Mer Méditerranée : plus de 100 chercheurs alertent sur l’avenir bien sombre de la région

Les pays riverains de la Grande Bleue, touchés de plein fouet par le réchauffement climatique, se trouvent confrontés à de multiples tensions, liées à l’accès à l’eau et à l’urbanisation.

Agriculture, démographie, environnement, urbanisation… L’avenir du Bassin méditerranéen, qui se réchauffe déjà plus vite que la moyenne planétaire en raison de la crise climatique, s’annonce bien sombre. Le groupe d’experts du Plan Bleu, l’organisme mandaté par le Programme des Nations unies pour l’environnement, chargé d’étudier cette zone et de sensibiliser acteurs et décideurs aux questions d’environnement et de développement durable, publie, jeudi 16 janvier, son troisième rapport prospectif sur l’avenir de la Grande Bleue. Plus d’une centaine de chercheurs d’une vingtaine de pays développent plusieurs scénarios plus ou moins pessimistes sur les évolutions possibles d’ici à 2050.

Signe de l’accélération de la crise climatique, le précédent rapport, publié en 2005, sous-estimait plusieurs conséquences. La région est particulièrement exposée à la sécheresse des sols et au stress hydrique, aux grands feux, aux inondations brutales, aux canicules dévastatrices en mer et sur terre ou à l’érosion et à la salinisation du littoral. L’élévation du niveau de la mer pourrait atteindre 40 centimètres, dès 2050. « Ce qui était prévu il y a vingt ans pour la fin du siècle se produira dès le milieu de celui-ci », résume Jacques Theys, vice-président du Plan Bleu et l’un des auteurs principaux de ce travail.

Dès à présent, les pays riverains de la Méditerranée, qui font face à une concentration de pollutions diverses d’un niveau particulièrement élevé, se trouvent confrontés à de multiples tensions, en particulier pour l’accès à l’eau. Dans le sud et l’est du bassin, environ 80 millions de personnes sont en situation de pénurie extrême avec moins de 500 mètres cubes (m³)par an chacune. Au total, 180 millions de personnes doivent faire avec moins de 1 000 m³ par an. La quasi-totalité de la population souffrira du manque d’eau en 2050, selon les experts.

 

Tropicalisation

 

La région méditerranéenne « concentre 60 % de la population mondiale pauvre en eau. C’est aussi la mer la plus polluée par les plastiques [huit fois plus que la moyenne mondiale], et la plus surexploitée en pêche, alors qu’elle représente par ailleurs l’un des dix plus importants “hotspots” de biodiversité au monde », résume M.Theys.

Même si elle a tendance à diminuer, la surpêche qui ciblait encore les trois quarts des stocks de poissons de Méditerranée en 2020 pèse fortement dans la chute des ressources halieutiques : les pêcheurs ont vu leurs prises se réduire de 30 % entre 1994 et 2017. Une facette parmi d’autres de la métamorphose du milieu marin en train de s’opérer. Ses écosystèmes connaissent une tropicalisation accélérée avec l’arrivée d’espèces d’eau plus chaude, une production de plancton perturbée, des proliférations de méduses, la destruction des coraux. « Je ne m’attendais pas à cette évolution structurelle de la Méditerranée, ce n’est plus la même mer », explique M. Theys. Pour lui, elle constitue une sorte de modèle réduit de notre planète en ébullition « mais à une échelle de gravité plus élevée ».

Ce tableau ne diminue en rien l’attractivité de la zone. Les experts entrevoient pour 2050 une concentration probable sur ses rivages d’« au moins la moitié de la population et des activités de la région », ce qui « va poser un problème majeur d’aménagement du territoire et d’environnement, aussi bien pour ces espaces en bordure de mer que pour le développement et parfois la survie des espaces agricoles et ruraux à l’intérieur des terres ». Si les deux tiers des pays méditerranéens ont vu leur évolution démographique ralentir, celle-ci est au contraire repartie à la hausse dans certains Etats de l’est et du sud du bassin, en Egypte notamment. La population pourrait atteindre entre 630 et 690 millions de personnes dans cette région en 2050, contre 520 millions actuellement.

Les normes de pollution de l’air sont dépassées dans les deux tiers des pays méditerranéens, 44 % des villes de plus de 10 000 habitants n’y ont pas de réseaux d’épuration et rejettent leurs eaux directement dans la nature. Même si certaines contrées rurales restent peu densément habitées aujourd’hui, le taux d’urbanisation moyen dans le Bassin méditerranéen atteint déjà 72 %. Il pourrait grimper à 82 % en 2050. Des extensions de constructions incontrôlables sont donc à craindre, avec « des tensions sur le foncier et le logement de plus en plus difficiles à gérer », en plus de l’enjeu vital de l’accès à l’eau.

 

Tourisme de masse

 

Les auteurs se sont aussi penchés sur les tendances du tourisme de masse. Actuellement, la région reçoit 360 millions de visiteurs internationaux par an. Les vacanciers vont-ils finir par être rebutés par les canicules, les pluies diluviennes, un cadre de vie dégradé, l’exiguïté des plages emportées par l’érosion et l’exploitation du sable pour le bâtiment ? Par ailleurs, leur venue pourrait-elle être freinée par une sortie des énergies fossiles, des contraintes fortes sur les transports ? Ces possibles bouleversements inspirent aux auteurs plusieurs scénarios, dont un positif. Puisque l’accueil des touristes compte pour une large part des économies locales, la crainte de leur désaffection pourrait servir de levier à une prise de conscience et à une mobilisation générale. On pourrait alors assister à un net changement à l’égard de l’environnement, qui donnerait lieu à des efforts inédits pour le protéger et le restaurer.

Selon M. Theys, les statistiques de l’arc méditerranéen sont mal connues, car très souvent abordées avec un prisme Nord/Sud par les bailleurs internationaux et non comme une entité. La région mériterait pourtant que l’on se penche sérieusement sur cette situation explosive.

Parmi les six scénarios esquissés par les experts, le pire anticipe un environnement qui s’emballe et franchit plusieurs points de basculement. Les gouvernements ne se consacreraient plus alors qu’à la gestion des catastrophes, tandis qu’émergeraient des régimes autoritaires, des milices, des mouvements religieux radicaux. Sur fond de corruption généralisée, les conventions internationales n’auraient plus aucun poids.

A l’opposé, une vision alternative pleine d’espoir permet d’imaginer un sursaut collectif, une série de ruptures volontaristes conduisant à « faire de la Méditerranée un vrai laboratoire de solutions innovantes pour la protection des mers ou l’écodéveloppement de grandes régions, qui puisse avoir valeur d’exemple à l’échelle mondiale ».

Source :  Le Monde