Le paradis pillé des eaux ouest-africaines

 

Dans les Cartes en mouvement, Flavie Holzinger revient sur la pêche illégale sur les côtes ouest-africaine, un sujet qui fait écho à l’accord de pêche qui liait l’Union européenne au Sénégal depuis 2014 et qui a pris fin le 17 novembre 2024.

Avec
  • Flavie Holzinger Journaliste au service Infographie du journal Le Monde

Depuis 2014, l’Union Européenne et le Sénégal étaient liés par un accord de pêche selon lequel les navires européens étaient autorisés à exercer dans les eaux sénégalaises. Le 17 novembre 2024, cet accord a pris fin suite à une décision unilatérale du Sénégal afin de protéger ses pêcheurs traditionnels. Une décision contestée par l’Union Européenne qui invoque les manquements de Dakar en matière de lutte contre la pêche illégale.

 

La côte ouest-africaine, une réserve surexploitée

 

Sur la carte de cette semaine, on peut voir la côte ouest-africaine, de la Mauritanie au Sierra-Leone. On y voit l’intensité de la pêche en nombre d’heures d’activité apparente. On a pu cartographier cette pêche grâce au système d’identification automatique dît AIS utilisé par le site Global Fishing Watch. Le système AIS est un dispositif d’échanges automatisés de données entre navires dont le but est d’éviter les collisions.

La façade atlantique de l’Afrique est dotée de réserves poissonneuses exceptionnelles, mais elle est victime d’une surexploitation due à la pêche illicite. La pêche illicite non-déclarée et non-réglementée que l’on appelle pêche INN désigne toute activité de pêche menée en violation des lois et réglementations. 
Environ 20 % des poissons pêchés illégalement dans le monde proviennent des eaux de six pays ouest-africains : Cap Vert, Guinée, Guinée-Bissau, Mauritanie, Sénégal et Sierra Leone.
Et on estime le manque à gagner lié à la pêche illégale pour les pays d’Afrique de l’Ouest entre 2,3 et 9,4 milliards de dollars par an. Cette situation fragilise non seulement l’économie mais aussi la sécurité alimentaire des pays côtiers.

 

Une carte qui met en avant l’intensité de la pêche

 

Sur notre carte; la couleur orange correspond aux navires chinois et la couleur verte aux navires africains. Car la pêche illégale est souvent pratiquée par des navires étrangers, principalement chinois. Ils prélèvent des quantités excédant la capacité de régénération des stocks, sans respecter les régulations. On voit bien sur notre graphique que la grande majorité des bateaux qui pêchent sur la côte nord-ouest africaine en 2024, sont chinois.

Mais la Chine est un géant incontesté des mers lié à l’importance de sa flotte, de sa production, et de sa pêche illégale.
Selon l’index de pêche INN, parmi les 152 États côtiers analysés en 2019 et en 2022, la Chine est en effet classée au premier rang en matière de pêche illégale.

Ce n’est pas très étonnant quand on sait que la flotte chinoise représente presque 15 % de la pêche mondiale, ce qui fait de la Chine le premier pays pêcheur au monde, avec 11,8 millions de tonnes de poissons pêchées en 2022.

Elle est aussi le premier importateur mondial de farine de poisson.

Son immense flotte de pêche serait, selon les données officielles du gouvernement chinois, composée de plus de 2 700 navires hauturiers, qui sont ceux qui naviguent en haute mer. Mais selon les estimations les plus hautes, la flotte pourrait atteindre près de 17 000. En comparaison, la flotte hauturière de l’Union européenne n’était composée que de 259 navires en 2022.

Et ce qui rend le phénomène de pêche illicite chinois encore plus difficile à quantifier, c’est que pour échapper aux sanctions, les chalutiers chinois utilisent des prête-noms ou battent pavillon africain, facilitant ainsi l’obtention de licences de pêche.

 

Une zone où la criminalité maritime est déjà forte

 

Dans le golfe de Guinée, les navires de pêche sont utilisés pour la contrebande d’armes, de drogue, de pétrole, et aussi pour la piraterie. En mars, une saisie record de 10 tonnes de cocaïne a été réalisée par la marine française dans le cadre de l’opération « Corymbe ».

Cette opération qui permet à la France depuis 1990 de déployer un à deux bâtiments français dans le golfe de Guinée de façon quasi permanente. La France contribue ainsi à renforcer les capacités des marines riveraines ainsi qu’à renforcer le développement de l’architecture de Yaoundé assurant la sécurité maritime régionale.

L’architecture de Yaoundé, c’est ce dispositif mis en place par les pays africains… En 2013. Elle marque la volonté africaine de s’engager dans la lutte contre les menaces maritimes dans le golfe de Guinée. Elle réunit les pays membres des Communautés économiques des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), des Communautés économiques des Etats de l’Afrique centrale (Ceeac) et de la Commission du golfe de Guinée (CGG).

On apprend ainsi que la façade atlantique africaine allant du Maroc à la Côte d’Ivoire est dotée d’un des écosystèmes les plus riches de la planète. Et pour cause ! On voit sur notre schéma un phénomène appelé l’upwelling : l’upwelling est un phénomène de remontée d’eau froide à forte concentration de plancton, qui favorise le foisonnement de crustacés, de poissons « nobles » comme la sole, le rouget, le mérou. Et de céphalopodes comme la poulpe et la seiche, très prisés pour leur valeur marchande mais qui aiguisent aussi…  les appétits étrangers.

Source : Radio france