Le possible effondrement de la circulation océanique atlantique, régulant le climat, inquiète les scientifiques
10 janvier 2025
10 janvier 2025
L’AMOC, qui contribue à maintenir un climat doux en Europe, des pluies dans les tropiques et qui stocke du CO₂, devrait ralentir, et pourrait même s’arrêter, en raison du dérèglement climatique.
Un système de tempêtes colossal qui gèle tout sur son passage, avec des températures chutant à – 101 °C ; d’énormes grêlons qui frappent Tokyo ; de gigantesques tornades qui détruisent Los Angeles ; New York figée dans la glace… En 2004, le film hollywoodien Le Jour d’après, du réalisateur Roland Emmerich, dépeignait les conséquences catastrophiques d’une perturbation de la circulation de l’océan Atlantique, conduisant à une nouvelle ère glaciaire.
D’un point de vue scientifique, le scénario est totalement irréaliste, tant sur l’amplitude du refroidissement que sur l’échelle de temps : en quelques jours plutôt que sur des décennies ou des centaines d’années.
Reste que le blockbuster aborde une menace qui inquiète toujours davantage les scientifiques et qui suscite de vifs débats : le risque d’un effondrement de la principale circulation océanique de l’Atlantique. Cette circulation méridienne de retournement de l’Atlantique (ou AMOC, son acronyme anglais) contribue notamment à maintenir un climat doux en Europe et à réguler la température de l’Amérique du Nord.
Dans une lettre ouverte, publiée n octobre 2024 et adressée aux dirigeants du Conseil nordique des ministres, 44 scienti ques du climat mettaient en garde contre le risque d’un e ondrement de l’AMOC, aux e ets « irréversibles » et « dévastateurs », en particulier pour les pays nordiques, mais également pour l’ensemble du monde. Plusieurs études récentes, soulignent-ils, suggèrent que le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a « grandement sousestimé » cette menace et que le franchissement d’un point de bascule est une « possibilité sérieuse dès les prochaines décennies ».
Cercle vicieux « Il serait alors très di cile d’empêcher un e ondrement complet de l’AMOC, précise l’océanographe et climatologue Stefan Rahmstorf, du Potsdam Institute for Climate Impact Research, et l’un des signataires de la lettre. Cet e ondrement ne s’achèvera probablement qu’à la n du siècle ou plus tard, mais de graves répercussions se feront déjà sentir en cours de route. »
L’AMOC transporte de l’eau chaude salée de l’équateur vers les pôles, au large des côtes américaines, puis de l’Europe du Nord et de l’Ouest, jusqu’aux mers arctiques bordant le Groenland et la Scandinavie. Là, ces courants de surface se refroidissent, s’alourdissent et « plongent, jusqu’à 1 000 mètres de profondeur », avant de repartir vers le sud de l’hémisphère Sud plus en profondeur encore, décrit Didier Swingedouw, chercheur (CNRS) au Laboratoire environnements et paléoenvironnements océaniques et continentaux à Bordeaux, et l’un des signataires de la lettre. Cette circulation constitue l’un des plus grands systèmes de transport de chaleur de la planète : avec un débit de 18 millions de mètres cubes par seconde (environ cent fois l’Amazone), elle transère 1 pétawatt d’énergie, soit l’équivalent de la puissance d’un million de réacteurs nucléaires. Au-delà de réguler le climat des hautes latitudes, l’AMOC a ecte également le régime des pluies dans les tropiques, contribue à stocker du CO2 en profondeur et transporte des nutriments essentiels à la biodiversité marine.
Mais cette circulation devrait ralentir, voire pourrait s’arrêter, en raison du dérèglement climatique. D’abord, parce que les eaux de surface deviennent plus chaudes, donc moins denses. Ensuite, la fonte du Groenland et la hausse des précipitations augmentent l’apport en eau douce dans l’Atlantique, ce qui réduit la salinité de l’eau, donc sa densité. « La convection, c’est-à-dire le mélange des eaux, devient plus compliquée et il pourrait n’être plus possible de former des eaux denses profondes. Donc, tôt ou tard, l’AMOC ralentira », explique Julie Deshayes, directrice de recherche à l’Institut Pierre-SimonLaplace à Paris. Dans ce cercle vicieux, un seuil pourrait être franchi au-delà duquel l’AMOC ne pourrait revenir à son état initial et nirait par s’arrêter. « Une catastrophe dans la catastrophe » Ce point de bascule aurait des conséquences désastreuses. « Une catastrophe dans la catastrophe du changement climatique », résume Julie Deshayes. Les températures pourraient chuter de plusieurs degrés dans certaines zones de l’Amérique du Nord et de l’Europe du Nord, même si ce refroidissement serait atténué par le réchau ement climatique. « La France se refroidirait d’environ 1 °C au cours de la période 2075-2100, par rapport à la moyenne 2020-2025, dans le cas d’un e ondrement de l’AMOC débutant en 2070 et d’une poursuite de la trajectoire actuelle de réchau ement », précise Henk Dijkstra, l’un des auteurs d’une étude récente sur l’AMOC. A l’inverse, la température augmenterait dans l’hémisphère Sud. « Le contraste accru entre les températures alimentera davantage de phénomènes extrêmes », comme les pluies diluviennes, les tempêtes ou les sécheresses extrêmes, prévient Stefan Rahmstorf. La viabilité de l’agriculture dans le nord-ouest du Vieux Continent serait également menacée.
Une crise alimentaire majeure se pro lerait dans les tropiques. Les moussons africaines et sudaméricaines seraient déplacées vers le sud de 500 à 1 000 kilomètres, provoquant une baisse de 30 % des précipitations au Sahel a ectant les cultures vivrières. « Plusieurs dizaines de millions de personnes se retrouveraient en situation d’insécurité alimentaire, ce qui pourrait fortement augmenter la pression migratoire », prévient Didier Swingedouw. Les moussons asiatiques pourraient également diminuer. Enn, un arrêt de l’AMOC réduirait l’absorption du dioxyde de carbone par les océans, ce qui aggraverait le réchau ement climatique, et augmenterait l’élévation du niveau de la mer.
Un tel scénario peut-il se produire, et surtout à quelle échéance et à quelle vitesse ? Dans son dernier rapport, publié en 2021, le GIEC conclut, avec une « con ance modérée », qu’un e ondrement brutal n’aura pas lieu avant 2100. Il estime en revanche qu’il est « très probable » que l’AMOC diminuera d’un tiers en moyenne au cours du XXIe siècle, avec une « fourchette de – 3 % à – 72 %, selon les modèles et simulations », précise Didier Swingedouw. Les scienti ques n’ont qu’une « con ance faible » dans l’ampleur et le rythme du ralentissement à venir, mais également dans le fait que l’AMOC aurait déjà ralenti ces dernières décennies. Cette circulation pourrait être à son niveau le plus bas depuis un millénaire. Mais les observations directes, qui mesurent la force de l’AMOC, sont peu nombreuses et n’existent que depuis 2004, une « tendance trop courte pour distinguer la signature du changement climatique de la variabilité naturelle », rappelle Julie Deshayes.
Un sujet « très complexe »
Les modèles climatiques ont « sous-estimé le risque », avance Stefan Rahmstorf, parce qu’ils n’incluent pas la fonte des glaces du Groenland. De sorte qu’ils ne voient pas la principale preuve, à ses yeux, d’un ralentissement de l’AMOC depuis les années 1950 : le développement d’une zone froide au sudest du Groenland, que les Anglo-Saxons appellent « cold blob ». « Cette région est le seul endroit du monde à s’être refroidi depuis la n du XIXe siècle, alors que tout le reste de la planète se réchau e », a rme-t-il.