L’Exploratorium : les mystères des fonds marins dévoilés par les satellites

 

Comment sont construites les cartes des fonds marins ? Si les données bathymétriques acquises par bateau sont essentielles, le développement de l’altimétrie satellitaire a révolutionné notre connaissance de ce monde enfoui sous les eaux.

Si les premières cartes topographiques des zones continentales datent de plusieurs siècles, le monde sous-marin est resté, quant à lui, largement méconnu jusqu’à très récemment. En effet, comment accéder à une topographie enfouie sous plusieurs kilomètres d’eau ? En dehors de la connaissance scientifique qu’elles apportent, ces données sont pourtant essentielles dans de nombreux domaines, en particulier ceux de la navigation, de la prospection pétrolière ou encore pour la pose de câbles sous-marins. Il faut rappeler que les océans recouvrent plus de 70 % de la surface du globe. Pour comprendre la Terre, il était donc crucial de trouver des moyens de cartographier ses fonds océaniques.

Le sondage bathymétrique : fiable mais difficile à mettre en œuvre de manière globale

La première carte bathymétrique, nous la devons à Marie Tharp et à Bruce Heezengéologues et cartographes américains. Élaborée dans les années 1950, cette carte repose sur la collection de nombreux résultats de sondages bathymétriques réalisés par bateau. Le travail est énorme et le résultat bluffant : en 1977, Tharp et Heezen dévoilent pour la première fois une carte mondiale des fonds océaniques. Un travail minutieux mais comportant d’importants trous de données, habilement comblés par extrapolation. Impossible en effet de sonder chaque recoin des océans.

Cartographie des fonds océaniques réalisée par Marie Tharp, Bruce Heezen et Heinrich Berann en 1977. © Berann, Heezen, Tharp, Library of Congress

Cette problématique liée à la limitation des acquisitions de données par bateau prendra cependant fin avec l’avènement des satellites. Proposée pour la première fois en 1965, la technique d’altimétrie spatiale sera finalement mise en œuvre à partir de 1975 avec les satellites américains Geos, Seasat puis Geosat. Mais la première grande mission altimétrique est menée en 1992 grâce au satellite franco-américain Topex/Poseidon.

Les débuts de l’altimétrie par satellite marquent une véritable révolution du point de vue de notre connaissance des fonds marins. Grâce à cette technique, l’étude des océans peut désormais se faire de manière globale.

Les données bathymétriques acquises par bateau (en vert) sont précises mais très localisées, certaines zones du globe sont particulièrement pauvres en données comme c'est le cas pour l'océan sud-est Indien © Bathymetric Data Viewer, NOAA

L’altimétrie satellitaire : lire le relief du fond à la surface de l’eau

Le principe de l’altimétrie satellitaire repose sur des mesures radar à très haute fréquence. Le satellite, positionné en orbite basse, envoie des impulsions en direction du sol. Les ondes électromagnétiques émises vont se propager jusqu’à rencontrer un obstacle, terre ou eau, et vont se réfléchir. Grâce à son antenne, le satellite va alors réceptionner cet écho radar. La mesure de la distance entre l’obstacle et le satellite permet ainsi d’obtenir très facilement l’altitude relative de l’obstacle.

Dans le cas des surfaces émergées, on obtient ainsi une carte topographique. Mais lorsque le satellite passe au-dessus des océans, l’onde émise va se réfléchir à la surface de l’eau, elle ne va pas pénétrer en profondeur. On obtient ainsi une carte de la hauteur de l’eau. On est loin de la carte bathymétrique espérée !

Pourtant, cette donnée est riche en informations qui vont permettre de construire les cartes du fond océanique. Car contrairement à ce que l’on peut penser, en dehors des perturbations créées par la houle, les vagues et les marées, la surface des océans n’est pas plane. Elle fait en réalité des bosses et des creux, qui sont intimement liés à la topographie du fond marin et à la distribution des masses dans la croûte océanique. Il faut imaginer les océans comme une couverture drapant le fond et épousant sa topographie, même si les choses sont un peu plus compliquées en réalité, comme nous allons le voir.

Des cartes non exemptes d’erreurs

La surface des océans suit ce que l’on appelle le géoïde, qui est une surface (immatérielle) d’équipotentiel du champ de gravité : la gravité y est la même en tout point. Le sol sur lequel nous marchons ne correspond pas nécessairement au géoïde, qui est dépendant de la distribution des masses dans le sous-sol et des variations de densité à l’intérieur de la Terre. Cependant, l’eau, étant un fluide, va s’adapter et suivre cette surface d’équipotentielle. La surface des océans va ainsi rendre compte des masses en profondeur. La surface de l’eau va former une bosse au-dessus des monts sous-marins par exemple, et un creux au niveau des zones des canyons ou failles. Grâce aux mesures des variations de la hauteur de la surface des océans, il a donc été possible de construire des cartes de bathymétrie mondiale, révélant la structure insoupçonnée des fonds sous-marins.

Pourtant, il existe un biais dans ces mesures. Car c’est le champ de gravité local qui influence la hauteur de l’eau. Si ce paramètre est bien lié à la topographie, il est également lié aux variations de densité à l’intérieur de la croûte. Ainsi, la présence d’une intrusion de matériel dense au sein de la croûte va créer un bombement de la surface de l’eau, sans qu’il y ait nécessairement de mont sous-marin à cet endroit. Si ce fait est extrêmement utile aux scientifiques pour sonder l’intérieur de la croûte terrestre, il peut entrainer des erreurs dans les cartes représentant la topographie du fond océanique. Il s’agit là du gros défaut des cartes réalisées par altimétrie satellitaire. Si ces cartes sont extrêmement utiles en première approche, elles doivent nécessairement être complétées par des mesures bathymétriques réalisées par bateau, de manière locale.

La surface des océans, en représentant une équipotentielle du champ de gravité, reflète la topographie du fond marin mais également la distribution des masses au sein de la croûte océanique. © Olivier Dequincey, Planet-terre.ens-lyon.fr

Comme toujours, c’est la compilation de données acquises par différentes techniques qui permet d’obtenir le résultat le plus fiable.    

Détail de la topographie du fond marin au niveau du plateau Naturaliste, pointe sud-ouest de l'Australie. Données acquises par altimétrie satellitaire couplée aux données acquises par bateau — les routes sont visibles dans la donnée sous forme de traces plus détaillées. © Gebco, gridded bathymetry data download

Source: Futura Planète