L’économie bleue et l’innovation comme leviers régionaux

 

Le forum d’affaires, réunissant des hommes d’affaires français et mauriciens dans trois tables rondes la semaine dernière à Ébène, a été l’occasion de discuter de sujets spécifiques qui concernent les îles de l’océan Indien. L’économie bleue, le développement durable, la technologie et l’innovation sont autant de domaines qui présentent un fort potentiel de développement pour cette région stratégique du monde.

«Le potentiel de l’économie bleue est vraiment là», a soutenu Vassen Kauppaymuthoo, océanographe et ingénieur en environnement, lors de la première table ronde sur l’Économie bleue, la souveraineté alimentaire et les chaînes de valeur régionales. «Il existe des ressources halieutiques sur les bancs entre Maurice et les Seychelles – une grande montagne sous-marine – avec des espèces encore sous-exploitées. Ce secteur présente un potentiel important pour l’utilisation des ressources océaniques», avance l’ingénieur, qui estime également qu’il reste beaucoup à faire sur la souveraineté alimentaire, sachant que nous importons 80 % de notre nourriture. «On peut utiliser les protéines bleues pour renforcer notre sécurité alimentaire», estime-t-il. Mais des défis subsistent pour atteindre les objectifs souhaités. L’un d’eux est le problème de transport entre les îles. Selon lui, il faut développer une flotte de cabotage interpays. Alors que l’économie bleue offre plusieurs avantages, il insiste aussi sur la nécessité de partager équitablement et durablement les bénéfices du secteur.

Intervenant également, Arnaud Lagesse, Chief Executive Officer (CEO) du groupe IBL, explique que Maurice occupe une place stratégique dans cette zone, ce qui représente une opportunité unique de développement dans l’économie bleue. «Il y a une opportunité unique pour développer cette économie bleue dans les îles de l’océan Indien, mais nous avons besoin du soutien de nos partenaires pour rendre la région autonome par rapport au reste du monde.» Prenant l’exemple de son groupe, il rappelle qu’en 1972, celui-ci a commencé à s’intégrer avec la création d’une usine de thon. *«Une entreprise totalement intégrée. Nous avons une chaîne de valeur : nous transportons les poissons et les transformons. Les sous-produits sont convertis en farine animale, en huile…» *Malgré les avantages de l’économie bleue, l’idée est, selon lui, «de s’inscrire dans une coopération régionale et de voir comment, entre pays de la région, nous assurer que la ressource reste disponible et créer un maximum de valeur ajoutée localement».

Des défis à plusieurs niveaux

Arnaud Lagesse souligne que les défis sont multiples. Il explique que certains pays européens ont ouvert leurs quotas d’exportation de thon vers leur territoire : à l’époque, environ 15 000 tonnes à un tarif de 6 % ; aujourd’hui, on parle de plus de 35 000 tonnes à zéro tarif. «On se bat pour une meilleure gestion de la ressource, alors que l’UE, notre partenaire, laisse entrer plus de 35 000 tonnes de poisson sans réel contrôle. C’est un problème.» Il ajoute qu’un travail est en cours avec l’Union européenne (UE) pour s’assurer que le renouvellement de ces quotas soit plus équitable.

Un autre défi qu’il évoque concerne le port. «Malheureusement, Port-Louis n’est pas reconnu comme un port apte à recevoir des flottes d’armateurs européens, et donc, si ces flottes viennent ici, elles n’ont pas le droit de débarquer 10 % de leur production hors quota», explique-t-il. Il mentionne également que l’UE ouvre ses marchés à des pays comme la Turquie, le Ghana, la Thaïlande ou encore l’Équateur, qui deviennent des concurrents directs. Cela n’aide pas à la gestion globale de l’océan Indien, ni à la création de valeur ajoutée, ni au développement de l’économie bleue. «Il faut pouvoir établir avec nos partenaires une relation de confiance à long terme qui permette de reconnaître Maurice comme un partenaire clé», affirme le CEO.

Avec le changement climatique, des variations importantes dans les courants marins déplacent les poissons vers l’ouest de l’océan Indien, ce qui réduit les quotas de pêche dans les zones fréquentées par nos armateurs. «Il faut débloquer des crédits pour analyser le phénomène El Niño, comme on le fait aujourd’hui pour les cyclones», soutient aussi Arnaud Lagesse. Pour Cédric de Spéville, CEO du groupe Eclosia, la sécurité alimentaire passe par la production locale. «Elle est essentielle pour que le maximum soit produit localement. La coopération régionale et internationale est également primordiale.»

L’économie bleue, la souveraineté alimentaire et les chaînes de valeur régionales ont été au cœur du forum. L’océan Indien offre un large éventail d’opportunités, notamment à travers le développement durable de l’économie bleue, dans des secteurs comme la pêche, l’aquaculture ou encore les services maritimes. L’agro-industrie et la transformation alimentaire jouent un rôle central dans la quête de souveraineté alimentaire régionale. Produire et transformer localement permettrait de réduire la dépendance aux importations et de renforcer la sécurité alimentaire.

Enjeux communs et solutions durables partagées

Ce thème a été discuté lors d’une autre table ronde réunissant plusieurs acteurs, dont François Eynaud, CEO de Sunlife Mauritius. «La sustainability est un long parcours, mais il faut aller vite», avance-t-il. Il souligne que le transport aérien a une forte empreinte carbone pour faire venir les touristes à Maurice et qu’il est complexe de réduire cet impact. «L’objectif de la plupart des hôteliers est de réduire leur empreinte carbone.» Tous disposent de certifications spécifiques pour mesurer leurs progrès sur les KPIs liés au développement durable. Pour lui, les hôteliers travaillent à promouvoir la production locale et la protection des lagons est aussi leur priorité.

Cette table ronde a permis d’aborder plusieurs enjeux essentiels pour un développement plus durable de la région. L’accent a été mis sur l’aménagement du territoire et les infrastructures, avec une attention particulière portée aux villes durables et à leur rôle dans la transformation des espaces urbains. La transition énergétique a également occupé une place centrale dans les échanges, notamment à travers la promotion des énergies renouvelables, la gestion efficace de l’eau et des déchets, ainsi que la nécessité de mieux protéger l’environnement.

Enfin, la transformation du secteur touristique vers un modèle plus responsable, durable et de qualité a été soulignée comme une priorité pour préserver les atouts naturels de l’île tout en répondant aux attentes des visiteurs.

Servir la transformation numérique régionale

La troisième table ronde s’est penchée sur le potentiel de l’innovation, de la technologie et de la transformation numérique comme moteurs de développement régional. La discussion a mis en lumière les avancées de Maurice dans le domaine du numérique, notamment l’accélération de l’intelligence artificielle, devenue un levier stratégique pour moderniser les services et renforcer la compétitivité.

Un focus particulier a été porté sur la dynamique des startups entre Maurice et la France. Les intervenants ont aussi évoqué la nécessaire mutation de l’industrie manufacturière vers un modèle plus automatisé, intelligent et durable, en phase avec les exigences de l’industrie du futur.

Source : L’express