L’Union européenne numérise les contrôles pour mieux réglementer la pêche
1 novembre 2024
1 novembre 2024
La pêche illicite a un impact majeur sur le commerce et l’environnement dans le monde entier en épuisant les stocks de poissons, en détruisant les habitats marins et en appauvrissant les pêcheurs honnêtes.
À Båtsfjord, un village de pêcheurs à l’extrême nord-est de la Norvège, une bonne journée de pêche peut rapporter 30 tonnes de poissons. Le cabillaud est le plus rentable, mais les poissons non désirés ne peuvent pas être simplement rejetés à la mer : chaque espèce doit être pesée et enregistrée individuellement.
Des inspections peuvent avoir lieu à tout moment, et la moindre erreur dans la déclaration des captures peut avoir de graves conséquences pour les pêcheurs, notamment de lourdes amendes et une réduction des quotas.
« Le secteur de la pêche en Norvège est strictement réglementé, il est donc très important pour nous de connaître le nombre exact de prises afin de pouvoir les déclarer au gouvernement », explique Tommy Jonassen, pêcheur. « Si nous commettons une erreur, dans le pire des cas, ils nous retirent la totalité de la prise ».
Pour peser rapidement et avec précision des tonnes de poissons différents, ce navire est équipé d’un nouveau dispositif qui utilise l’intelligence artificielle pour identifier les espèces, la taille et le poids des poissons à leur passage sur un tapis roulant.
L’objectif est de rendre le processus aussi automatique que possible.
Ce scanner révolutionnaire a été conçu par EveryFish, un projet européen qui développe des outils intelligents d’enregistrement des captures.
« Nous devons savoir ce qui se passe dans l’océan pour résoudre les différentes crises : la crise climatique et la crise de la biodiversité », explique la directrice du projet, Rachel Tiller, scientifique en chef à SINTEF Ocean à Trondheim.
« Nous étudions plusieurs développements dans le domaine de la technologie des caméras, de la vision artificielle et de l’intelligence artificielle », ajoute-t-elle. « Nous essayons de trouver des solutions pour installer sur les navires de pêche des capteurs qui nous aideront à enregistrer automatiquement tous les poissons qui sortent de la mer ».
Les ingénieurs travaillent en étroite collaboration avec les pêcheurs pour s’assurer que leurs solutions répondent aux besoins réels et qu’elles fonctionnent correctement dans des mers parfois très agitées.
« Il est très important d’obtenir le retour d’information de l’industrie, des navires, pour concevoir nos systèmes ici en laboratoire », affirme Elling Ruud Øye. « Si nous n’avons pas ce retour nous risquons de nous tromper de direction ».
Pour compter les prises sur les petits bateaux, les chercheurs développent des systèmes de vision par ordinateur capables d’identifier et de mesurer individuellement les poissons dans une pile de prises.
Cette méthode pourrait permettre à terme aux pêcheurs de scanner leurs prises à l’aide de caméras de vidéosurveillance ou même de smartphones, voire de guider des bras robotisés pour trier et manipuler les prises, prenant ainsi en charge certaines des tâches manuelles les plus difficiles.
Les caméras de surveillance embarquées sont déjà utilisées dans certains pays pour lutter contre la pêche illégale, comme aux Seychelles, où des agents de contrôle examinent régulièrement les images embarquées pour s’assurer que les pêcheurs respectent les règles.
En Europe, la vidéosurveillance doit en revanche respecter des lois strictes en matière de protection de la vie privée et des données.
« De nombreux pêcheurs sont déjà très sceptiques quant à la présence d’une caméra à bord de leur navire, et c’est tout à fait compréhensible. Je serais également sceptique si mon patron voulait installer une caméra dans mon bureau », déclare Rachel Tiller.
« C’est pourquoi nous développons des systèmes qui floutent automatiquement les éléments identifiables de l’être humain, afin de nous conformer aux réglementations GDPR et de respecter l’espace personnel ».
Dans le cadre de sa nouvelle réglementation, l’UE exigera prochainement l’installation de caméras de surveillance sur les navires à haut risque, ainsi que des systèmes de repérage par satellite sur tous les bateaux de pêche.
Ces outils permettront à l’Agence européenne de contrôle des pêches (EFCA) à Vigo, en Espagne, de surveiller plus facilement les activités de pêche et de mieux coordonner les inspections.
« Le signal est transmis au satellite, puis à nos systèmes, et nous pouvons voir les données sur l’écran », explique Lina Lendzbergiene, Coordinatrice à EFCA. « Ici, nous avons nos navires, là nous avons les bateaux de pêche, donc nous pouvons calculer le temps qu’il nous faut pour nous mettre en position ».
Avec l’augmentation du nombre de navires de pêche équipés de systèmes informatiques, des algorithmes entrent en jeu pour passer les grandes quantités de données au crible et repérer toute irrégularité.
« Par exemple, en ce qui concerne la zone de pêche très connue de Jabuka/Pomo Pit dans la mer Adriatique, nous avons défini certains algorithmes afin de déclencher des alertes si un navire accède à cette zone à une certaine vitesse qui indique une potentielle activité de pêche », explique Carlos Couce, administrateur des opérations de contrôle à l’EFCA.
Si les outils numériques, tels que les caméras et l’intelligence artificielle, sont des alliés précieux pour la surveillance des pêches, les experts soulignent que ces systèmes ne sont pas encore fiables à 100 %.
L’Union européenne continuera ainsi à associer des inspections traditionnelles à ces nouvelles technologies.
« Nous devrons nous pencher sur la manière dont nous travaillons avec ces données, sur les technologies que nous pouvons utiliser pour les traduire en résultats utilisables et exploitables », déclare Sven Tahon, spécialiste des technologies de surveillance à l’EFCA.
« Nous pouvons pour cela utiliser l’intelligence artificielle, les algorithmes, les outils de surveillance automatique du comportement. Tout cela est très bien, mais en fin de compte, malgré toute cette technologie, vous aurez toujours besoin de l’intervention professionnelle des inspecteurs de pêche », conclut-il.