L’usage des carburants fossiles proscrit depuis le 1er juillet dans l’Arctique, vraiment ?

 
Treize ans après avoir adopté un règlement similaire pour l’Antarctique et trois ans après son adoption par l’Organisation maritime internationale, l’interdiction de transporter ou d’utiliser du fioul lourd dit HFO dans l’Arctique est entrée en vigueur le 1er juillet. Mais les exemptions, dérogations et autres possibilités d’y soustraire font de cette « interdiction » un terme impropre, continuent de dénoncer les ONG.

Treize ans après avoir adopté un règlement similaire pour l’Antarctique et trois ans après son adoption par l’Organisation maritime internationale (OMI), l’interdiction de transporter ou d’utiliser du fioul lourd dit HFO (plus de 3,5 % de teneur en soufre) dans l’Arctique est entrée en vigueur le 1er juillet 2024. Loin de faire consensus chez les ONG environnementales qui ont battu campagne pendant cinq ans sous le plaidoyer « HFO Free Arctic » pour faire pression.

La règle 43A, qui a été ajoutée à l’annexe I de à la convention Marpol, est jugée peu ambitieuse et pétrie de failles qu’il suffit d’exploiter pour s’y soustraire, jugent les associations.

C’est à l’occasion de la 76e session du comité de protection du milieu marin de l’OMI (MEPC 76) en juin 2021 que les États membres ont approuvé le principe de l’interdiction de l’usage de fuel lourd pour les navires opérant en Arctique et en proximité. Le texte a ensuite été adopté au MEPC 77.

 

Interdiction, terme impropre

 

Pour les ONG, le terme « interdiction » est usurpé tant le règlement est assorti d’exemptions selon les catégories de navires et de dérogations offertes aux États membres de l’OMI. La mesure vise dans un premier temps les navires plus anciens, dépourvus de double coque ou de réservoirs de carburant protégés. Elle autorise par ailleurs les pays côtiers de l’Arctique, à savoir la Russie, la Norvège, le Danemark, le Canada et les Etats-Unis, à décider souverainement pour les navires battant leur propre pavillon lorsqu’ils opèrent dans leurs propres eaux.

À ce régime, l’interdiction n’atteindra sa pleine vitesse qu’en 2029, quand il n’y aura plus d’exceptions. D’ici là, selon les calculs de l’ONG Clean Arctic Alliance, s’appuyant sur une étude de l’International Council on Clean Transportation, 74 % de la navigation arctique ne serait pas affectée par la nouvelle règle alors que la substitution par des alternatives décarbonées permettrait une réduction immédiate d’environ 44 % des émissions de carbone noir, reconnu comme responsable d’environ 20 % de l’impact climatique du transport maritime (sur une base de 20 ans).

Selon l’International Council on Clean Transportation, seuls 30 % des navires de transport et 16 % de ceux propulsés au HFO seront réellement interdits.

 

Augmentation du transport maritime de 37 % en 10 ans

 

À l’approche de la date de promulgation de la nouvelle réglementation arctique, les associations environnementales sont revenues à l’attaque. « Voir qu’elle ne sera appliquée qu’à moitié n’est tout simplement pas suffisant, a rappelé à cette occasion Sian Prior, porte-voix de la Clean Arctic Alliance. Les États membres de l’OMI, en particulier les pays côtiers de l’Arctique, doivent mettre en œuvre l’interdiction du mazout lourd dans l’Arctique et l’appliquer pleinement avec effet immédiat, sans recourir à des échappatoires ».

L’Alliance, qui fédère 18 associations, s’inquiète de l’augmentation du trafic maritime relevée par le Conseil de l’Arctique de 37 % entre 2013 et 2023 et de 111 % de la distance totale parcourue au cours de la même période. Elle demande notamment à l’OMI d’étendre la zone couverte par l’interdiction à toutes les eaux arctiques au 60e parallèle nord (points de la surface de la Terre dont la latitude est égale à 60° nord).

 

Des décisions aux compte-gouttes

 

Les représentants du secteur du transport maritime estiment, eux, que c’est un pas en avant vers une meilleure protection de l’Arctique.

Certains pays, dont la Norvège, ont devancé la règle. Oslo a commencé à interdire le HFO dans la région du Svalbard en 2022. Et les autorités viennent d’infliger la première amende à un navire pour avoir enfreint les règles. Le Canada a annoncé pour sa part qu’il appliquerait la réglementation dès le 1er juillet tout en prévoyant des aménagements, notamment pour les navires de ravitaillement des communautés arctiques, encore autorisés à carburer au HFO jusqu’en 2026.

 

Autre bataille, les scrubbers et le GNL

 

Sur des sujets connexes, les militants antis ont deux autres ennemis publics : les scrubbers (en boucle ouverte) d’une part – ces dispositifs qui permettent d’épurer les gaz d’échappement et légitiment de fait l’usage du fuel lourd –, et le GNL d’autre part. « Le gaz naturel liquéfié ne fait que remplacer un polluant climatique puissant à courte durée de vie mais à fort impact – le carbone noir –, par un autre, le méthane », dénonce Sam Prior. Les experts conviennent que l’impact du méthane sur le réchauffement climatique est plus de 80 fois supérieur à celui d’une quantité équivalente de CO2.

En avril, Clean Arctic Alliance a livré les conclusions des deux rapports qu’elle avait mandatés sur les impacts générés par l’extraction et l’utilisation du GNL en tant que carburant marin (LNG and shipping in the Arctic, étude réalisée par Energy and Environmental Research Associates et The status and future projections of LNG production and use in the russian Arctic », par Bellona).

L’ONG défend qu’une solution à base de « diesel associée à l’installation de filtres à particules, comme prescrit pour d’autres modes de transport », pourrait « rapidement » réduire les émissions de carbone noir de plus de 90 %.

Pour sa part, Green Global Future, autre ONG, plaide en faveur d’une taxe portuaire élevée pour tous les navires utilisant des combustibles fossiles dans l’Arctique.

Source: Téma