Musée océanographique : agir pour protéger l’océan Austral

L’Antarctique est au cœur de la problématique du réchauffement climatique. Le directeur général adjoint du Musée océanographique, Cyril Gomez, nous rappelle les enjeux de sa protection et les initiatives prises par l’institution pour sensibiliser responsables et grand public dans la droite ligne de l’action du prince Albert II. Le Souverain a participé à l’expédition Antarctica 2024 et soutient activement la création d’Aires Marines Protégées.

Comment est née au sein de l’Institut Océanographique l’idée d’Antarctica 2024 ?

Depuis 2022, nous avons déployé un programme polaire, combinant conférences, actions fortes à l’internationale et une grande exposition, Mission Polaire, qui a récemment fermé ses portes après avoir sensibilisé 1,7 million de visiteurs à la beauté et à la fragilité des pôles. Dans le cadre de ce programme pluriannuel, le voyage scientifique et d’engagement Antarctica 2024 s’est imposé tout naturellement comme un point de convergence de ces initiatives et une occasion de réunir des scientifiques, des chefs d’entreprise mais aussi des décideurs politiques. Au total quelque 180 personnes étaient présentes à bord. Le choix de la mer de Weddell, en péninsule Antarctique, s’est rapidement imposé car il s’agit d’une zone peu explorée, qui fait l’objet d’un projet d’Aire Marine Protégée malheureusement bloqué depuis 2016… Nous avons construit ce voyage, son itinéraire et son programme, en réponse aux besoins exprimés par les scientifiques qui nous accompagnaient. Parmi les initiatives, le survol de l’archipel des îles Danger, qui héberge la plus grande colonie de manchots Adélie au monde, à l’aide de drones a permis de réaliser une modélisation 3D. Un archipel d’ailleurs récemment désigné zone spécialement protégée de l’Antarctique. Bien que cette désignation protège uniquement la terre et non les eaux environnantes, elle constitue un premier pas essentiel dans la préservation de cette région exceptionnelle.

© Studio PONANT – Morgane Monneret

Le Prince a voulu participer à ce voyage avec son épouse, le prince héréditaire Jacques et la princesse Gabriella, quels en ont été les moments les plus forts ?

La présence à bord du prince Albert II, dont l’engagement pour la protection de l’Océan et des pôles est connu de tous, a été un atout inestimable. Nous avions à nos côtés beaucoup de chefs d’entreprise très motivés et avons organisé de nombreuses sessions de travail dédiées à l’élaboration de solutions concrètes pour préserver l’océan Austral et rendre leurs secteurs d’activité plus responsables. Ces conférences et discussions, auxquelles le Prince a toujours activement pris part, ont rencontré un franc succès ! Elles ont permis des échanges riches entre le prince Albert II, les participants et les scientifiques experts présents. Voir toutes ces personnalités collaborer à la recherche de solutions a été un moment particulièrement marquant. Comme vous le rappelez, la princesse Charlène l’accompagnait ainsi que le prince héréditaire Jacques et la princesse Gabriella. Un programme spécifique, comprenant des ateliers et des activités a été proposé à l’ensemble des jeunes présents à bord (âgés de 8 à 15 ans), afin de les accompagner dans la découverte et la compréhension de ce qu’ils observaient. A la fin du voyage, chacun des jeunes passagers, y compris les enfants princiers, a été invité à présenter sur scène une restitution des aspects marquants de ce voyage unique. Ce dernier a duré, rappelons-le, une dizaine de jours incluant un jour et demi de traversée, à l’aller comme au retour, pour franchir le passage de Drake, reliant l’Amérique du Sud et la péninsule Antarctique.

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Après ce voyage, l’Institut océanographique a publié un ouvrage au contenu particulièrement riche « Plaidoyer pour l’Antarctique » qu’il s’agisse de son histoire ou de son rôle, comment espérez-vous le vulgariser ?

Notre objectif dans ce Plaidoyer est d’exposer les enjeux de la protection de l’Antarctique. La conjonction de ce voyage d’engagement et du livre est une initiative originale. C’est la rencontre de deux univers qui, habituellement, se croisent peu – celui de la science et celui du secteur privé et de l’entrepreneuriat. Ces mondes, aux problématiques, temporalités et modalités d’action différentes finissent pourtant par trouver un terrain commun autour de la nécessité de protéger l’océan Austral. Durant ces 10 jours, un dialogue s’est instauré, permettant à chacun d’apprendre à s’écouter et à collaborer. Les témoignages croisés de scientifiques et de leaders économiques présentés dans cet ouvrage, illustrent l’importance de dépasser la science pour la seule connaissance, afin de promouvoir l’action et l’engagement collectif. Et pour cela, nous avons besoin de mobiliser le secteur privé, aujourd’hui l’Objectif de Développement Durable 14 des Nations Unies sur l’Océan est le moins bien financé de tous. Il faudrait 7 fois plus de moyens pour garantir un océan géré durablement. Nous ne pouvons pas faire l’économie du secteur privé. Ce livre, conçu comme un outil de travail, a été pensé pour être accessible au grand public car sans son adhésion il n’y a pas d’action possible. Nous le partageons lors d’évènements, rencontres avec des professionnels, auprès de nos réseaux scientifiques ou partenaires… Il est également disponible en librairie.

© Studio PONANT – Morgane Monneret

Pouvez-vous nous rappeler les enjeux de la protection de l’Antarctique et son contexte géopolitique ?

L’océan Austral joue un rôle fondamental dans l’équilibre climatique de notre planète. Il est, par exemple, au cœur d’un vaste système de courants océaniques interconnectés, où les eaux chaudes de surface, chauffées à l’Équateur, se dirigent vers les pôles, se refroidissent, plongent en profondeur, puis retournent vers l’hémisphère Nord, formant un « tapis roulant » naturel essentiel à la régulation climatique globale. Par ailleurs, les glaciers, qui renferment 90 % de l’eau douce de la planète – une part significative se trouvant en Antarctique – représentent un enjeu majeur : leur fonte contribuant largement à la montée du niveau des mers… Protéger l’océan Austral est donc crucial pour limiter les dérèglements climatiques et l’élévation du niveau de la mer. La communauté internationale l’a compris assez tôt. C’est ainsi que, fin décembre 1959, douze pays rédigent un traité qui crée pour ces terres gelées du bout du monde un statut unique, au service de la paix. C’est le traité sur l’Antarctique. Dans les années 1980, ce traité visionnaire donne tout d’abord naissance à la Commission pour la Conservation de la faune et de la flore marines de l’Antarctique (CCAMLR) dont l’objectif est de préserver la vie marine et l’intégrité environnementale dans les eaux à proximité de l’Antarctique, puis au Protocole de Madrid entré en vigueur en 1998, qui concerne les activités sur le continent et la banquise, et intègre notamment de manière explicite les notions de protection de l’environnement, et d’interdiction d’exploitation des ressources fossiles. C’est une gouvernance plutôt novatrice à l’époque qui conduit en 2009 à la création d’une première AMP autour des îles Orcades, et, en 2016, celle de l’AMP de la mer de Ross. Ce dernier succès, obtenu in extremis grâce à l’intervention diplomatique de quelques émissaires dont le prince Albert II, a nécessité un consensus délicat entre les pays impliqués. Cependant, ce mécanisme qui nécessite l’unanimité semble aujourd’hui inadapté dans un monde toujours plus clivé.

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La création de nouvelles Aires Marines Protégées dans cette partie du monde défendue par le prince Albert est une priorité, peut-on espérer les voir mises en place rapidement ?

Actuellement, tant sur le plan scientifique que diplomatique, un quasi-consensus existe sur la création de trois nouvelles AMP en océan Austral, notamment en mer de Weddell. Cependant, le processus est bloqué par le refus de la Chine et de la Russie de valider ces propositions. Ce blocage n’est pas lié à un manque de données scientifiques, qui sont assez claires et univoques, mais résulte de considérations politiques. Il reste pourtant des raisons d’espérer. A commencer par la création de l’AMP de la mer de Ross en 2016, qui avait été bloquée par ces deux pays avant d’être finalement adoptée. L’évolution de la gouvernance internationale offre également des perspectives positives, comme en témoigne le nouvel accord dit « BBNJ », adopté en 2023, visant à protéger les ressources marines et la biodiversité en haute-mer. Cet accord prévoit des décisions prises à la majorité des deux tiers, limitant ainsi les risques de blocage liés à un processus consensuel. Enfin, nous en parlions, un signal encourageant, lorsque les îles Danger ont été désignées à l’unanimité, y compris par la Chine et la Russie, Zone Spécialement Protégée de l’Antarctique (ZSPA) lors de la 46e réunion consultative du Traité sur l’Antarctique, en mai 2024. Des avancées qui justifient de poursuivre nos efforts avec détermination.

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Pour favoriser cet objectif, l’Institut a lancé une compagne « Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ? », comment a-t-elle été conçue et à destination de quels publics ?

Cette campagne s’inscrit dans la continuité de nos différentes actions. S’il est essentiel de mobiliser le secteur privé et les pouvoirs publics, il faut aussi faire de la pédagogie auprès du grand public et leur rappeler que les Aires Marines Protégées figurent parmi les solutions à la double crise climatique et de biodiversité à laquelle nous sommes confrontés. Ces espaces marins délimités où les activités humaines sont régulées pour protéger l’Océan offrent des bénéfices multiples : ils favorisent la préservation des écosystèmes marins tout en conciliant protection de la biodiversité et développement durable des activités économiques. A travers cette campagne « Qu’est-ce qu‘on attend pour être heureux ? Des Aires Marines Protégées ! », l’Institut océanographique porte un message d’espoir : il est encore temps d’agir pour protéger l’océan Austral. En ligne avec l’objectif de protéger 30% des espaces marins et terrestres d’ici 2030, fixé par le Cadre mondial de la Biodiversité adopté en 2022, les AMP préservent la nature tout en offrant aux humains des ressources durables. Elles incarnent une vision d’équilibre et d’harmonie entre l’Homme et la Nature – une vision positive et réalisable que nous souhaitons partager largement.

Source: La gazette