Où placer les parcs éoliens et les aires marines protégées ? Emmanuel Macron lance le débat sur l’aménagement du littoral

Dans un discours prononcé mardi à Nantes, le chef de l’Etat a fait part de ses ambitions pour les usages des côtes françaises et invité le public à prendre part à la réflexion.

A quoi ressembleront les côtes françaises dans vingt ou trente ans ? Où se situeront les nouvelles activités de tourisme, les aires réservées à la conservation de la nature, les zones militaires ou celles d’extraction de sable marin ? Emmanuel Macron a invité les Français, mardi 28 novembre, lors d’un discours aux Assises économiques de la mer, à Nantes, à prendre part à cette réflexion.

Cette séquence de démocratie participative, intitulée « La mer en débat », aura lieu dans le cadre de la grande consultation qui s’est ouverte, le 20 novembre, sous la houlette de la Commission nationale du débat public et s’étendra jusqu’à fin avril 2024. « Les mers et les océans, c’est là que se bâtit une part de notre avenir, on a devant nous un agenda pour les décennies qui viennent », a déclaré le chef de l’Etat à Nantes.

Officiellement, cette consultation découpée en quatre – une partie pour chaque façade maritime métropolitaine – doit permettre de s’interroger sur la cohabitation, voire la superposition, de multiples activités sur le littoral : tourisme, ports, routes navales, pêche, construction navale, aires réservées à la conservation de la nature, zones militaires, extraction de matériaux… Dans les faits, elle va surtout permettre d’avancer sur le déploiement des éoliennes, dont Emmanuel Macron souhaite faire la deuxième source de production d’électricité, après le nucléaire.

Le chef de l’Etat a annoncé qu’il comptait sur les taxes dégagées par ces parcs énergétiques pour servir de levier financier à la modernisation du secteur de la pêche. Si ce chantier avance aussi rapidement qu’espéré par le gouvernement, ce sont 700 millions d’euros qui pourraient aller à la transition du secteur vers des pratiques plus durables et des bateaux moins émetteurs de gaz à effet de serre. En dépit de cette annonce, Emmanuel Macron a tout de même promis à Nantes qu’il prolongeait l’aide au carburant pour la pêche de 20 centimes par litre jusqu’en juin 2024.

« Carences graves »

Afin de contribuer à la neutralité carbone du pays aux alentours de 2050, une cinquantaine de parcs éoliens devront produire 40 GW à cet horizon. Le chef de l’Etat a évoqué un appel d’offres permettant de produire 10 GW dès 2035. Où seront-ils installés ? La réponse est attendue dès la fin de 2024 sous forme de carte, à l’issue de la consultation. L’enjeu est de taille, car la loi sur l’accélération de la production des énergies renouvelables du 10 mars permet de « mutualiser les débats publics ». Il n’y aura donc plus, ensuite, de discussions publiques locales sur chacun des parcs. Une fois ce débat terminé, la planification pourra être adoptée pour les dix prochaines années. Quatre associations de défense de la nature s’en sont déjà émues. Le 20 novembre, Sea Shepherd France, Gardez les caps, Défense des milieux aquatiques et Wild Legal ont adressé au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires un courrier, prélude à un probable recours auprès du tribunal administratif de Paris, demandant un moratoire au nom de la préservation de la biodiversité, singulièrement celle des oiseaux marins. Elles veulent dénoncer les « carences graves relevées par les scientifiques dans la stratégie de déploiement de cette source d’énergie sur nos littoraux ».

« C’est notre façon de prendre position dans le débat public qui démarre », observe Marine Calmet, présidente de Wild Legal. Newsletter « Chaleur humaine » Comment faire face au défi climatique ? Chaque semaine, nos meilleurs articles sur le sujet S’inscrire Les discussions programmées sur le terrain pendant quatre mois se veulent une déclinaison opérationnelle de la stratégie nationale mer et littoral 2030, qui doit être prochainement publiée par décret. Présentée comme « une vision intégrée de l’interface terre-mer », celle-ci détaille quelques grandes orientations, y compris pour les outre-mer, notamment sur la protection des milieux naturels, la prévention des risques, l’économie dite « bleue », l’ambition d’une France neutre en carbone en 2050, et les engagements de Paris sur la scène internationale dans la préservation de l’environnement, contre l’exploitation des minéraux sur les fonds marins notamment. Protéger le puffin des Baléares Autre grand thème de cet exercice de planification, les ambitions environnementales de la France, qui pourraient elles aussi pimenter les discussions. La stratégie nationale « devra permettre d’atteindre le bon état écologique des eaux marines en réduisant les pressions exercées » sur elles et « en consolidant la performance de son réseau d’aires marines protégées efficacement », affirme son préambule.

L’objectif est de placer sous protection forte 10 % de l’espace maritime français d’ici à 2030, avec une « contribution ambitieuse et équilibrée de chaque façade et bassin ultramarin ». La question est de savoir où localiser ces AMP. Les plus protégées constituent des espaces où « les activités humaines susceptibles de compromettre la conservation des enjeux écologiques sont absentes, évitées, supprimées ou fortement limitées, et ce, de manière pérenne », rappelle la stratégie. Lesquelles de ces activités en seront bannies ? Elle ne le précise pas, mais elle donne le cap gouvernemental, à savoir aboutir d’ici à 2027 à 5 % de zones de protection forte (ZPF) en métropole : 1 % sur la façade mer du Nord-Manche Est, 3 % en Manche Ouest-Atlantique Nord, 3 % en Atlantique Sud et 5 % en Méditerranée. Pour l’heure, ces ZPF y sont quasi inexistantes, comme le révèlent les cartes publiées à l’occasion de « La mer en débat » – une série d’indicateurs peu accessibles ordinairement est publiée à cette occasion riche en plancton, « accueille une part très significative de la population mondiale de puffin des Baléares (espèce d’oiseau marin la plus menacée en Europe) », ainsi qu’une centaine de phoques. Huit sites s’étendant sur 27 kilomètres carrés (soit 0,02 % de la façade considérée) y sont identifiés comme de potentielles ZPF. La baie de Saint-Brieuc y est citée en premier lieu… celle-là même qui est régulièrement submergée par les marées d’algues vertes.

Un phoque gris (Halichoerus grypus) dans les Côtes d’Armor. « Nous nous réjouissons que ces documents stratégiques soient présentés au public, c’est une grande nouveauté, assure Gauthier Carle, au nom du Comité France océan, une structure qui regroupe une trentaine d’ONG et de fondations tournées vers la protection de la biodiversité, et qui a été consultée au cours de l’élaboration de cet exercice de planification. Mais il y a des manques, le secteur de la pêche artisanale n’est même pas mentionné. » En résumé, le comité reproche à ces documents de rester flous, d’éluder certaines questions épineuses, comme l’impact considérable des rejets agricoles sur la qualité des eaux littorales. « La stratégie nationale, qui est censée donner une vision cohérente pour l’avenir, n’a pas assez pris en compte le contexte du changement climatique, l’érosion des côtes, la reconquête du bon état écologique des écosystèmes », regrette Gauthier Carle. Elle ne dit pas, par exemple, si les éoliennes pourront être implantées dans des aires protégées. Les participants au débat auront l’occasion de poser la question.

Source: Le Monde