiale entre 1996 et 2020, l’article révèle que 55 % à 60 % du dioxyde de carbone ainsi soulevé remonte à la surface et se retrouve dans l’atmosphère dans un délai de neuf ans. En s’échappant, il contribue ainsi au changement climatique. Un phénomène inquiétant alors que l’humanité s’efforce de réduire ses émissions. «A l’heure actuelle, les pays ne tiennent pas compte des émissions de carbone importantes du chalutage de fond dans leurs plans d’action climatique», relève l’ancien universitaire et explorateur Enric Sala.
L’étude précise aussi que l’autre partie du CO2 soulevé, soit 40 % à 45 %, se dissout dans l’eau et renforce l’acidification des océans. Une mauvaise nouvelle pour certaines espèces marines, car ce changement de pH perturbe le métabolisme et la structure des coquilles et autres squelettes. «Cette acidité accrue endommage la vie végétale et animale de la zone où se déroule l’activité de pêche», concluent les scientifiques.
Des zones «chalutées plus de dix fois par an»
Ces derniers insistent sur le fait que les responsables politiques auraient tout intérêt à s’emparer de ces résultats. L’étude suggère qu’éliminer ou limiter les effets néfastes du chalutage de fond permettraient d’émettre moins de CO2, «avec des bénéfices maximaux survenant sept à neuf ans après la mise en œuvre», et ainsi limiter le réchauffement climatique tout en préservant la biodiversité. «Cette étude est une bille de plus pour diaboliser le chalut qui est déjà l’engin de pêche le plus désastreux, ça n’a aucune place dans les océans et encore moins dans les aires marines protégées», réagit Nicolas Fournier, directeur de campagne de l’association environnementale Oceana Europe.
En France, l’interdiction de cette pratique est loin d’être actée. La Commission européenne a rendu public début 2023 un plan d’action pour «protéger et restaurer les écosystèmes marins pour une pêche durable et résiliente» dans lequel elle appelle justement à la suppression de méthodes de pêche néfastes (chaluts, dragues, sennes…) au sein des aires marines protégées d’ici 2030. «Actuellement, 79 % des fonds marins côtiers sont considérés comme physiquement perturbés, principalement à cause du chalutage de fond, et un quart de la zone côtière de l’UE a probablement perdu ses habitats marins. Les zones les plus intensément pêchées sont chalutées plus de dix fois par an», exposait-elle. Mais le secrétaire d’Etat français chargé de la Mer, Hervé Berville – on ignore encore s’il sera reconduit au gouvernement –, refuse d’interdire les chalutiers de fonds dans ces zones censées protéger la biodiversité. Une position qui fait bondir ONG et scientifiques.
Le Parlement européen ne semble pas non plus vouloir aller dans la direction de la Commission européenne. Ce jeudi, il a validé en séance plénière un rapport concocté par sa commission de la pêche qui se prononce sur le plan proposé et torpille notamment la volonté d’interdire les chaluts dans les aires protégées. Ce vote, non contraignant, signe la position finale du Parlement concernant le plan de la Commission. «Il s’agit d’un retour en arrière. C’est pour nous une mauvaise journée qui envoie un signal politique déplorable avant les élections européennes», regrette Nicolas Fournier. Et de signaler que la Commission peut toujours poursuivre les pays européens qui ne respectent pas leurs obligations.
Source: Libération