L’être et la mer. Pour un existentialisme écologique de Corine Pelluchon
8 novembre 2024
8 novembre 2024
Voici un ouvrage majeur, qui renouvelle notre rapport à la Terre et donc à la pensée écologique. Corine Pelluchon, sachant que la planète est pour deux tiers occupée par des mers et des océans, considère notre condition terrestre à partir de l’eau. Se focalisant sur l’élément aquatique, elle renouvelle la réflexion écologique en privilégiant l’approche « liquide », l’infini, le flux et le reflux, le calme et la tempête, la vie et la mort.
Cela la conduit à élaborer une écologie existentielle en partant des « classiques » de l’existentialisme (Sartre, Merleau-Ponty, Levinas, Heidegger…) qu’il convient d’écologiser. Aussi reprend-elle les thèmes de ces philosophes, « le rapport entre l’angoisse et l’absence de fondement, la contingence et la liberté, la finitude et la responsabilité », pour les confronter au réchauffement climatique et à toutes les profondes modifications que celui-ci provoque. André Gorz, écologiste imprégné de la pensée de Sartre, a ouvert la voie qu’elle explore à son tour. Tout comme elle emboîte le pas à Jan Patočka, contraint à la dissidence, du latin dis-sedere, « assis à l’écart ». Cette dissidence « correspond à la responsabilité dans l’incertitude et la précarité ». Celle-ci peut « constituer une communauté positive » en privilégiant ce qui « est commun aux êtres vivants et fait sens pour les humains. Car c’est en plongeant à travers sa propre impuissance dans le sans-fond de l’existence que l’on découvre la nudité de la vie et la vulnérabilité du vivant, qui exigent de prendre soin de soi, de la planète et des autres ».
S’inspirant de Val Plumwood (Dans l’œil du crocodile. L’humanité comme proie), de Marguerite Duras (La Vie tranquille), de Virginia Woolf (Les Vagues), de Rachel Carson (La Mer autour de nous), mais aussi d’Albert Camus (L’Été), de Jules Michelet (La Mer), de Victor Hugo (Les Travailleurs de la mer), de Paul Ricœur et d’Arne Næss, Corine Pelluchon précise ce qu’elle entend par « existentialisme écologique », « inséparable de la transdescendance qui est l’expérience de notre appartenance au monde commun ». Après des pages bien documentées sur les législations maritimes, tant nationales qu’internationales, et d’autres sur la faune océanique et la réduction tragique, là aussi, de la biodiversité, l’autrice est convaincue que « l’écologie impose un remaniement de nos cartes mentales ». Elle se préoccupe, avec originalité et inventivité, alors de « l’ontologie marine », des « humanités marines », de la « thalassopoétique » et de « l’archipélisation du monde », autant de formulations qui témoignent bien de la nécessité de penser différemment. « Penser l’être et la mer en insistant sur l’unicité de l’océan et sur sa préséance sur la terre ne revient pas seulement à mettre en évidence la communauté de destin et de vulnérabilité existant entre tous les êtres et tous les groupes sociaux pour en tirer des conséquences normatives. » Une telle conclusion annonce certainement une suite ?