La Norvège dope sa production de gaz et de pétrole
12 juillet 2023
12 juillet 2023
Le gouvernement norvégien a donné son feu vert, le 28 juin, à dix-neuf nouveaux projets d’exploitation, justifiés par la nécessité d’assurer la sécurité énergétique de l’Europe, tandis que les ONG dénoncent un « pari » contre l’accord de Paris.
Rien n’y fait. Ni les exhortations de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), qui estime que l’heure est venue de renoncer à tout nouveau projet pétrolier ou gazier, pas plus que les plaidoyers répétés du secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, appelant à « laisser le pétrole, le charbon et le gaz dans le sol, là où ils doivent être ». Devenue le premier fournisseur de gaz de l’Europe en 2022, la Norvège n’a aucune intention de ralentir.
En témoignent les annonces récentes du gouvernement composé des travaillistes et des centristes qui, après avoir attribué 47 nouveaux permis d’exploration pour des zones matures en janvier, et proposé 92 blocs supplémentaires à l’exploration pour 2024, vient d’autoriser, le 28 juin, dix-neuf projets d’extraction sur le plateau continental norvégien, pour une valeur totale supérieure à 200 milliards de couronnes (17 milliards d’euros).
A Oslo, le ministère du pétrole et de l’énergie justifie cette décision par la nécessité d’assurer « la sécurité énergétique de l’Europe ». Pour compenser la baisse des livraisons de gaz russe aux Européens, la Norvège a déjà augmenté de 8 % sa production en 2022 : « Cela correspond à 100 térawatt-heure d’énergie supplémentaire fournie au marché européen », précise Andreas Bjelland Eriksen, secrétaire d’Etat au ministère du pétrole et de l’énergie.
Deux initiatives en particulier ont permis d’accroître les livraisons : « D’abord, nous avons réduit la quantité de gaz que nous injections dans des puits de pétrole pour en accroître l’extraction. Et puis, nous avons retardé certains travaux de maintenance qui n’étaient pas critiques », explique le secrétaire d’Etat, qui précise que ces mesures « assureront un haut niveau de production en 2023 et pendant les quatre ou cinq années à venir », avant que l’exploitation de nouveaux gisements prenne le relais.
Cette augmentation de la production, combinée à celle des prix de l’énergie, a permis à la Norvège d’enregistrer des bénéfices record en 2022, atteignant 1 457 milliards de couronnes (125 milliards d’euros), d’après l’Institut central de la statistique (SSB), soit trois fois plus qu’en 2021. Des profits qui ont encore accru la valeur de son fonds souverain, dépassant 15 300 milliards de couronnes. Ces énormes gains ont valu au pays nordique d’être traité de « profiteur de guerre ». En début d’année, le premier ministre, Jonas Gahr Store, a rejeté les accusations, estimant que la Norvège était « un pays chanceux », mais qu’elle avait aussi produit des ressources énergétiques depuis cinquante ans « à ses propres risques ».
De son côté, Andreas Bjelland Eriksen souligne que le royaume a pu satisfaire la hausse de la demande en 2022, parce que sa gestion des ressources « est fondée sur des décisions commerciales de long terme ». Par ailleurs, dit-il, la Norvège a mis en place « un des plus gros programmes de soutien à l’Ukraine », avec déjà 10,7 milliards de couronnes en 2022 et 75 milliards prévus sur les cinq prochaines années. Nouvelle plainte Pour justifier les nouveaux investissements sur le plateau continental norvégien, le secrétaire d’Etat met en avant les besoins en gaz et en pétrole dans les décennies qui viennent en Europe – « le temps d’achever la transition écologique » –, ainsi que les avancées technologiques qui pourraient permettre de continuer à utiliser les hydrocarbures, pour produire de l’hydrogène bleu, c’est-à-dire fait à partir de gaz, ou en séquestrant et stockant les émissions de CO2.
« Nous ignorons quelle sera l’empreinte carbone du gaz et du pétrole à l’avenir », assure M. Eriksen. Il reprend aussi un des arguments de l’industrie, qui ne cesse d’affirmer que la production norvégienne a un impact réduit sur le climat, grâce notamment à l’électrification des plates-formes – même si le secteur reconnaissait fin juin qu’il aurait des difficultés à atteindre l’objectif de réduction des émissions de 50 % prévu pour 2030. En Norvège, ce discours exaspère les militants écologistes, qui ont vivement critiqué les dernières annonces du gouvernement. Silje Ask Lundberg, de l’ONG Oil Change International, affirme que la plupart des dix-neuf projets approuvés fin juin n’auraient jamais vu le jour sans les avantages fiscaux mis en place pendant la pandémie de Covid-19 et dont les compagnies peuvent profiter cette année encore. En plus de « parier contre l’accord de Paris », le gouvernement « fait courir un risque énorme à l’économie norvégienne en autorisant ces investissements », accuse-t-elle, déplorant le fait que son pays semble déterminé à « être le dernier au monde » à continuer de produire des carburants fossiles. Frode Pleym, qui dirige Greenpeace en Norvège, dénonce une décision « profondément immorale et complètement irresponsable ».
Il accuse les politiciens de « cyniquement utiliser la guerre en Ukraine comme excuse » pour continuer « à enrichir la Norvège », tout en « enfermant l’Europe dans une dépendance aux hydrocarbures », sachant que les projets qui n’ont pas encore été développés « n’ont rien à voir avec la sécurité énergétique de l’Europe ». Jeudi 29 juin, Greenpeace et l’ONG Natur og Ungdom (« nature et jeunesse ») ont déposé une nouvelle plainte contre l’Etat norvégien, demandant l’arrêt immédiat de l’exploitation de plusieurs gisements, dont celui d’Yggdrasil : un projet géant, porté par la compagnie Aker BP, qui devrait donner lieu à 115 milliards de couronnes d’investissements, pour des réserves estimées aujourd’hui à 650 millions de barils d’équivalent pétrole. En décembre 2020, la Cour suprême norvégienne avait rejeté une première plainte des ONG.
Si les juges avaient estimé qu’il n’y avait pas « de lien suffisant entre le changement climatique et la perte de vies humaines en Norvège », ils avaient cependant affirmé que l’impact climatique de tout nouveau projet devrait être évalué avec soin. Se basant sur les rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, l’Institut des droits de l’homme, à Oslo, a constaté, au printemps 2022, que si le gouvernement souhaitait suivre le jugement de la Cour, alors il ne pouvait autoriser de nouveaux investissements.