Micro-plastiques, la face cachée d’une pollution globale
10 avril 2025
10 avril 2025
Dans un numéro spécial de Environmental Science and Pollution Research (ESPR) publié le 7 avril 2025 consacré à l’étude de la source, du devenir et des effets des déchets plastiques dans le continuum terre-mer européen, les découvertes scientifiques lèvent le voile sur une pollution invisible aux microplastiques qui traverse les frontières entre les écosystèmes. Cette compilation unique de 14 publications scientifiques met notamment en avant les découvertes majeures issues de la Mission Tara Microplastiques (2019) portant sur l’étude de l’origine et des flux de la pollution plastique dans 9 fleuves européens, la Loire, la Seine, Le Rhin, L’Elbe, la Tamise, l’Ebre, le Rhône, le Tibre et la Garonne.
Les fleuves constituent le principal vecteur d’acheminement des déchets d’origine humaine vers l’Océan. Chaque année, ils déversent la quantité stupéfiante de 8 à 12 millions de tonnes de débris plastiques qui s’accumulent dans tous les écosystèmes du monde et représentent un risque pour la biodiversité.
En 2019, la Mission Microplastiques a étudié l’origine et les flux de la pollution plastique dans les grands fleuves d’Europe. L’une des attentes des scientifiques était de pouvoir quantifier la densité (nombre de particules de plastique par unité de volume) et la masse (masse par unité de volume) de microplastiques dans la Loire, la Seine, Le Rhin, L’Elbe, la Tamise, l’Ebre, le Rhône, le Tibre et la Garonne.
Pendant 7 mois, un total de 2 700 échantillons ont été prélevés au large des estuaires, à l’embouchure des fleuves, puis dans leur lit, en amont et en aval de la première grande ville rencontrée. Puisque tous les prélèvements ont été réalisés en appliquant la même méthodologie d’échantillonnage, les scientifiques ont pu comparer les résultats provenant de l’estuaires de ces 9 fleuves.
Deux tailles de microplastiques ont été étudiées : les grands microplastiques avec une taille comprise entre 0,5 et 5 mm et les petits microplastiques de taille entre 0,025 et 0,5 mm.
Les résultats de ces analyses sont préoccupants : tous les fleuves européens étudiés sont pollués par les microplastiques.
Les analyses montrent que les petits microplastiques (entre 0,025 et 0,5 mm) ont un nombre et une masse jusqu’à 1 000 fois plus importants que les grands microplastiques à la surface des 9 fleuves européens étudiés.
Ces petits microplastiques, invisibles à l’œil nu, sont beaucoup moins étudiés, alors que ces résultats montrent qu’ils représentent la partie immergée de l’iceberg. Les scientifiques soulignent leur inquiétude face à ces concentrations alarmantes dans les fleuves.
Ces petits microplastiques sont encore plus susceptibles d’être ingérés à tous les échelons de la chaîne alimentaire, du microzooplancton aux poissons.
Cette découverte a été rendue possible grâce à la montée en technologie et en précision dans la méthodologie des analyses, notamment par la spectrométrie de masse après pyrolyse des microplastiques, un système permettant de repousser les limites dans l’infiniment petit et d’être de plus en plus précis pour établir les bilans massiques.
Aucun écosystème n’est épargné.
Le Rhône ayant le plus fort apport en eau douce du bassin Nord-Ouest de la Méditerranée, les scientifiques l’ont adopté comme base d’analyse pour comprendre les mécanismes d’apport en microplastiques d’un fleuve vers l’Océan.
À partir de modèles de simulations 3D pour évaluer la dispersion des microplastiques relargués par le Rhône. L’étude a permis de montrer qu’il existe une propagation des particules sur l’ensemble du bassin méditerranéen en moins d’un an. Plus de la moitié des grands microplastiques flottant sont exportés vers le bassin algérien puis plus à l’Est. Les microplastiques qui coulent restent eux plus proches de l’embouchure, au niveau du golfe du Lion.
La répartition des petits microplastiques est elle beaucoup plus homogène dans la colonne d’eau, touchant tous les écosystèmes de la surface aux abysses.
Les chercheurs ont également voulu savoir si l’origine de la pollution pouvait influencer les conséquences qu’elle entraîne sur les écosystèmes.
Ils n’ont pas observé d’impacts systématiques des zones urbaines sur la concentration en microplastiques dans l’eau. Aucune différence majeure n’a pu être observée entre les échantillons prélevés en amont et en aval de la plus grande ville au plus proche des émissaires des fleuves. Ceci peut s’expliquer par une pollution diffuse, qui provient à la fois des rejets des villes en amont, mais aussi des terres agricoles ou du transport des petits microplastiques dans l’atmosphère.
L’impact des microplastiques sur la faune aquatique des fleuves et de l’Océan a été évalué en exposant des granulés plastiques échoués à des moules, qui sont des filtreurs qui bio-accumulent les microplastiques ainsi que les substances chimiques qu’ils peuvent contenir.
Les analyses soulignent l’effet « éponge à polluants » des plastiques, qui s’associent à de nombreuses substances nocives comme notamment les métaux lourds, les hydrocarbures et les pesticides. Elles mettent également en évidence l’impact toxique des produits chimiques ajoutés lors de la fabrication des plastiques, parmi lesquels plus de 16 000 additifs, dont 3 000 sont déjà reconnus comme toxiques.
L’impact des plastiques n’est donc pas limité à la composition chimique du plastique, mais également au cocktail chimique que le plastique capte. Il est donc nécessaire de prendre en compte la dimension systémique de la pollution plastique (toxique, chimique et bien sûr climatique).
« Plastisphère » est un terme relativement nouveau utilisé pour désigner les microorganismes qui vivent sur les déchets plastiques dans l’environnement. En particulier, la première bactérie pathogène virulente pour l’homme (Shewanella putrefaciens) a été découverte sur un microplastique. Cette bactérie est responsable de bactériémies, d’otites, d’infections des tissus mous ou de péritonites chez l’humain. Cette étude démontre le danger supplémentaire de la dispersion des microplastiques dans l’environnement, qui peuvent disséminer des microorganismes pathogènes sur de longues distances. Cette découverte matérialise le lien entre pollution plastique et santé globale de la planète, qui établit un lien étroit entre la santé environnementale et la santé humaine.