Mettre en œuvre de véritables aires marines protégées : une transition possible !
23 mai 2025
23 mai 2025
Alors que l’humanité est désormais confrontée à des désastres climatiques quotidiens et que les scientifiques évoquent la mise en péril du « tissu même de la vie sur Terre », les scientifiques du panel intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) soulignent que la protection et la restauration des écosystèmes constituent le deuxième levier le plus efficace pour faire face à l’urgence climatique. Ils appellent ainsi, aux côtés des experts internationaux sur la biodiversité (IPBES) à la création d’un réseau cohérent et efficace d’aires marines protégées pour lutter contre l’effondrement de la biodiversité et le dérèglement climatique.
A rebours de ces recommandations scientifiques, la France, deuxième puissance maritime mondiale et pays hôte de la Conférence des Nations Unies (UNOC) sur l’océan qui se tiendra en juin à Nice, protège réellement moins de 0,1 % de ses eaux métropolitaines. Pourtant, la mise en œuvre de véritables aires marines protégées, interdites au chalut et aux pêches destructrices, est à portée de main, puisqu’environ 560 navires de pêche sont en potentielle situation de dépendance vis-à-vis des aires marines “protégées”, y passant plus de 20% de leur temps.
En une centaine d’années, nous avons vidé l’océan de ses richesses : les poissons prédateurs ont vu leurs populations diminuerde 90%les poissons prédateurs ont vu leurs populations diminuerde 90% dans l’Atlantique Nord, les populations de grands poissons ont chuté de 99,2% en mer du Nord et près de 60% des populations de poissons sont encore surexploités en Méditerranée. Le principal responsable de la destruction de l’océan au cours des cinquante dernières années a été identifié par l’IPBES : il s’agit de la pêche. La pêche industrielle, et en premier lieu le chalutage, cause des dommages considérables aux écosystèmes marins en détruisant les habitats, en réduisant l’abondance des populations de poissons et en appauvrissant la biodiversité. Cette situation compromet non seulement la sécurité alimentaire, mais menace également la pêche artisanale, essentielle à l’économie des régions côtières et source importante d’emplois locaux.
La solution à cette dégradation continue de l’océan, du climat, des emplois et des finances publiques existe : la protection du milieu marin. Créer de véritables aires marines protégées dans 30% de nos eaux, qui interdisent les infrastructures et activités industrielles ainsi que les engins à fort impact tels que les différentes formes de chalutage, est une étape indispensable pour mettre fin à la destruction des écosystèmes marins, à la dépendance financière structurelle du secteur de la pêche vis-à-vis de l’État et à l’hémorragie sociale du secteur de la pêche artisanale. Cela doit s’accompagner de la mise en place de zones sous protection stricte sur un tiers de ces aires protégées, dans lesquelles aucune activité extractive n’a lieu, pour permettre de protéger efficacement et durablement les écosystèmes.
Les pêcheurs côtiers aux arts dormants (ligne, casier, filet) seront les premiers bénéficiaires d’une telle politique de protection du milieu marin, puisqu’ils seront les bénéficiaires directs et exclusifs de l’effet de débordement généré par les zones placées sous protection stricte. En effet, la mise en œuvre de vraies AMP peut conduire à des populations de poissons plus abondantes, des poissons plus gros et plus de diversité. Des études scientifiques montrent que la biomasse des poissons peut être multipliée par 4,5 après la mise en place d’une zone sous protection stricte, tandis qu’une autre étude montre qu’immédiatement en dehors des zones protégées grâce à l’effet de débordement, l’abondance de poissons augmente de 33%, tandis que la biomasse augmente de 54%.
Un consensus scientifique s’est forgé au cours de la dernière décennie pour catégoriser ce qui relève d’une protection effective du milieu marin :
Afin de concilier protection de l’océan et justice sociale, il est nécessaire d’accompagner les pêcheurs opérant actuellement dans les aires dites “protégées” qui pourraient être concernés par la mise en œuvre des recommandations internationales en matière de protection du milieu marin. L’Ifremer qui s’est alignée sur la position « au cas par cas », reconnait ainsi que “une part significative de l’activité des chaluts et des dragues a effectivement lieu dans les AMP”, part estimée pour la France en 2022 « à environ 33% des jours de mer et 25% de la valeur des débarquements de la pêche aux arts traînants de fond pour les bateaux de plus de 12m”. La mise en œuvre de vraies aires marines protégées doit ainsi être faite à l’aide de mesures pour accompagner les navires dépendants dans leur activité économique de ces zones de pêche et qui ne pourront plus y accéder : sont ainsi concernés tous les navires de plus de 12 mètres ainsi que tous les chalutiers, quelle que soit leur taille.
La France métropolitaine compte actuellement 3 911 navires de pêche actifs1. La très grande majorité de ces navires ne sera pas impactée par la mise en œuvre des aires marines protégées, et en sera même bénéficiaire : aujourd’hui, la petite pêche côtière, qui opère sur des navires de moins de 12 mètres pratiquant les arts dormants, et qui représente 64%2 de la flotte, pourra toujours opérer dans deux tiers de la surface de ces aires réellement protégées.
Au-delà de la flotte française de petite pêche côtière, nos analyses révèlent que l’enjeu de l’interdiction du chalutage et des navires de plus de 12 mètres dans les aires protégées peut être relevé et que nous avons les solutions à portée de main :
Ce sont donc tout au plus 561 chalutiers et navires de plus de 12 mètres qu’il est nécessaire d’accompagner aujourd’hui pour mettre en œuvre de véritables aires marines protégées en France métropolitaine. Si cette étude doit être approfondie par l’administration afin de planifier et organiser la transition du secteur avec un maillage territorial fin, elle révèle que, loin du séisme constamment annoncé par le lobby de la pêche industrielle, la mise en place d’une politique publique de protection du milieu marin est de l’ordre du possible, d’autant plus que les financements nécessaires à leur mise en œuvre et pour accompagner ces pêcheurs sont disponibles.
Seule manque la volonté de mobiliser de manière innovante les subventions déjà allouées au secteur de la pêche en France.
Majoritairement utilisée pour la production de coquilles Saint Jacques, la drague est utilisée par quelques 448 navires de pêche en France métropolitaine6. Cette technique de pêche, qui consiste à labourer le sédiment pour en déloger les coquilles, impacte très fortement les fonds marins. Il est donc inconcevable de désigner comme « protégées » des zones où se déroule une activité de pêche à la drague. C’est pourtant la voie empruntée par la France qui, en poursuivant une politique du chiffre ubuesque, a qualifié de « protégées » certaines zones historiques de pêche à la drague.
Comme le révèlent les travaux menés par les scientifiques de l’Institut Agro, la destruction des fonds marins occasionnée par la pêche à la drague est historiquement circonscrite à certaines zones, telle que les baies de Saint-Brieuc et Granville, avec une empreinte spatiale limitée : en Atlantique, les dragues abrasent en moyenne 0,4 km2 par tonne pêchée, contre 5,3 km2 abrasés par tonne pêchée pour les chaluts démersaux. En Méditerranée, les chaluts démersaux abrasent même 30 fois plus de kilomètres carrés que la drague.
Au regard du complément de revenu que la coquille Saint-Jacques engendre pour la petite pêche artisanale sur certaines zones historiques de pêche, via un modèle qui s’apparente à de l’aquaculture en pleine mer avec ensemencement, il est possible que le choix réalisé par la société soit de sacrifier ces écosystèmes déjà très fortement modifiés pour maintenir cette activité spécifique sur leurs lieux d’implantation historique où, durant des décennies, la drague a façonné l’économie du littoral.
Notre vision est que les derniers lieux à devoir être protégés du point de vue des habitats marins sont sans doute les zones historiques de pêche à la drague, dont l’empreinte doit être gelée. Et, au-delà de ces zones historiques de production de coquille Saint-Jacques, la France doit interdire toute activité de pêche à la drague dans les aires désignées comme « protégées » et ne pas permettre la création de nouvelles zones où il serait possible de la pratiquer. Par exemple, il doit être mis fin immédiatement au récent développement de la drague au sein même du Parc naturel marin d’Iroise, d’autant plus que cette activité se déploie aujourd’hui dans des écosystèmes vulnérables tels que les bancs de Maerl.
Afin de financer cette mise en œuvre de véritables aires protégées, et les mesures économiques et sociales requises pour accompagner les pêcheurs impactés, l’État doit mobiliser des financements aujourd’hui affectés à la pêche industrielle.
Il s’agit de flécher les subventions à la pêche industrielle vers la transition sociale et écologique du secteur pour concilier effectivement protection de l’océan et justice sociale :
Un scénario de transition, financé, existe donc pour annoncer dans le cadre de la Conférence des Nations Unies sur l’océan, la mise en place d’une véritable politique publique de protection des écosystèmes marins. Seule manque aujourd’hui la volonté politique de s’engager dans cette voie.
Cette analyse inédite porte sur les aires marines protégées de France métropolitaine et la flotte française. Nos données proviennent de deux sources principales :