La Norvège octroie de nouvelles licences pétrogazières

Malgré l’accord de Dubaï dans le cadre de la COP28, qui plaide en faveur d’un abandon progressif des énergies fossiles, Oslo a accordé 62 permis d’exploration, suscitant la colère des défenseurs de l’environnement.

Après les mots, les actes. En rentrant de la COP28, le ministre norvégien du pétrole et de l’énergie, le travailliste Terje Aasland, avait assuré que l’accord signé à Dubaï, le 13 décembre 2023, actant l’abandon progressif des énergies fossiles, « ne changerait rien pour la Norvège », premier producteur de pétrole et de gaz en Europe occidentale. Qu’importent les appels répétés du secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, à « laisser le charbon, le pétrole et le gaz dans le sol, là où ils doivent être », ou ceux de l’Agence internationale de l’énergie, qui demande de cesser d’investir dans de nouveaux projets.

Mardi 16 janvier, le ministre a montré qu’il était sérieux. Lors de la conférence de Sandefjord – une municipalité au sud d’Oslo, où se réunissent chaque année tous ceux qui comptent dans l’industrie norvégienne des hydrocarbures –, M. Aasland a annoncé l’octroi de 62 nouvelles licences d’exploration, dans des zones dites « matures » (déjà exploitées), soit le chiffre le plus élevé depuis quatre ans.

Si ce n’est pas un record, on s’en approche. En 2023, quarante-sept permis avaient été délivrés. Vingt-neuf de ces licences concernent des concessions en mer du Nord, vingt-cinq en mer de Norvège et huit en mer de Barents. Les permis ont été attribués à vingt-quatre compagnies, dont Equinor, détenu à 67 % par l’Etat norvégien, ainsi que TotalEnergies ou Shell. « Voir un tel intérêt dans la poursuite des activités d’exploration est très encourageant », s’est réjoui le ministre, précisant que ces permis étaient « importants pour l’emploi et la création de valeur, mais aussi pour permettre à la Norvège de continuer à être un fournisseur stable d’énergie en Europe ».

Il a également tenu à saluer les entreprises qui se sont portées candidates et, ce faisant, ont montré qu’elles étaient « conscientes de leurs responsabilités sociales ». Investissements record Cette annonce intervient alors que le gouvernement, composé des travaillistes et des centristes, a donné son aval à dix-neuf projets d’extraction en juin 2023 et que l’organisation Offshore Norge prévoit des investissements record sur le plateau continental en 2024. Ils devraient atteindre 240 milliards de couronnes (21 milliards d’euros) contre 220,5 milliards en 2023, dont 31 milliards dévolus à l’exploration. Mardi, une trentaine de militants du mouvement écologiste Extinction Rebellion ont tenté de bloquer les entrées de l’hôtel de Sandefjord où se tenait la conférence. Sur leur bannière, un message implorant le gouvernement d’« arrêter le développement » et de « commencer le démantèlement », une référence à l’accord de coalition, présenté en octobre 2021, dans lequel les partis travailliste et centriste s’engageaient à « développer, et non démanteler, le secteur pétrolier ». Depuis, la Russie a envahi l’Ukraine, et la Norvège est devenue le premier fournisseur de gaz de l’Europe, ce qu’Oslo rappelle régulièrement pour justifier l’octroi de nouvelles licences d’exploration et d’exploitation. Dans un rapport publié en août 2022, le Directoire du pétrole (rebaptisé Directoire de l’offshore en janvier 2024) estimait que « pour que le plateau continental norvégien apporte une valeur significative à la société et des livraisons stables de pétrole et de gaz à l’Europe, il [était] important de limiter la baisse attendue de la production », arguant qu’il fallait « découvrir davantage de pétrole et de gaz pour que la Norvège puisse maintenir sa production après 2030 ».

Cette analyse est contestée par les défenseurs de l’environnement, qui y voient une manœuvre des responsables politiques visant à ne pas remettre en cause un modèle économique totalement dépendant de l’industrie du gaz et du pétrole. Pour les ONG, l’attribution de 62 nouveaux permis d’exploration en est la preuve. « L’hypocrisie climatique de la Norvège a atteint un nouveau seuil », a réagi le leader de la branche locale de Greenpeace, Frode Pleym, tandis que l’association WWF a vilipendé une décision « complètement rétrograde ». « Nous ne sommes pas choqués, parce que cette décision était attendue, mais nous sommes déçus et honteux que le gouvernement continue de parler un double langage, comme s’il se trouvait sur deux planètes opposées », observe Truls Gulowsen, président de Naturvernforbundet (Les Amis de la Terre). « Sur l’une, il parle du changement climatique comme l’un des plus gros défis de notre époque et de la nécessité d’éliminer progressivement les énergies fossiles. Sur l’autre, il affirme que la seule option est de ne rien changer. » L’Etat devant la justice Pourtant, le pays scandinave n’a jamais été en aussi bonne posture pour envisager l’après-pétrole, note M. Gulowsen. Car, non seulement les investissements dans le secteur pétrogazier atteignent des niveaux inédits, mais le chômage y est inexistant et les revenus qu’il génère devraient encore atteindre près de 903 milliards de couronnes en 2023 (après 1 285 milliards en 2022), tandis que le fonds souverain, alimenté par l’argent du pétrole et du gaz, pèse 15 000 milliards de couronnes.

Fin novembre 2023, l’Etat norvégien s’est de nouveau retrouvé devant la justice. Des ONG l’accusent de violer la Convention européenne des droits de l’homme, la Convention internationale des droits de l’enfant et la Constitution du royaume, en autorisant de nouveaux projets d’extraction. Elles lui reprochent en outre de ne pas respecter le jugement de la Cour suprême, datant de 2020, qui les avait déboutées, mais exigeait que le gouvernement mène une étude d’impact climatique avant chaque nouveau projet, ce qui n’a jamais eu lieu, selon les militants. Pour sa défense, l’Etat a présenté un rapport, élaboré par la société Rystad début 2023, qui assure que la production norvégienne de gaz et de pétrole contribue à « réduire les émissions de CO2 au niveau global ». Le jugement est attendu dans les prochaines semaines.

Source: Le Monde