« L’Union européenne doit plaider pour la création d’aires marines protégées en Antarctique »

 

Alors que se réunit le « groupe d’études Arctique, Antarctique, TAAF et grands fonds océaniques » mercredi 20 mars à l’Assemblée Nationale, Geneviève Pons et Pascal Lamy, vice-présidents du think tank Europe Jacques-Delors, alertent, dans une tribune au « Monde », sur les crises qui menacent l’Antarctique et l’océan Austral, et appellent à prendre toute la mesure de leur impact écologique et économique sur nos sociétés.

En nous interpellant sur le réveil de la crise climatique depuis la péninsule Antarctique en novembre 2023, le secrétaire général de l’ONU a lancé un appel à notre conscience collective. Les conséquences de la fonte des glaces sur le plateau continental antarctique dépasseront de loin les frontières de ce continent inhospitalier : parce que les répercussions économiques et humaines seront massives et susceptibles de toucher des millions de vies au cours de ce siècle, il s’agit d’une alerte mondiale.

Quelques semaines plus tard, l’ambassadeur français pour les pôles et les enjeux maritimes, Olivier Poivre d’Arvor, évoquait à son tour dans une tribune la transformation des pôles en « véritables bombes climatiques » (Le Monde du 2 février).

Les implications écologiques de la crise climatique en Antarctique sont multiples et évidentes. Par exemple, la disparition des glaces menace l’existence même des manchots empereurs, espèce emblématique de l’Antarctique. En outre, la propagation de la grippe aviaire, déjà présente dans la péninsule ouest-Antarctique, apparaît aujourd’hui comme une nouvelle menace, susceptible de décimer de nombreuses espèces animales.

 

Perte de biodiversité

 

Mais ces implications sont aussi économiques : le krill antarctique, fondamental pour la chaîne alimentaire océanique, est non seulement menacé par la surpêche, mais aussi par les perturbations climatiques. Cette perte de biodiversité marine pourrait avoir des répercussions dévastatrices sur les industries de la pêche à l’échelle globale, qui dépendent toutes, plus ou moins directement, de cette espèce.

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Plus alarmant encore, la fonte extrêmement rapide de la glace sur le plateau continental antarctique, qui représente 90 % de la cryosphère [c’est-à-dire l’ensemble des masses de glace, de neige et de sols gelés présentes sur la Terre]. Cette fonte contribue de manière importante et rapidement croissante à l’élévation du niveau de la mer, exposant ainsi près d’un milliard de personnes au recul du trait de côte d’ici à 2050.

Parallèlement, le tourisme polaire connaît une croissance exponentielle, attirant des visiteurs désireux de découvrir ce continent encore immaculé avant qu’il soit trop tard. Ce tourisme, mal réglementé, génère des dommages environnementaux supplémentaires et accroît les pressions sur une région déjà trop vulnérable.

Malgré l’accumulation des rapports scientifiques, la compréhension du rôle crucial de l’océan Austral et de sa biodiversité dans la régulation du climat reste insuffisante. L’océan Austral agit comme un thermostat, absorbant les excédents de chaleur et assurant le bon fonctionnement des courants océaniques, soutenant ainsi la vie marine et régulant le climat mondial. Sa préservation est essentielle pour maintenir l’équilibre climatique de la planète. Optimiser la gestion de la pêche au krill Face à ces constats, une solution évidente s’impose : celle de protéger l’océan Austral. Ce projet, porté depuis des années par l’Antarctic and Southern Ocean Coalition (ASOC) et Antarctica2030 et validé par le comité scientifique de la Convention sur la conservation de la faune et la flore marines de l’Antarctique (CCAMLR), est désormais à portée de main.

Dès cet été, la CCAMLR aura une occasion unique d’avancer de façon significative dans l’optimisation de la gestion de la pêche au krill et la protection de la péninsule Antarctique. Lire aussi la tribune : « Protéger l’environnement antarctique, c’est protéger l’avenir de la planète » En mettant en place un réseau d’aires marines protégées dans l’océan Austral, la CCAMLR afficherait son leadership dans la protection de l’océan. Mais elle marquerait aussi une avancée majeure vers la réalisation de l’objectif de protéger 30 % de l’océan d’ici à 2030, tel qu’inscrit dans le cadre mondial pour la biodiversité de Kunming-Montréal. En alignant son initiative sur cet objectif juridiquement contraignant, la CCAMLR obtiendrait une première victoire tangible dans la préservation des écosystèmes marins, ouvrant la voie à des initiatives similaires à travers le monde. Il est ainsi crucial que les dirigeants mondiaux reconnaissent l’urgence de cette situation et agissent en conséquence.

L’Union européenne (UE), forte de son héritage environnemental porté par Jacques Delors (1925-2023), qui en a fait une composante essentielle du développement durable, doit jouer un rôle de leader dans cette entreprise. En plaidant pour la création de ces aires marines protégées de l’Antarctique, l’UE peut contribuer de manière significative à la préservation de cet écosystème vital. Lire aussi la tribune : « Il faut sortir au plus vite des énergies fossiles pour protéger les régions polaires » L’heure est venue d’agir de manière décisive pour protéger les eaux de l’Antarctique. Au-delà des implications écologiques, c’est en effet notre responsabilité envers les générations futures et la planète tout entière qui est en jeu. Geneviève Pons et Pascal Lamy sont vice-présidents du think tank Europe Jacques-Delors et coprésidents de l’association Antarctica2030. Geneviève Pons (Vice-présidente du think tank Europe Jacques-Delors) et Pascal Lamy (Vice-président du think tank Europe Jacques-Delors).

Source: Le Monde