La pêchécologie, le futur écolo de la pêche ?

Dans son livre « La pêchécologie », le chercheur Didier Gascuel dessine les contours d’une « agroécologie pour l’océan », afin de sauver les mers des dérives de la pêche.

Les pratiques agricoles vertueuses sont définies, depuis près de cent ans, par le terme d’« agroécologie ». Manquait le pendant marin du concept. Problème résolu avec la publication récente de La pêchécologie – Manifeste pour une pêche vraiment durable (éditions Quae), de Didier Gascuel.

En une centaine de pages, écrites de manière très pédagogique, le chercheur en écologie marine dresse les contours de cette nouvelle forme « d’agroécologie pour l’océan », respectueuse de la biodiversité marine et de la résilience des écosystèmes. Cette approche, prévient-il, n’est désormais « plus une option » si l’on veut éviter la faillite des océans.

La disparition d’un monde d’abondance

Ce livre s’ouvre sur un constat : la pêche industrielle a laminé le monde du silence. « Il faut se faire violence pour imaginer le monde d’abondance d’où nous venons et que nous avons progressivement fait disparaître, écrit le directeur du pôle Halieutique, mer et littoral de l’Institut Agro. Un monde plein de poissons énormes, de gros thons, mérous ou flétans, des barracudas et des esturgeons de plusieurs mètres, des raies et des requins gigantesques, des soles, des congres ou des merlus comme on n’en voit plus. »

Par appât du gain, la filière a scié la branche sur laquelle elle était assise, explique le chercheur. Le pic des captures mondiales de poissons a été atteint en 1996. Il n’a depuis fait que régresser. Et ce, alors que les moyens techniques déployés pour maximiser les prises – sondeurs, sonars, dispositifs de concentration de poissons… – n’ont cesser de se multiplier.

Pour survivre, la pêche devra s’affranchir des normes productivistes. Unsplash / Nick Fewings

Une question vient immédiatement à l’esprit à la lecture de ce sombre constat : faut-il enterrer cette filière, désignée par la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) comme la première cause d’érosion de la biodiversité marine ? Non, défend le chercheur. Pour la bonne et simple raison qu’elle est la seule « qui ait objectivement et directement intérêt au maintien d’écosystèmes en bonne santé », contrairement au secteur du transport, au tourisme, aux entreprises énergétiques et à l’industrie minière, qui placent déjà leurs pions destructeurs sur le plancher océanique.

La pêche doit cependant effectuer un virage à 180 degrés afin de ne pas annihiler le peu de vie subsistant dans l’océan. « L’ambition vers laquelle nous devons tendre, affirme Didier Gascuel, c’est une pêche douce des plus beaux fruits dans le jardin d’Éden. »

Plusieurs adaptations techniques sont à la portée des pêcheurs, comme l’utilisation de filets aux mailles plus larges. Unsplash / Isabela Kronemberger

Comment y parvenir ? D’abord, en s’affranchissant des normes productivistes qui constituent le phare de la filière. Plutôt que le « rendement maximum durable », le critère « sans réelle justification écologique » actuellement utilisé pour définir les quotas de pêche, le chercheur prône la « sous-exploitation » de l’océan, plus durable, mais également plus judicieuse économiquement.

« Quand on sous-exploite, la ressource est plus abondante. On améliore donc à la fois la rentabilité et le fonctionnement des écosystèmes », nous assure le chercheur au téléphone. Plusieurs pays, comme les États-Unis, le Canada ou l’Afrique du Sud, ont d’ailleurs déjà décidé de suivre cette voie.

Stopper la destruction des fonds marins

Autre incontournable : protéger les jeunes poissons (indispensables au repeuplement des océans) en augmentant largement la taille des mailles des filets, et en interdisant la pêche dans les zones de nourriceries.

Le chalut et la drague, qui raclent les fonds marins et les transforment « peu ou prou en champs labourés », doivent également être délaissés au profit de techniques de pêche moins énergivores et destructrices, comme la ligne, le casier, les filets ou, pour la récolte de la coquille Saint-Jacques, la plongée. Le tout en s’appuyant sur une connaissance plus fine des comportements et de la distribution des poissons ciblés, afin d’éviter les prises d’espèces protégées.

Didier Gascuel propose de récompenser les pêches les plus respectueuses du vivant. Unsplash / Riddhiman Bhowmik

Didier Gascuel propose plusieurs autres pistes pour entraîner la filière dans le courant vertueux de la « pêchécologie » : éliminer les subventions néfastes (notamment sur le gasoil de pêche), renforcer la protection des aires marines protégées, généraliser les filets biodégradables… Et, surtout, revoir le système d’attribution des quotas de pêche.

Ces quotas, explique-t-il, ne devraient plus être accaparés par les bateaux industriels géants, mais distribués en fonction de l’utilité sociale et environnementale des navires. Cela permettrait, entre autres, de valoriser la petite pêche côtière, pourvoyeuse d’un bien plus grand nombre d’emplois que sa rivale industrielle mondialisée.

Une modification du mode d’attribution de quotas pourrait drastiquement changer les pratiques des pêcheurs. Unsplash / Fredrik Öhlander

Récompenser ainsi les bons élève pourrait également favoriser l’émergence de techniques de pêche plus respectueuses du vivant. Le chercheur cite l’exemple des îles Kerguelen, où la pêche à la légine a longtemps contribué au déclin des populations de pétrels et d’albatros, pris accidentellement dans les lignes. La mise en place d’un nouveau système de quotas, attribués en priorité aux bateaux qui capturaient peu d’oiseaux, a eu des effets spectaculaires : les pêcheurs ont, très rapidement, modifié leurs pratiques, en travaillant par exemple de nuit, ou en cessant leurs activités durant la période de reproduction des oiseaux. Résultat : les captures d’oiseaux marins ont été divisées quasiment par mille, et sont aujourd’hui considérées comme marginales.

Si les pêcheurs doivent modifier leurs pratiques, les consommateurs devront réduire considérablement la part d’animaux marins dans leur régime. Unsplash / Paul Einerhand

Côté citoyens, cette démarche doit être soutenue par une réduction drastique de notre consommation de poissons, aujourd’hui excessive. Les ressources vivantes de la mer sont « un bien rare », rappelle le chercheur. Leur consommation doit rester « une fête », et intégrer « les éventuels surcoûts de la durabilité ».

Grâce à la pêchécologie, nous pourrions retrouver les mers débordant de poissons, de baleines et de coquillages qu’ont connu nos ancêtres, promet le chercheur. Aux pêcheurs et aux politiques, désormais, de se saisir de ces principes. Et, peut-être, sortir grâce à eux de la crise dans laquelle le secteur se trouve aujourd’hui enlisé ? Didier Gascuel l’espère. « La pêche a subi des mutations très importantes ces dernières années, mais elle n’a jamais réussi à avoir une vision stratégique. La pêchécologie pourrait devenir son horizon. »

Source: Reporterre