Paul Watson : comment le Danemark a manœuvré pour rendre sa liberté au défenseur des baleines

 

La défense des baleines a gagné, l’Europe peut-être aussi un peu. En refusant mardi 17 décembre d’extrader vers le Japon le célèbre protecteur des cétacés Paul Watson, le gouvernement danois est sorti par le haut du bourbier diplomatique où il se trouvait plongé depuis bientôt cinq mois. Alors que le Danemark doit prendre la présidence tournante de l’Union européenne en juillet 2025, Copenhague « sauve l’honneur de l’Europe », s’est exclamé William Bourdon, l’un des avocats de M. Watson. Si l’extradition avait été acceptée, la défense avait prévenu qu’elle saisirait la Cour suprême danoise, mais également la Cour européenne des droits de l’homme en procédure d’urgence.

Le fondateur de l’ONG Sea Shepherd (« berger de la mer »), libéré en tout début de matinée, a aussitôt porté plainte en diffamation auprès du tribunal judiciaire de Paris contre le député européen allemand d’extrême droite Siegbert Droese (Alternative pour l’Allemagne), qui l’avait traité d’« écoterroriste » à l’occasion d’un débat au Parlement européen, au mois de septembre. A sa sortie de prison, le vieux marin s’est déclaré heureux de pouvoir « rentrer à la maison pour Noël », dans une vidéo publiée sur les réseaux sociaux par la Captain Paul Watson Foundation, structure qu’il a lancée après s’être brouillé avec la maison mère de Sea Shepherd.

« Quel soulagement ! Je salue la libération de Paul Watson, après cent quarante-neuf jours de détention au Danemark. Bon retour à lui parmi les siens. La mobilisation collective a payé », s’est félicité sur X la ministre française de la transition écologique démissionnaire, Agnès Pannier-Runacher. L’ancien détenu, qui bénéficie de nombreux soutiens en France, a assuré être « très en forme » et s’est félicité que son arrestation ait « attiré l’attention de la communauté internationale sur la poursuite des opérations illégales de chasse à la baleine par le Japon ». Il avait été interpellé le 21 juillet dans le port de Nuuk, au Groenland, où les autorités avaient été prévenues de son arrivée par la police des îles Féroé, territoire autonome danois pratiquant la chasse à la baleine. Autre territoire autonome danois, le Groenland se trouvait sur la route du John-Paul-DeJoria, le navire de M. Watson qui partait intercepter un navire usine baleinier nippon flambant neuf.

« Un argument technique astucieux »

Le ministère de la justice danois a mis fin à cet imbroglio en mettant en avant un motif subtil. Il a refusé l’extradition en raison du temps écoulé depuis les faits reprochés à l’intéressé, plus de quatorze ans, et en raison de la nature de ces faits, des « dommages et blessures » causés par une boule puante qui aurait blessé un marin, lors d’une opération visant à stopper l’activité d’un baleinier japonais en 2010. Mais il s’est surtout appuyé sur l’absence de « certitude nécessaire » que la durée de détention de l’activiste américano-canadien au Groenland « serait intégralement déduite d’une éventuelle peine privative de liberté à laquelle Paul Watson aurait dû être condamné au Japon », s’il y avait eu extradition. Le militant y était passible de quinze ans d’emprisonnement.

« Le Danemark a trouvé un argument technique astucieux pour ne pas donner satisfaction au Japon, sans l’humilier », analyse M. Bourdon. « C’est une manière pour le ministère de la justice danois d’éviter toute mise en question du système judiciaire et pénitentiaire japonais, tout en s’abstenant de prendre réellement position sur le fond », estime pour sa part Jonas Christoffersen, avocat danois de M. Watson. Dans un communiqué, le ministre de la justice danois Peter Hummelgaard (social-démocrate) a en effet tenu à préciser que le refus de l’extradition « ne signifie pas que le Danemark partage les préoccupations qui ont été exprimées dans certains milieux au sujet du système juridique japonais et de la protection des droits de l’homme au Japon dans le cadre de cette affaire spécifique ». Il a ajouté que le Japon est « une société démocratique régie par l’Etat de droit, qui respecte les droits de l’homme fondamentaux ».

« Massacre industriel maquillé en recherche scientifique »

Tokyo, ainsi, ne perd pas la face. Le Danemark s’ôte une grosse épine du pied. Et les partisans de l’action directe dans l’engagement pour la planète y trouvent leur compte. « Sea Shepherd marche sur une ligne très fine lorsqu’il s’agit de la loi, mais qu’importe la finesse de la ligne tant qu’on ne la franchit pas, non ? », avait déclaré Paul Watson dans une interview accordée depuis sa cellule à M Le magazine du Monde, le 13 novembre. « Le Japon a tenté de faire taire un homme dont le seul crime est d’avoir dénoncé l’illégalité du massacre industriel maquillé en recherche scientifique. Paul Watson va pouvoir reprendre son action pour le respect de la nature, qui est aussi un combat pour l’humanité et la justice », a déclaré un autre de ses avocats, François Zimeray, ancien ambassadeur de France à Copenhague.

M. Watson, qui a fêté ses 74 ans derrière les barreaux, le 2 décembre, devrait très rapidement rejoindre la France, où il a récemment demandé l’asile politique et la nationalité française. Il réside depuis deux ans, avec femme et enfants, tantôt à Paris, tantôt à Marseille. A Nuuk, son départ est vécu comme un soulagement. « Le Groenland s’était senti piégé par cette affaire, il s’est retrouvé objet de critiques dans le monde entier alors que c’est le gouvernement danois qui avait la main sur ce prisonnier encombrant », note le chercheur Ulrik Pram Gad, spécialiste de l’Arctique à l’Institut danois d’études internationales. Aux Féroé, la réaction à la libération du militant écologiste est plus mitigée. « Là-bas, les relations avec Paul Watson ont toujours été très tendues, mais personne ne l’y a jamais poursuivi en justice. On préférait lui demander de s’en aller… »

Le défenseur des baleines n’en a pas pour autant terminé avec la justice. Il va maintenant devoir attaquer la « notice rouge » d’Interpol émise contre lui par le Japon en 2012, ainsi que le mandat d’arrêt japonais. Le prix à payer pour pouvoir voyager à nouveau partout dans le monde librement.

Source: Le Monde