L’érosion va grignoter les côtes françaises d’ici à la fin du siècle, condamnant des milliers de bâtiments
22 mars 2024
22 mars 2024
Un rapport non publié du Cerema analyse les effets de la hausse du niveau de la mer sur les littoraux français, de métropole et des outre-mer. Si ces effets sont relativement modestes à l’échéance 2028, le travail de sape s’accélère aux horizons 2050 et 2100.
Des falaises aux plages de sable, la mer grignote du terrain en France. Mais où, et à quel rythme ? Pour répondre à ces questions, le Centre d’études et d’expertises sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema), qui se présente comme l’expert public de l’évolution « du climat et des territoires de demain », s’est attelé à un exercice de prospective à trois échéances : 2028, 2050 et 2100. Ces travaux, qui ne sont pas encore officiellement rendus publics, permettent de se faire une idée du nombre de constructions qui vont être touchées en premier par l’inéluctable retrait des côtes. Ils dissocient l’érosion du littoral des probabilités de submersion marine.
Comme le rappelait la Cour des comptes dans son rapport sur l’adaptation de la France au changement climatique publié le 12 mars, en cinquante ans, entre 1960 et 2010, la France métropolitaine a déjà perdu près de 3 000 hectares de ses littoraux. Les magistrats recommandaient donc d’établir un diagnostic couvrant l’ensemble des territoires français et tenant compte de l’élévation prévisible du niveau de la mer. Les travaux du Cerema tombent donc à pic.
D’ici à 2028, un millier de bâtiments sont susceptibles d’être atteints par l’érosion littorale. Il s’agit de 528 logements répartis dans 300 bâtiments, dont la moitié sont des résidences secondaires. Leur valeur vénale est estimée à 167 millions d’euros. Sont aussi concernés, 340 constructions de la catégorie annexes et dépendances, quelques bâtiments publics ainsi que des locaux abritant des activités économiques. Le recensement en a identifié 191, dont 75 établissements de plage et 90 hôtels, restaurants, village de vacances, évalués à 54 millions d’euros, ainsi que vingt-huit postes de secours, vingt et une bases nautiques ou écoles de surf, un local ostréicole dans le Morbihan…
En nombre d’édifices concernés, la Corse, les Pyrénées-Atlantiques, le Var, suivis du Calvados, de la Seine-Maritime, de la Somme, de la Martinique et de la Guadeloupe apparaissent comme les plus exposés. En Guyane, 83 bâtiments sont considérés comme vulnérables.
Les Bouches-du-Rhône particulièrement exposées
Pour présenter sa méthodologie, fouillée, le Cerema évoque « un faisceau d’indices » qui lui a permis de repérer les édifices à risque dans une bande littorale de cinq mètres de large. Ce sont des constructions exposées, pas de futures victimes à coup sûr de l’érosion côtière. Les experts ont retenu un scénario prudent faisant notamment l’hypothèse que tous les ouvrages de protection – digues, enrochements – actuellement présents seront toujours en place et « sans défaillance » dans quatre ans. Et ils appliquent aux sites déjà marqués par un recul chronique le même taux de retrait que celui déjà enregistré depuis au moins cinquante ans.
A une échéance aussi brève que 2028, ce sont surtout les tempêtes majeures qui vont influencer la morphologie des côtes, sableuses en particulier, ainsi que les cyclones dans les outre-mer. Les experts ont intégré cette dimension de « recul événementiel » dans leurs scénarios concernant 2050 et 2100. Lire aussi : Le rythme de la montée des océans, capital pour la survie des écosystèmes côtiers Pour ces travaux, ils ont produit une cartographie nationale des zones basses sur les façades maritimes avec des données du service hydrographique et océanique de la marine et de l’Institut géographique national. Ils y ont adjoint une hauteur supplémentaire de 1 mètre afin de simuler l’élévation du niveau de la mer d’ici à 2100 prévue par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC).
A moyen et plus long terme, les impacts de l’érosion se multiplient par rapport à 2028. Selon les projections du Cerema, des superficies de près de 8 000 hectares seront touchées en 2050, dont 1 000 en outre-mer. Globalement, 760 hectares de zones urbanisées et 6 300 hectares de forêts, d’espaces naturels et de terres agricoles seront alors concernés. Puis, à l’horizon 2100, le recul du trait de côte atteint 506 200 hectares, dont 41 200 hectares de zones urbanisées. Les pertes de superficie des paysages forestiers ou agricoles annoncées ont de quoi donner le vertige dans les Bouches-du-Rhône (84 200 hectares), en Guyane (65 900 hectares) ainsi qu’en Charente-Maritime (48 700 hectares), et excèdent 21 000 hectares en Gironde, dans le Gard et la Manche. Routes coupées La centaine de bâtiments publics et parapublics potentiellement affectés est multipliée par cent entre 2050 et 2100.
Quant au nombre de logements rattrapés par l’eau, il s’élève à 5 200 en 2050, avant de grimper à près de 450 000 cinquante ans plus tard. Dans le même laps de temps, cinquante fois plus de résidences secondaires pourraient être concernées, passant de 2 000 à plus de 100 000. Les rapporteurs ont aussi détecté 1 400 locaux d’activité vulnérables à moyen terme : des bureaux, une majorité de commerces (620), 117 hôtels, une centaine de campings, dont une quinzaine d’entre eux pourraient perdre plus de 10 % de leur surface dès 2050. Lire aussi : Les câbles sous-marins toujours plus menacés par l’érosion côtière en France A la fin du siècle, dix fois plus d’hôtels seraient exposés. Dix fois plus de campings aussi : les départements de Vendée, de Charente-Maritime et de l’Hérault pourraient en compter, chacun, une centaine affectée. Au total, ce sont plus de 53 100 locaux d’activité qui pourraient pâtir de l’érosion du littoral. La dimension des coûts mérite d’être soulignée.
De 1 milliard d’euros en 2050, l’estimation de la valeur vénale des logements touchés grimpe à environ 86 milliards à la fin de ce siècle (55,5 milliards pour les habitations principales). Quant à la valeur des locaux d’activité, elle passe de 120 milliards d’euros à près de 7 500 milliards. Enfin les littoraux risquent de voir disparaître dans un premier temps 15,5 kilomètres de routes structurantes, coupées sur de nombreux tronçons, puis 1 765 kilomètres ainsi que 243 kilomètres de voies ferrées en 2100. « Des compromis à trouver » Les experts affirment avoir privilégié « un scénario réaliste ». Leurs projections sur les mouvements à venir du trait de côte utilisent des photographies aériennes datant des années 2010. Des mises à jour sont en cours. Elles devraient livrer un nouveau relevé de l’érosion côtière en France d’ici à la fin de l’année. Gonéri Le Cozannet, expert climat au Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) et coauteur au sein du GIEC, juge ce travail « intéressant ». « Bien sûr, l’échelle spatiale choisie ne peut pas être aussi précise qu’une étude locale, mais ce rapport présente une extrapolation des tendances qui est logique. »
Selon lui, l’hypothèse d’une tempête provoquant un recul du trait de côte de dix mètres est plausible durant ce siècle. En 2010, Xynthia avait repoussé la côte de vingt mètres. Comment les décideurs vont-ils maintenant s’emparer de ces données ? Choisiront-ils d’ajouter des ouvrages de protection ? De déplacer les habitants ? « Ce sont de toute façon des sujets qui doivent se discuter dès maintenant, car il y aura forcément des compromis à trouver », conclut Gonéri Le Cozannet. Lire aussi : Réchauffement climatique : les 126 communes de France qui devront s’adapter en priorité à la montée du niveau de la mer De fait, les pouvoirs publics commencent à réagir. En 2022, 126 villes françaises se sont ainsi inscrites sur la liste officielle des communes les plus exposées « aux phénomènes hydrosédimentaires entraînant l’érosion du littoral », ce qui les astreint à adapter leur politique d’aménagement et d’urbanisme.
Un an plus tard, 242 ont entrepris la même démarche, recensées par le décret du 31 juillet 2023. De son côté, le Comité national du trait de côte s’est réuni le 28 février. Ses membres ont commencé à aborder la difficile question du financement de la lutte contre l’érosion et du soutien des propriétaires concernés. Une réflexion également nourrie par l’inspection générale de l’environnement et du développement durable, qui vient de publier, le 8 mars, un rapport sur l’épineuse question des financements à l’aune des dégâts de l’érosion littorale. Et appelle, notamment, à « favoriser la responsabilisation des propriétaires des biens menacés » et à « identifier des recettes supplémentaires ».