Mers et océans dans la littérature jeunesse : entre rêve, aventures et enjeux éducatifs
17 juillet 2024
17 juillet 2024
Très dense en littérature de jeunesse, avec ses pirates et ses îles désertes, l’imaginaire maritime s’assortit d’interrogations sur l’avenir de la biodiversité et de questions politiques.
Dans la perspective de la conférence des Nations unies pour l’Océan (l’UNOC) qui se tiendra à Nice en juin 2025, une année sera consacrée à la mer entre septembre 2024 et septembre 2025. La préservation des mers et des océans intéresse chacun d’entre nous et concerne particulièrement les jeunes générations, c’est pourquoi il convient de s’intéresser aux représentations dans les livres qui leur sont adressés.
À la lumière de corpus pour la jeunesse anciens et contemporains, il apparait que la mer y assume des fonctions variées. Parfois réduite à un rôle fonctionnel, elle se voit plus souvent associée selon une perspective didactique à des enjeux politiques, écologiques ou éthiques.
Qu’il s’agisse de textes écrits pour de jeunes lecteurs, d’œuvres appropriées par eux ou adaptées à son profit par l’école ou par les éditeurs, les récits mettant en scène l’espace maritime sont anciens, nombreux et variés : Les Voyages de Sindbad le marin, Les Aventures de Télémaque, celles de Gulliver, d’Énée, d’Ulysse dans un premier temps. La découverte du nouveau continent et les explorations maritimes qui l’accompagnent vont ensuite donner naissance aux robinsonnades, aux histoires de pirates et autres récits d’aventures en mer, notamment chez Jules Verne. Plus près de nous, c’est Fifi Brindacier qui rêve de s’embarquer et Max, le héros de Maurice Sendak, qui prend la mer pour aborder le royaume des maximonstres.
Les représentations contemporaines héritent pour partie de cette production ancienne, qu’elles convoquent souvent comme intertexte. On peut penser aux adaptations et réécritures de grands mythes comme celui d’Ulysse ou de Jonas mais aussi à la reprise de la figure de Moby Dick dans L’Auberge de nulle part de Roberto Innocenti ou dans Histoire d’une baleine blanche de Luis Sepulveda.
Sur le plan iconographique, la mer peut être représentée par une simple surface bleue ou blanche dans le cas des mers polaires, avec un jeu sur les couleurs comme dans Coda, petit ours blanc de Rury Lee (où la neige protège l’ourson du chasseur) ou dans Esquimau d’Olivier Douzou.
Souvent, elle devient cependant un espace coloré qui appelle l’exploration par les personnages : il s’agit alors de faire voir au jeune lecteur des fonds marins qui lui sont inaccessibles grâce à des techniques diverses telles que le jeu comme dans Lilly sous la mer, la vision 3D dans Jim curious, Voyage au cœur de l’océan, en stimulant son imagination avec des visions parfois fantaisistes comme dans l’album sans texte Le Monde englouti de David Wiesner.
Cette configuration, qui relègue la mer à un rôle d’arrière-plan romanesque ou qui la réduit à une plage symbolique des vacances, est particulièrement présente dans les séries à destination des plus jeunes telles que Les vacances du petit Nicolas, Le Club des cinq au bord de la mer, Petit ours brun se baigne dans la mer, Martine à la mer…
La mer n’est alors qu’une toile de fond bleue qui contraste avec le jaune de la plage et qui permutera dans un album suivant avec un autre espace stéréotypé de l’aventure enfantine.
Le caractère politique de l’espace maritime apparait notamment dans des romans souvent destinés aux adolescents qui évoquent l’esclavage et en particulier les traversées de l’océan Atlantique à bord des navires négriers comme dans Alma de Timothée de Fombelle ou dans Les trois vies d’Antoine Anacharsis d’Alex Cousseau.
Cette relecture critique du passé, qui dévoile les dessous des entreprises coloniales de manière référentielle ou plus fictionnalisée (comme dans Les derniers géants de François Place), tend à interroger d’un même coup la relation de domination à l’égard de l’autre et de la nature (ce que faisait déjà Macao et Cosmage) et peut entrer en tension avec un modèle ancien du récit d’aventures.
De même, la question des migrations internationales, qui s’est imposée dans le débat public ces dernières années, se retrouve dans un certain nombre d’albums qui mettent en scène des traversées maritimes périlleuses souvent présentées du point de vue des personnages d’enfants migrants comme dans Là-bas ou Méditerranée ou encore La Kahute qui incitent le jeune lecteur à l’empathie.
La crise environnementale semble également avoir une influence importante sur une production pour la jeunesse contemporaine très sensible à cette thématique. Ces préoccupations écologiques se déclinent en différentes approches telles que le développement d’albums documentaires tels qu’Eau salée d’Emilie Vast ou Les fonds marins de Chritina Dorner. Leur objectif : accroitre la connaissance du jeune public sur la faune et la flore, littorales et maritimes
D’autres albums, comme Animaux des mers et des océans de Renée le Bloas, tendent à attirer le regard du jeune lecteur sur les merveilles du vivant. Cette approche pleine de bonnes intentions, et parfois très réussie sur le plan graphique, mériterait cependant d’être interrogée à l’aune de la représentation des espèces mises en scène. Certaines espèces telles que les ours blancs ou les cétacés sont surreprésentés, au détriment d’autres, moins iconiques ou « photogéniques ».
Certains ouvrages à destination du jeune public visent à montrer les effets du changement climatique ou les menaces qui pèsent sur l’environnement à travers différents éco-thèmes, dans des formats qui hésitent entre fiction et documentaire comme l’album réversible De l’autre côté de la mer qui donne à voir les conséquences mondialisées d’une marée noire ou Sur mon île qui traite de la pollution plastique et de ses conséquences pour la faune.
Si la tonalité adoptée dans ces ouvrages est souvent grave et s’inscrit dans une logique prescriptive à l’égard du jeune lecteur, quelques albums parviennent à articuler sensibilisation et humour en misant davantage sur la réflexion de l’enfant comme l’album Bonne pèche de Dedieu, qui évoque la surpêche mais termine sur une chute amusante qui voit le marin au chômage devenir antiquaire pour revendre tous les objets bizarres qu’il a trouvés dans l’eau au fil des ans, questionnant ainsi de manière implicite la pollution des océans.
Du côté des adolescents s’y ajoutent des éco-fictions qui interrogent notre relation à la nature ou se projettent dans un futur plus ou moins apocalyptique comme Oxcean de Nicolas Michel.
Politique ou écologique, l’espace maritime constitue bien souvent un espace initiatique : semblable à la forêt des contes, il se situe à part et donne l’occasion au jeune héros de s’émanciper (comme les jeunes enfants qui jouent aux marins du Capitaine Jules et les pirates), de murir (par exemple dans L’Ile au trésor de Robert Louis Stevenson). Il permet aussi de former sa personnalité (comme dans L’Expédition de Stéphane Servant qui fait des voyages maritimes la métaphore des péripéties de la vie).
La mer est symbole de liberté et d’indépendance (sur le plan individuel et collectif, dans le cadre utopique de l’île ou du navire).
L’idée qu’un séjour en mer, fût-il dû à des circonstances tragiques comme un naufrage, permette in fine une découverte de soi, des autres et une forme de maturation est au principe d’un certain nombre de récits d’aventures ou de robinsonnades, comme Deux ans de vacances de Jules Verne). Elle se retrouve dans le roman de M. Morpugo Le Royaume de Kensucké dans lequel l’auteur renouvelle les thèmes de la robinsonnade tout en les associant à des préoccupations écologiques en abordant la question de la sauvegarde des orangs-outans.
La mer, dont l’humanité est issue, est revisitée par chaque civilisation et les récits témoignent des rapports que les hommes entretiennent avec elle. Aux mers monstrueuses et violentes traversées par Ulysse et les premiers explorateurs, ont succédé les mers agitées de la piraterie, de la traite, des explorations coloniales et des grandes chasses à la baleine. S’y sont ensuite ajoutées les plages plaisantes de la mer des vacances.
Espace éminemment romanesque avec ses îles désertes et ses pirates, la mer inspire parfois la peur, comme tout phénomène naturel qui peut être dévastateur et son mystère a suscité de nombreux fantasmes (du kraken à la sirène). Mais c’est désormais la crainte de sa disparition et de celle de ses richesses qui semble dominer l’imaginaire contemporain. En plein anthropocène, les récits adressés aux plus jeunes témoignent de la densité d’un imaginaire maritime auquel viennent s’ajouter les craintes des adultes qui cherchent à leur faire partager des récits anciens tout en les chargeant de réparer les erreurs commises par les générations qui les ont précédés.