L’océan, cimetière des déchets du Covid

Blouses médicales, masques ou emballages de colis… La quantité de déchets plastiques liés au Covid est colossale, selon une étude scientifique. Ils finissent majoritairement dans les océans et représentent une « nouvelle menace pour la vie animale ».

Ici, un masque chirurgical dans un caniveau, là, des gants à usage unique abandonnés sur le bitume… La pandémie de Covid-19 a entraîné son lot de déchets plastiques qui finissent par polluer les mers. C’est ce que révèle une étude publiée ce mois-ci dans la revue de l’académie des sciences états-unienne (Pnas). Selon les auteurs, entre mars 2020 et août 2021, 26 000 tonnes de déchets plastiques en lien avec la pandémie auraient atterri dans l’océan. L’équivalent, en poids, d’une flotte de 2 500 bus, ou d’un troupeau de 4 500 éléphants. La faute à une gestion inadaptée de ce surplus de déchets par les pouvoirs publics.

L’équipe de chercheurs s’est penchée sur quatre types de déchets : les déchets hospitaliers, les kits de dépistage de virus, les équipements de protection individuels, et enfin les surplus d’emballages liés à l’explosion du commerce en ligne. En l’espace de dix-huit mois, selon leurs calculs, la pandémie aurait généré 8,4 millions de tonnes de déchets plastiques à travers le monde. Un chiffre appelé à augmenter dans les semaines à venir, compte tenu de la poursuite de l’épidémie. Selon leur modèle, 2,6 millions de tonnes supplémentaires devraient être produites d’ici la fin de l’année.

Les déchets hospitaliers représentent l’écrasante majorité de cette pollution (87,4 %), suivis par les masques (7,6 %) et les emballages plastiques liés à la livraison en ligne (4,7 %). Les kits de dépistage ne représentent quant à eux « que » 0,3 % de la production de déchets plastiques liés à la pandémie. « La raison pour laquelle les hôpitaux génèrent davantage de déchets est simple, explique à Reporterre Yanxu Zhang, l’un des auteurs de cette étude. Un masque ne pèse que cinq grammes. Le matériel médical (bouteilles, draps, gants, écrans faciaux, housses etc.) est en comparaison bien plus lourd. »

Les déchets produits dans le contexte de la pandémie sont une « nouvelle menace pour la vie animale »

La production de déchets plastiques n’est pas proportionnelle au nombre de cas de Covid-19 identifiés dans chaque région du monde, précisent les auteurs. 46 % des déchets plastiques « mal gérés » sont produits en Asie, suivie par l’Europe (24 %), et le continent américain (22 %). Cette situation reflète selon eux « le niveau plus faible de traitement des déchets médicaux » au sein de pays en voie de développement comme l’Inde, la Chine ou le Brésil. L’équipe de scientifiques note également que les pratiques de livraison express sont plus courantes en Asie, ce qui augmente la quantité d’emballages produits.

La quantité astronomique de déchets engloutie par l’océan au cours des dix-huit derniers mois a été charriée par 369 rivières. Les trois championnes du déversement plastique sont le Chatt-el-Arab, au Moyen-Orient (5 200 tonnes de déchets relâchés), l’Indus (4 000 tonnes) et le fleuve Yangzi, en Chine (3 700 tonnes). Le Danube, qui traverse l’Europe de l’Allemagne à l’Ukraine, fait également partie des sources de pollution les plus importantes. 1 700 tonnes de déchets liés à la pandémie ont suivi son cours avant de finir dans la mer Noire.

Un pingouin trouvé mort aux Açores en septembre 2020 avec un masque dans le ventre. Étude publiée dans le Marine Pollution Bulletin 2021

Les auteurs s’attendent à ce que cette pollution ait un « impact durable » sur la santé de l’océan. D’ici la fin du siècle, estiment-ils, la quasi-totalité des déchets liés à la pandémie aura fini leur course soit au fond de l’océan (pour 28,8 % d’entre eux), soit sur les plages (pour 70,5 %). Avec de graves conséquences pour la biodiversité. En mars 2021, des scientifiques néerlandais ont qualifié les déchets produits dans le contexte de la pandémie de « nouvelle menace pour la vie animale » après la découverte d’un poisson emprisonné dans un gant en latex flottant à la surface d’un canal de Leiden, aux Pays-Bas. Sept mois plus tôt, une équipe de chercheurs avait retrouvé au Brésil un manchot de Magellan mort après avoir ingéré un masque FFP-2.

« De nombreuses législations sur le plastique à usage unique ont été retirées ou reportées »

Les auteurs notent que la présence de ces déchets plastiques dans l’océan pourrait également faciliter le déplacement d’espèces invasives, voguant au gré des courants en s’accrochant aux débris de matériel médical. Masques, gants et emballages à la dérive pourraient également faire office de véhicule pour des substances contaminantes, « y compris le virus du Covid-19 », précisent-ils.

Afin de faire face à ce problème écologique et sanitaire, l’équipe de scientifiques appelle à améliorer la gestion des déchets médicaux, en particulier dans les pays en voie de développement. « Il est peu probable que nous parvenions à résoudre ce problème en peu de temps, en particulier à cause du manque de ressources disponibles, estime Yanxu Zhang. La situation pourrait cependant être améliorée en sensibilisant le public aux conséquences de la mauvaise gestion de ces déchets. » Les auteurs de cette étude invitent également à développer des matériaux plus respectueux de l’environnement et à améliorer les filières de recyclage à travers le monde. Une évolution qui pourrait se heurter à un obstacle de taille : « Afin de soutenir l’immense demande en équipement de protection personnelle, expliquent-ils, de nombreuses législations sur l’usage de plastique à usage unique ont été retirées ou reportées ». De quoi « compliquer » la régulation des déchets plastiques une fois la pandémie sous contrôle.

Source: Reporterre