Le Canada veut croquer un plus grand morceau de l’Arctique
6 janvier 2023
6 janvier 2023
Le Canada a augmenté de manière considérable ses revendications territoriales en Arctique, une décision qui semble avoir été prise en réaction à des revendications similaires déposées l’année dernière par la Russie, selon un expert.
Dans un document remis à l’ONU le 19 décembre, le gouvernement fédéral soutient que ses données géologiques et géophysiques lui confèrent des centaines de kilomètres carrés de plus qu’il ne l’aurait cru lors de sa dernière évaluation, il y a trois ans.
Plus précisément, ces données démontrent «que le plateau de l’Arctique central est un prolongement de la masse terrestre du Canada et, à ce titre, représente un composant naturel de sa marge continentale», avance le Canada dans cet addenda, qui sert de complément à son document de «demandes partielles» daté de 2019.
La nouvelle carte couvre des formations géologiques contestées par la Russie et, dans certains cas, par le Danemark, notamment la dorsale de Lomonossov. Longue de près de 2000 km, la dorsale relie des territoires adjacents aux trois pays. Cette dernière carte ajouterait deux millions de kilomètres carrés au plateau continental canadien.
«Pourquoi est-ce que brusquement on étend la revendication? Je ne peux pas croire qu’en l’espace d’un an, on ait des nouvelles scientifiques beaucoup plus avancées sur l’état des fonds marins», a affirmé Frédéric Lasserre, professeur de géographie à l’Université Laval.
La réponse passe par deux éléments, selon l’expert: l’envenimement continu des relations avec la Russie ainsi que ses nouvelles revendications, établies en 2021, qui augmentaient son territoire convoité de plus de 700 000 km2, s’approchant ainsi de la zone économique exclusive du Canada.
M. Lasserre voit donc «le geste que vient de poser le Canada» comme «une réponse au geste qu’a posé la Russie en 2021».
«Mon interprétation, c’est qu’on avait décidé de limiter les revendications en 2019 pour ne pas avoir l’air trop gourmand, a analysé M. Lasserre. On est fâché de l’extension de la revendication russe en 2021, et du coup, on lâche son fou d’une certaine façon et on se laisse librement aller à des revendications beaucoup plus étendues.»
La professeure Andrea Charron, de l’Université du Manitoba, n’est pas de cet avis.
Selon elle, il ne faut voir dans la démarche du Canada aucun lien avec la demande de la Russie, aucune volonté de «répondre» du tac au tac sur le plan politique: il faut interpréter le tout comme un processus entièrement scientifique, dénué d’intérêts politiques ou partisans.
«Les deux choses sont complètement séparées. Nous avons affaire à des scientifiques qui suivent un processus de l’ONU, donc je ne lirais rien de malfaisant dans ceci», a avancé celle qui dirige le Centre for Defence and Security Studies.
Dans un courriel vendredi, Affaires mondiales explique qu’«en augmentant la zone de chevauchement avec la Fédération de Russie, le Canada s’assure de se positionner favorablement en vue des négociations futures sur les limites de son plateau continental étendu dans l’océan Arctique».
Le ministère assure que «le Canada demeure fermement résolu à exercer ses pleins droits souverains dans l’Arctique» et que «la définition des frontières maritimes du Canada est une priorité du gouvernement».
En fin de compte, il reviendra à la Commission des limites du plateau continental de l’ONU d’évaluer, d’un œil purement scientifique, le mérite des demandes de chacun des pays souhaitant se départager l’Arctique et ses riches ressources sous-marines.
Il s’agit d’un long processus qui est bien loin d’aboutir. Les experts évaluent que la Commission pourrait trancher uniquement dans un horizon de 10 ou 15 ans, au minimum.
Aussi, l’ONU aura beau trancher sur les mérites scientifiques des uns et des autres, il n’a pas le pouvoir de tracer les frontières: ce sont les États concernés qui devront s’atteler à la tâche.
D’ici là, chaque pays impliqué dans la région est libre de présenter ses demandes, aussi «maximalistes» soient-elles.
«Les deux capitales [Moscou et Ottawa] ne sont pas dupes que ce n’est pas ça que la commission va leur reconnaître», a fait valoir M. Lasserre.