La planche de surf du futur est à base d’algues
5 juillet 2023
5 juillet 2023
Pour faire disparaître les matériaux pétrochimiques de la conception des planches, un jeune entrepreneur breton propose un modèle imprimé en 3D et fabriqué à partir de végétaux marins. Objectif : lancer, d’ici un an, la commercialisation de sa marque, Paradoxal Surfboards.
Sourire timide et une étrange planche de surf translucide sous le bras, Jérémy Lucas savoure son bonheur en brandissant le trophée de l’ Ocean Pitch Challenge . Ce jeune entrepreneur de Douarnenez (29), soudain propulsé sur le devant de la scène, semble enfin en mesure de réaliser l’ambition qui l’habite depuis 2020 : créer une planche de surf écologique et 100 % bretonne.
Diplômé de commerce et surfeur passionné, Jérémy Lucas a monté avec un associé, entre 2019 et 2021, un bureau d’études alliant dessin industriel et impression 3D. « Cela a été un véritable succès, mais nous avions trop de commandes, c’était chronophage, nous peinions à rentabiliser l’activité d’impression », raconte-t-il. Une situation qui le convainc de produire, grâce à cette technique, un objet à forte valeur ajoutée. Au même moment, une cliente lui fait prendre conscience que le matériau utilisé dans son imprimante 3D, du plastique végétal à base d’amidon de maïs, n’est pas neutre environnementalement car importé des Etats-Unis à grands frais et issu d’une culture gourmande en eau. Le jeune entrepreneur cherche alors un substitut.
La solution pour un nouveau matériau tout comme le concept de l’objet précieux à imprimer lui viennent plutôt brutalement, un jour qu’il part à l’assaut des vagues sur sa fidèle planche. Dans une mer agitée et fortement contaminée aux algues vertes, véritable fléau breton avec plusieurs dizaines de millions de tonnes échouées sur les plages chaque année, Jérémy Lucas boit la tasse à plusieurs reprises. Résultat : une intoxication et une épiphanie. Deux jours cloués au lit sont ainsi le prix à payer pour l’idée qui le tient depuis : imprimer un surf 100 % « made in Breizh » et fabriqué à partir d’algues. Il dépose la marque Paradoxal Surfboards en 2020.
Car il y a bien un « paradoxe du surfeur », que résume Jérémy Lucas : « C’est un sport qui éveille la conscience écologique, mais qui se pratique avec des équipements impactant négativement l’environnement. » Crème solaire, combinaison en Néoprène… sans oublier la planche elle-même ! On estime que la fabrication d’un surf émet entre 170 et 270 kg de CO2 par unité. La marque française Notox a même calculé que les 2,4 millions de planches fabriquées chaque année dans le monde étaient responsables de la production de 15.000 tonnes de déchets toxiques non recyclés.
Premières responsables de cette pollution, la mousse polystyrène ou le polyuréthane avec lesquelles sont constituées aujourd’hui – et ce depuis les années 1960 – l’écrasante majorité des planches de surf. A cela il faut ajouter les résines et les fibres également souvent issues de l’industrie pétrochimique. « Le taux de renouvellement d’une planche est estimé entre deux et trois ans, ce qui est peu », rappelle Jérémy Lucas, soit la même durée de vie qu’un smartphone pour un bilan carbone huit fois supérieur.
Changer le matériau de base du surf devient donc urgent. Mais malgré un départ prometteur, avec un premier prix remporté en 2021 au Rotary Club de Quimper, le projet prend du retard. En cause, la pandémie et la nécessité pour Jérémy Lucas, qui a quitté son cabinet d’études pour se consacrer à son projet, de retrouver un travail alimentaire. Après plus d’un an en mission au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives de Bretagne, il décide de relancer Paradoxal Surfboards en mars 2023. Un retour gagnant, avec le premier prix obtenu à l’Ocean Pitch Challenge, parmi 136 candidats de 41 pays.
Jérémy Lucas n’a pas perdu de temps et a noué des contacts avec plusieurs entreprises et institutions bretonnes, comme Olmix et Algopack, qui se chargent de la collecte et de la valorisation des algues vertes en les réduisant en poudre séchée, mais aussi avec l’assembleur de navires MerConcept, chez qui il peut récupérer des fibres de carbone issues de chutes industrielles, ou encore le laboratoire ComposiTic pour la formulation du matériau pour l’imprimante 3D.
Le choix de cette technologie de fabrication s’explique par plusieurs raisons : « Avec l’imprimante 3D, on peut utiliser indifféremment plusieurs matériaux biosourcés, précise l’entrepreneur. Cela permet aussi de garantir une plus grande solidité de la planche, en ajoutant de la matière pour consolider précisément là où les points de fragilité ont été identifiés, ce qui n’est pas possible avec les surfs taillés dans les blocs de mousse. Aussi, le procédé est bien moins énergivore que l’opération classique de production, et toutes les chutes de matériaux peuvent être réutilisées dans l’imprimante. »
Enfin, autre argument et pas des moindres, l’impression 3D permet de donner un design complexe et unique à la planche, quasiment impossible à atteindre chez un fabricant artisanal comme industriel. La planche de Jérémy Lucas présente ainsi une structure alvéolaire directement inspirée… d’une algue verte, la diatomée, dont la forme même ressemble à celle d’un surf.
Autant dire que Paradoxal Surfboards se positionne sur le très haut de gamme, avec une planche à environ 1.000 euros, contre 300 euros pour un surf premier prix et 800 euros pour un équipement sur mesure. Jérémy Lucas a pour ambition de lancer la précommande de ses planches dès l’été 2024.
Car beaucoup reste encore à faire, et le calendrier de la jeune marque est bien chargé. Lors de l’Ocean Pitch Challenge, le prototype présenté par l’entrepreneur breton n’était pas en algue, mais en amidon de maïs. Il visait à prouver que l’impression 3D de la planche était réalisable. Cet été, Jérémy Lucas va mettre au point une preuve de concept, avec une planche imprimée à base d’algues sargasses, avant d’entamer un tour des salons proposant des solutions environnementales. Paradoxal Surfboards sera ainsi présent, à la rentrée, au Cannes Yachting Festival, puis au salon Pollutec avant de se rendre au Festival Innovation Mer & Littoral et enfin aux Assises de l’économie de la mer. Autant d’occasions pour la marque de séduire des investisseurs.
Parallèlement, Jérémy Lucas veut s’atteler à la mesure d’impact environnementale et énergétique de sa solution. Une seule certitude cependant : « Nous serons le troisième acteur mondial à fabriquer des planches grâce à l’impression 3D et le seul n’utilisant ni bois ni matériaux plastiques, recyclés ou non. Le but est de faire une planche à 100 % en algues d’échouage. » Ne reste plus qu’à prendre la vague, sans boire la tasse.