Méditerranée : Tortues, coraux, poissons… Quels effets ont les fortes variations de température des eaux de surface?

 
Après une température de surface d’une quinzaine de degrés à la suite de coups de mistral en juillet, les eaux de la Méditerranée devraient s’approcher des 30 degrés en fin de semaine avec la canicule. De quoi faire perdre le nord à la vie marine ?

Les poissons et la vie marine savent-ils encore où ils habitent ? En l’espace d’une dizaine de jours, la température des eaux de surface de la Méditerranée connaît une variation d’amplitude inédite, passant d’une quinzaine de petits degrés fin juillet, après des coups de mistral, à près de 30 °C attendus d’ici la fin de cette semaine.

Un grand écart capable de faire perdre le nord aux poissons qui peuvent avoir le sentiment de revenir de Bretagne ? S’il est documenté que le réchauffement global de la Méditerranée s’est accompagné de l’arrivée de nouvelles espèces sur nos côtes, comme le barracuda, le poisson-lion ou encore le crabe bleu, et que les canicules marines engendrent une forte mortalité chez les espèces fixées, comme les coraux et les gorgones, « nous ne sommes pas encore dans cette situation », explique Christine Pergent, biologiste marin à l’université de Corse.

 

Inversion des courants et remontées de méduses

 

« Il faudrait pour ça que ces anomalies de températures durent des jours, voire des semaines même si l’amplitude du phénomène peut rendre cette période plus courte », précise l’enseignante-chercheuse.

Reste que la vie marine procède à quelques ajustements : « Ce passage d’eaux froides à eaux chaudes provoque généralement une inversion des courants et vient avec des remontées de méduses », observe Gérard Carrodano, pêcheur-plongeur et sentinelle du littoral installé à La Ciotat depuis soixante-dix ans. « A vrai dire pour la pêche, la chaleur favorise plutôt l’activité des poissons, sauf les langoustes qui semblent préférer les coups de mistral. Mais cela reste un phénomène naturel auquel nous sommes habitués, même si le phénomène s’accentue avec le réchauffement climatique. »

Cette remontée en température l’a toutefois contraint à relâcher dernièrement 80 % des captures vivantes que le plongeur a faites ces dernières semaines pour ses collaborations avec des aquariums. « Les bassins sont devenus trop chauds, et ce n’est pas tant les poissons qui le supportent mal que le développement de parasites que cela favorise qui pose problème », explique Gérard Carrodano.

 

Les élevages de poissons en souffrance, les tortues en profitent

 

Dans le même registre, ce sont les élevages de poissons qui sont également lourdement affectés, développe Christine Pergent : « Les cages d’aquacultures sont d’ordinaire établies entre 5 et 15 mètres de profondeur, et donc ils sont plus exposés aux hausses de températures que les poissons sauvages qui peuvent changer de secteur ou descendre vers des eaux plus froides, jusqu’au niveau de thermoclim, situé en été à 35-40 mètres, et où la température est constante. Mais là encore, ce qui provoque la mortalité des poissons d’élevages est plus la prolifération des bactéries, aggravée par la concentration des poissons, que la baisse du taux d’oxygène dans l’eau lié à la chaleur. »

Une chaleur qui semble profiter aux tortues caouannes, une espèce menacée qui a trouvé cette année particulièrement à sa température les plages des côtes varoises pour y pondre leurs œufs, avec de nombreuses premières observations, comme à Cavalaire-sur-Mer, et dans le golfe de Saint-Tropez. « C’est une bonne nouvelle », se réjouit Franck Dhermain, vétérinaire du groupe d’étude des cétacés de Méditerranée.

« Mais au-delà de ça, et concernant les cétacés, on sait en réalité peu de choses des effets de variations de températures. Il semble que le cachalot profite de ce réchauffement pour se répandre plus au Nord. A l’inverse, nous avons des présomptions sur la distribution des proies des rorquals, qui se nourrissent beaucoup d’une crevette qui aime plutôt les eaux « froides » », complète Franck Dhermain.

L’inquiétude porte plutôt sur les espèces fixées à faible profondeur, si cette chaleur des eaux devait durer. En 2022, après un épisode de canicule marine, jusqu’à 90 % de mortalité avait été observé chez les gorgones, un type de corail, sur 20 mètres de profondeur. « On s’inquiète aussi pour les herbiers de posidonie, même s’il n’y a pas encore de consensus scientifique des effets précis de la hausse des températures », poursuit Christine Pergent.

 

Le mauvais temps est celui qui dure

 

« Notre espoir et que les canicules marines n’affectent que les couches d’eau supérieures et qu’on a observé que les spécimens vivant plus bas parviennent ensuite à recoloniser les espaces détruits. Mais les coraux, qui ont une croissance lente, de l’ordre de quelques millimètres par an, ne peuvent pas supporter les répétitions et c’est là le problème. »

Une autre dimension problématique réside dans l’emmagasinement de chaleur par la Méditerranée au fil de l’été. « Souvent en début d’été, ce sont juste les premiers mètres d’eau qui chauffent, et qui peuvent être facilement mélangés par un coup de mistral », revient Gérard Carrodano. « Mais à l’automne, on peut avoir les 50 premiers mètres qui sont réchauffés, et alors il faut vraiment 4 ou 5 jours d’un bon mistral pour faire redescendre la température. » En mer comme en agriculture, le mauvais temps est celui qui dure trop longtemps.

Source : 20 minutes