L’île de Pâques: ses statues, ses mystères, le Pacifique… et désormais ses déchets
3 janvier 2025
3 janvier 2025
Au cœur du Pacifique, l’île de Pâques voit s’échouer sur ses côtes des millions de déchets en plastique chaque année. Le petit territoire chilien doit également gérer les poubelles laissées par les touristes venus admirer ses emblématiques statues.
A Hanga Nui, sur la pointe sud-est de l’île de Pâques, 15 moaï sont alignés les uns à côté des autres. Des touristes, téléphones portables à la main, prennent en photo ces géantes statues de pierre qui, dans la culture Rapa Nui, représentent les ancêtres importants des tribus qui habitaient l’île autrefois. Quelques centaines de mètres derrière cette carte postale, c’est un autre panorama qui se dessine.
Sur le bord de mer, assise entre les rochers, le dos courbé, Kina Paoa a les mains enfouies dans le sable. La jeune femme de 22 ans, née à Rapa Nui, collecte des centaines de petits confettis de toutes les couleurs. C’est en réalité du plastique. Plus elle creuse, plus elle en trouve: «La grande majorité de ce plastique vient d’autres pays et arrive jusqu’ici par la mer», explique-t-elle. L’île de Pâques est en effet située en plein milieu du gyre du Pacifique Sud, un puissant courant tourbillonnant qui ramène sur ses côtes 4,4 millions de déchets par an selon une étude de l’Université catholique du Nord, au Chili.
«Cela fait tellement longtemps que ce plastique voyage dans l’océan, avec le soleil, le sel, les chocs contre la roche, qu’il finit par se fractionner en de tout petits morceaux», poursuit Kina. Elle trouve aussi, échoués entre les rochers, des pneus, des bouées, des cordages, des bouts de seau, des bouchons en plastique, des caisses polystyrène… «A chaque sortie, on collecte environ 20 à 30 kilos d’ordures», précise-t-elle. C’est lors d’un atelier sur la conservation marine, quand elle était au collège, que Kina a commencé à s’intéresser à ce fléau du plastique. Désormais, elle se rend à la plage tous les week-ends pour ramasser ces déchets qui arrivent sans cesse sur le bord de mer. Elle transforme ensuite ce plastique dans son atelier pour en faire des petits objets comme des porte-clés, des bougeoirs ou des dominos, qu’elle vend aux touristes. «J’ai quand même la sensation que cela ne sert pas à grand-chose car c’est impossible de ramasser tout le plastique. Après avoir passé trois ou quatre heures à nettoyer la plage, il en reste toujours», se désole-t-elle.
A ses côtés, sa cousine Maria José Paoa parcourt les alentours et revient les bras chargés de morceaux de plastique et de cordes. «Je me sens plus tranquille après avoir nettoyé la plage», dit-elle. Mais d’ajouter: «C’est très impactant de voir la quantité de déchets qu’on ramasse. C’est désespérant parfois. Je passe des heures et des heures de ma vie à collecter des résidus qui ne sont pas les miens! Dans le même temps, il y a d’autres endroits du monde où tout cela n’importe pas et où on continue de générer toujours plus de déchets… Des fois, je me mets à penser et je me dis que mes efforts sont insignifiants.»
Dans les eaux qui entourent l’île, il y aurait plus d’un million de microplastiques au kilomètre carré. Presque la totalité des poissons autochtones seraient d’ailleurs contaminés par le microplastique, ou bien par des nanoparticules invisibles mais présentes dans leur organisme. Carlos l’atteste, il est pêcheur et vient d’amarrer son bateau à moteur dans le petit port de Hanga Roa. Tout en vidant la dizaine de thons qu’il vient de pêcher, il raconte: «Mes parents et mes grands-parents ne trouvaient pas de plastique dans le poisson contrairement à moi aujourd’hui. Parfois, j’ouvre les poissons et il y en a dans leurs estomacs. Les tortues aussi peuvent en être prisonnières, il faut alors intervenir pour les libérer.» Selon lui, une grande partie des déchets qui atteignent Rapa Nui provient des bateaux de la pêche industrielle, présents en grande quantité dans les eaux internationales autour de l’île.
C’est également ce que pense Nancy Rivera, elle coordonne l’unité d’investigation marine au sein de la mairie de Rapa Nui. Elle estime qu’au moins 50 à 60% des objets qui finissent sur les plages correspondent à du matériel de pêche. Sa collègue, Emilia Palma Tuki, biologiste marine, confirme: «Nous avons trouvé une bouée sur laquelle étaient inscrits des numéros, comme une sorte de plaque d’immatriculation. Après quelques recherches, il s’est avéré que ces numéros correspondaient à un bateau chinois avec des quotas disponibles pour pêcher.»
Des embarcations japonaises, australiennes et même européennes se trouvent également dans la zone. Pamela Averill, ingénieure océanographe, se souvient avoir identifié la provenance de caisses de poissons grâce aux inscriptions sur leurs emballages: «Beaucoup indiquaient l’Espagne.» Elle précise également qu’une partie du plastique déposé par les vagues sur les côtes de l’île vient du continent sud-américain, du Pérou et du Chili notamment, à plus de 3500 kilomètres de distance. Même s’il est difficile d’établir l’origine de tous ces plastiques à cause de leur dégradation en mer, une chose reste certaine, «ces quinze dernières années, il y a eu une augmentation exponentielle des déchets à Rapa Nui», soutient Pedro Lazo Hucke, gardien de parc sur l’île. Il pointe du doigt la responsabilité des pays producteurs de ces déchets et considère que c’est à eux d’instaurer des systèmes de recyclage, voire carrément de stopper la production de plastique.
Régulièrement, la mairie de Rapa Nui, aidée par les habitants, organise des nettoyages du littoral afin de récupérer les déchets qui s’accumulent sur les plages. Ils sont ensuite amenés au centre de recyclage Orito où ils s’entassent dans de grands sacs. «Nous n’avons pas d’autre endroit où les mettre, regrette Alexandra Tuki qui gère le centre depuis plus de vingt ans. Ils restent ici en attendant que nous trouvions du personnel pour les trier. C’est déjà mieux qu’ils soient là plutôt que sur le bord de mer.» A l’entrée d’Orito, des chiens errants, couchés par terre, évitent les va-et-vient des camions qui déchargent des kilos de bouteilles en plastique, de canettes d’aluminium et autres cartons aux abords du hangar sous lequel se trouve une grande machine compresseur… Le centre de recyclage s’occupe avant tout des déchets domestiques produits sur l’île par les quelque 8000 habitants mais aussi par les touristes, très nombreux.
La trentaine d’employés parvient à recycler un peu plus de 5% des détritus de l’île. «Cela me fait de la peine et ça m’énerve de voir autant de déchets, lâche Alexandra. Quand je suis née, il n’y en avait pas autant. Malheureusement, aujourd’hui, nous avons une mentalité très consumériste.» Et aussi une économie entièrement tournée vers le tourisme. L’île reçoit chaque année plus de 70 000 visiteurs, c’est moins qu’avant la pandémie mais c’est deux fois plus qu’il y a 10 ans. Parallèlement, la production de déchets à Rapa Nui a connu une évolution croissante. Chaque semaine, le centre Orito parvient tout de même à renvoyer dix tonnes de déchets triés sur le continent grâce à un accord passé avec l’unique compagnie aérienne qui opère sur l’île.
Alexandra aimerait pouvoir faire plus mais elle manque de moyens financiers, matériels et humains. Les 95% des déchets qui ne peuvent pas être recyclés finissent à la décharge municipale, bientôt saturée, et au-dessus de laquelle planent des rapaces en quête de nourriture. Des tonnes d’ordures s’y accumulent à l’air libre avec en fond le bleu intense de l’océan Pacifique. Alexandra montre une caisse de polystyrène abandonnée parmi les détritus: «Ces caisses arrivent par avion et contiennent des fruits, des légumes et de la viande congelée, détaille-t-elle. C’est moins cher pour les établissements touristiques d’acheter leurs produits sur le continent plutôt qu’aux producteurs locaux.»
L’île de Pâques a pourtant l’ambition de devenir un territoire «zéro déchet» d’ici à 2030. La mairie met en place des mesures pour aider notamment le secteur du tourisme à diminuer ses déchets. Une partie de la population Rapa Nui a également pris l’habitude de recycler ses poubelles. Mais face à l’afflux continu de plastique par la mer et à la production de déchets domestiques qui ne cesse pas, cet objectif semble pour l’instant difficilement atteignable.