Le Bénin, acteur clé de la sécurité maritime dans le golfe de Guinée

Le golfe de Guinée s’étend le long des côtes de l’Afrique de l’Ouest, incluant des pays comme le Nigeria, le Ghana, la Côte d’Ivoire, et bien sûr, le Bénin. C’est une région stratégique pour le commerce international, notamment pour les exportations de pétrole et de gaz. Cependant, elle est aussi confrontée à des défis sécuritaires majeurs, principalement liés à la piraterie, aux trafics et à la pêche illicites. En 2020, plus de 90 % des enlèvements maritimes mondiaux ont eu lieu dans le golfe de Guinée, selon le Bureau maritime international (IMB). Dans ce contexte, le Bénin joue un rôle essentiel pour renforcer la sécurité maritime dans cette zone critique.

DES INITIATIVES NOMBREUSES ET ROBUSTES

Renforcement des capacités navales. Le Bénin a considérablement investi dans le renforcement de ses capacités navales pour faire face aux menaces maritimes. La marine béninoise a été équipée de nouveaux navires, et la préfecture maritime de technologies de surveillance modernes. Ces investissements permettent de mieux patrouiller les eaux territoriales et de répondre plus efficacement aux incidents en mer.

Coopération régionale et internationale. La sécurité maritime dans le golfe de Guinée ne peut être assurée sans une coopération étroite entre les pays riverains. Le Bénin participe activement à plusieurs initiatives régionales, telles que le Code de conduite de Yaoundé, adopté en 2013. Ce code vise à promouvoir la coopération et la coordination entre les pays de la région pour lutter contre les activités maritimes illicites. Le Bénin collabore également avec des partenaires internationaux, comme la Belgique, les États-Unis, la France et l’Union européenne, qui fournissent un soutien en formation, en équipement et en partage de renseignements. Des exercices navals conjoints sont régulièrement organisés pour améliorer l’interopérabilité entre les acteurs civils et militaires et les capacités opérationnelles des marines nationales de la région. Ce sont Obangame Express et Grand African NEMO (GANO), deux exercices organisés par l’Architecture de Yaoundé en collaboration avec les marines nationales de partenaires internationaux. Pour 2024, l’exercice Obangame Express qui s’est déroulé du 15 au 28 mai, a rassemblé plus de 4 500 marins et experts juridiques maritimes d’Afrique, d’Europe et d’autres régions. Son objectif principal était de renforcer la coopération régionale, en soutien au Code de conduite de Yaoundé, et d’améliorer la connaissance du domaine maritime (MDA). A sa suite, l’exercice GANO 2024 aura lieu à la fin de l’année. Il s’agira d’une opportunité pour développer la coopération régionale en matière de sécurité maritime et ouvrir la participation à de nouveaux partenaires de l’Architecture de Yaoundé. Un volet formation ambitieux sera également mis en place pour préparer les acteurs de l’exercice.

Développement de la surveillance maritime. La mise en place de systèmes de surveillance maritime sophistiqués dans le cadre de l’Architecture de Yaoundé est une autre pierre angulaire de la stratégie du Bénin. Le Centre Multinational Maritime de Coordination de la Zone E (CMMC-E) basé à Cotonou joue un rôle clé dans le suivi des activités maritimes. En outre, le Bénin s’est doté d’un dispositif de surveillance de sa façade maritime et des frontières terrestres de Hillacondji et de Kraké. Ce dispositif utilise des technologies avancées pour surveiller les mouvements des usagers de la mer et détecter les comportements jugés suspects.

Renforcement juridique et institutionnel. Le Bénin a également renforcé son cadre juridique pour lutter contre la criminalité maritime. Des lois spécifiques ont été adoptées pour criminaliser la piraterie, et des tribunaux spécialisés ont été créés pour juger ces infractions. De plus, des efforts sont faits pour améliorer la coordination entre les différentes agences gouvernementales impliquées dans la sécurité maritime, telles que la marine nationale, la préfecture maritime, l’unité spéciale de police fluviale et maritime et le service de douane maritime et fluviale.

DES DÉFIS PERSISTANTS

Malgré les progrès réalisés, le Bénin et ses partenaires régionaux continuent de faire face à des défis significatifs. La surveillance des vastes étendues d’eau est complexe en raison des capacités logistiques limitées et du coût élevé des technologies de surveillance, alors que les pirates deviennent de plus en plus sophistiqués, utilisant des technologies avancées et des tactiques complexes. Les facteurs socio-économiques sous-jacents, tels que la pauvreté et le chômage, alimentent également la piraterie. Pour une solution durable, il est essentiel de renforcer les capacités de surveillance, d’améliorer la coopération régionale, d’investir dans le développement socio-économique des communautés côtières, et de mettre en place des programmes de réinsertion et de sensibilisation.

Lutte contre la corruption. La corruption au sein des forces de l’ordre et des institutions gouvernementales a longtemps entravé l’efficacité des initiatives de sécurité maritime. Cependant, le Gouvernement du Bénin a entrepris des réformes significatives pour renforcer la transparence et la responsabilité.

Ces efforts incluent la mise en place de mécanismes rigoureux de surveillance et d’audit, ainsi que des programmes de formation pour les agents de sécurité.

Inclusion des communautés locales. Impliquer les communautés locales dans les initiatives de sécurité maritime a également renforcé leur efficacité. Les pêcheurs locaux et les autres utilisateurs de la mer jouent un rôle crucial en fournissant des renseignements et en participant à des programmes de surveillance communautaire. Le gouvernement béninois s’est assuré que toutes ces communautés soient incluses dans les processus décisionnels et bénéficient des initiatives de développement économique qui accompagnent les efforts de sécurité maritime.

Le Bénin est assurément un acteur clé de la sécurité maritime dans le golfe de Guinée, avec des initiatives robustes et une coopération régionale et internationale dynamique. Bien que des défis persistent, les progrès réalisés montrent un engagement clair envers la sécurisation de cette région stratégique.

En continuant à renforcer ses capacités navales, à améliorer son cadre juridique et institutionnel, et à collaborer avec des partenaires locaux et internationaux, le Bénin peut jouer un rôle déterminant dans la création d’un environnement maritime plus sûr et plus stable dans le golfe de Guinée.

Contre-amiral Fernand Maxime Ahoyo, Préfet maritime du Bénin

La coopération au cœur de la sécurité maritime dans le golfe de Guinée

Pour qui s’intéresse à la sécurité maritime, le golfe de Guinée constitue un théâtre atypique à plus d’un titre, requérant une coopération particulièrement évoluée des différents acteurs. En raison de sa taille, de sa concavité et du nombre important des ports de transit, le trafic maritime y est caractérisé par une multitude de rails qui s’entrecroisent. A cet enchevêtrement s’ajoutent les nombreux pêcheurs qui profitent de stocks halieutiques encore très riches.

Ce foisonnement donne d’emblée un sentiment de complexité à un observateur qui se penche sur la « situation AIS1 » de la zone. Pourtant il ne constitue qu’une représentation partielle de la réalité puisque de nombreux bâtiments coupent leur transpondeur afin d’éviter d’être la cible de pirates, dont les manifestations n’ont pas complètement disparu. L’ensemble de ces éléments fait du golfe de Guinée un théâtre maritime plus difficile à maitriser qu’on pourrait le croire.

UNE ACTIVITÉ CRIMINELLE CONSÉQUENTE

Cette difficulté constitue une aubaine pour les trafiquants et autres criminels. Les innombrables pêcheurs illégaux privent la région de 1,5 à 3 milliards d’euros de revenus, selon les sources. Les saisies de plus en plus importantes de cocaïne trahissent quant à elles un trafic de drogue en croissance exponentielle, faisant du golfe de Guinée, selon l’ONUDC2, l’artère principale d’alimentation de l’Europe. Si cette menace est encore majoritairement à destination des pays occidentaux, la corruption gangrène progressivement les pays de transit et la consommation gagne du terrain grâce à la baisse des prix et au paiement en nature des intermédiaires logistiques. Le trafic de carburant constitue également un fléau, spoliant les économies locales et constituant un danger écologique pour la région, et la pêche en particulier. Enfin, les flux migratoires non maitrisés par voie de mer déstabilisent les États. 

DES ACTEURS MULTIPLES DE LA SÉCURITÉ MARITIME

Ces menaces qui touchent à la fois les pays de la région mais par rebond une grande partie de l’Europe ont conduit plusieurs acteurs à s’impliquer dans la sécurité maritime. De nombreux pays non africains (Espagne, Italie, Danemark, Grande-Bretagne, Inde, Etats-Unis, Russie, Chine) déploient ainsi de façon ponctuelle ou régulière des unités en mer. Les entités internationales ont également lancé des initiatives ou des programmes.

On peut ainsi citer, sans prétendre à l’exhaustivité, l’ONUDC (cité plus haut), GI WACAF (L’Initiative mondiale pour l’Afrique occidentale, centrale et australe de l’Organisation maritime internationale contre les pollutions marines par hydrocarbures), « Amis du golfe de Guinée » (G7++), SEACOP (lutte contre le trafic maritime illicite et les réseaux criminels financé par l’Union européenne/UE), PESCAO (Amélioration de la gouvernance régionale des pêches en Afrique de l’Ouest / UE), GoGIN (Réseau Inter-régional pour le golfe de Guinée pour l’amélioration de la sécurité et de la sûreté maritimes / UE). Leur multiplicité complique la vision globale de leurs actions et l’efficacité de l’addition de leurs actions.

Les entités régionales se sont également emparées très tôt des enjeux maritimes. Sur le front de la pêche, la CSRP3 (qui va bientôt fêter ses quarante ans), le CPCO4 et le COREP5 illustrent la prise de conscience régionale précoce des enjeux liés à la surpêche. A l’échelle du golfe de Guinée, l’existence de l’Architecture de Yaoundé (architecture de coopération interrégionale pour le maintien de la sécurité et la sûreté maritimes), portée sur les fonts baptismaux il y a onze ans par la CEDEAO6 et la CEEAC7, montre que ces préoccupations ont été élargies à l’ensemble du spectre de la sécurité maritime.

BÉNIN, LE CADRE EFFICACE DE L’ACTION DE L’ÉTAT EN MER

Enfin, les pays eux-mêmes n’ont pas attendu ces initiatives régionales ou internationales pour faire face à la situation. Le Bénin, en particulier, a publié, dès 2012, la Stratégie béninoise de protection, de sécurité et de sûreté maritimes. Ce document s’est rapidement concrétisé par un important effort capacitaire traduit par l’acquisition de patrouilleurs et la mise en place d’une chaîne sémaphorique complète. Et la récente nomination du préfet maritime au grade de contre-amiral illustre, outre les mérites personnels de l’amiral Ahoyo, la maturité de l’organisation de l’action de l’État en mer.

Le Bénin s’est en effet doté d’une spécificité organisationnelle qui repose non sur un corps de garde-côtes, mais sur le concept de coopération qu’est l’Action de l’État en Mer. Ce concept singulier, également mise en œuvre par la France, répartit les missions de l’État entre les administrations présentes en mer en définissant des « menants » et des « concourants ».

L’action est ensuite conduite par chaque administration en charge des moyens mis en œuvre mais demeure coordonnée par une seule autorité : le préfet maritime. Ce système s’avère redoutablement efficace.

Juin 2024, le Bénin, la Côte d’ivoire, le Gabon, le Congo, le Sénégal, la Guinée, le Togo et la France étaient réunis à la préfecture maritime de
Brest (France) pour une conférence sur l’Action de l’Etat en mer, l’occasion de conforter la collaboration et les échanges interalliés. En uniforme, à gauche, le contre-amiral Fernand Maxime Ahoyo, préfet maritime du Bénin, au centre le vice-amiral d’escadre Jean François Quérat, préfet maritime de l’Atlantique. Crédit : Marine nationale.

L’ACTION DE LA FRANCE DANS LE GOLFE DE GUINÉE

A l’échelle du golfe de Guinée, le défi global est de travailler à une approche adaptée, performante et respectueuse des prérogatives de chaque partenaire. C’est là le délicat travail de l’Architecture de Yaoundé, rendu d’autant plus complexe par la multiplicité des acteurs et le croisement des intérêts propres à chacun d’entre eux. La marine française est un de ces acteurs. Ses moyens navals sont commandés depuis Brest, en France, par le commandant en chef pour l’Atlantique (CECLANT), également préfet maritime, qui propose des actions de coopération telles que, dans le domaine de la formation, l’académie maritime embarquée SIREN, ou dans le domaine de l’entraînement à la mer, l’exercice régional et inter administration Grand African Nemo (GANO), ou encore certaines actions multilatérales dans le champ opérationnel.

L’académie maritime embarquée SIREN est un concept atypique et récent qui vise à proposer à des stagiaires issus de marines et administrations de pays de la région une formation supérieure à bord d’un porte-hélicoptères amphibie déployé dans le golfe de Guinée. Cette académie repose sur quatre piliers : une partie formation théorique (conduite par de très nombreux partenaires), des exercices de restitutions, une meilleure connaissance mutuelle permise par l’expérience embarquée et enfin une capacité de rédaction – celles des stagiaires eux-mêmes – au profit des pays de la région ou de l’Architecture de Yaoundé.

Grand African Nemo, lancé en 2018 et co-organisé avec l’Architecture de Yaoundé, s’est peu à peu imposé comme l’un des rendez-vous majeurs de la sécurité maritime, impliquant en 2023 plus de 3 000 personnels issus de toutes les administrations des pays de la côte ouest-africaine. L’exercice repose sur trois principes : il vise à concourir à la promotion de l’économie bleue et fait donc la part belle aux scenarii de lutte contre pêche INN8 ou les pollutions ; il est construit avec et par les pays du golfe de Guinée eux-mêmes lors des différentes conférences de planification organisées par l’Architecture de Yaoundé et par CECLANT ; enfin il bénéficie du concours de très nombreux acteurs internationaux (les programmes européens ENMARGoGINSEACOP, les agences européennes EMSA et EFCAONUDCINTERPOL, MAOC, CèdreCEPPOLISMI,…). Leur présence permet de concevoir des situations complexes, avec des scénarii réalistes, et de faire jouer toutes les administrations participantes.

Enfin, car c’est bien là l’objectif final, CECLANT coopère également dans le champ opérationnel lui-même. C’est le cas par exemple avec le Sénégal où, sur la base de renseignements transmis par le MAOC-N9, la marine française a agi de concert à plusieurs reprises avec la marine sénégalaise pour relocaliser et intercepter des bateaux suspectés de trafics de drogue ; ou encore avec le Bénin et plusieurs pays relevant du CPCO pour conduire des patrouilles de contrôle de pêche, avec l’appui de l’EFCA (Agence européenne de contrôle des pêches) par le biais de l’ancien programme européen PESCAO. Ce dernier identifiait les zones où des situations paraissaient suspectes, la marine française – parfois soutenue par les mahttps://www.efca.europa.eu/frrines italienne et espagnole – dépêchait un moyen afin de confirmer les critères de suspicion et relayait l’information via YARIS (plateforme de partage de l’information maritime pour le golfe de Guinée) au CPCO et aux marines locales afin de permettre une intervention des patrouilleurs et agents régionaux.

Ainsi se concrétise l’effort de la France dans le golfe de Guinée aujourd’hui, en coopération active avec les multiples acteurs. Nombreux restent encore les défis à relever qui dépassent le seul champ militaire et sécuritaire. La sécurité maritime dans cette zone stratégique est, et restera, une des missions à laquelle le Commandement en chef de la Marine nationale française pour l’Atlantique apportera encore longtemps sa contribution.

Vice-amiral d’escadre Jean-François Quérat

Commandant en chef de la Marine nationale française pour l’Atlantique, Préfet maritime de l’Atlantique

NOTES :

  1. AIS : Automatic identification system – Transpondeurs fournissant automatiquement des informations sur le navire, obligatoires pour les bâtiments d’un certain tonnage.
  2. Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime.
  3. Commission sous régionale des pêches regroupant 7 Etats Ouest-africains (Dakar).
  4. Comité des Pêches du centre Ouest regroupant 6 Etats du centre du golfe de Guinée (Tema).
  5. Commission régionale des pêches du golfe de Guinée regroupant 6 Etats du Sud-Ouest africain (Libreville).
  6. Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest.
  7. Communauté Economique des Etats de l’Afrique centrale.
  8. INN : La pêche illicite, non déclarée et non réglementée.
  9. Maritime Analysis and Operations Center – Narcotics (Lisbonne).

Source:  Theatrum Belli