« LA MÉDITERRANÉE EST MOINS PRÉVISIBLE »: DES EXPERTS ALERTENT SUR LES DANGERS DE LA MER APRÈS LE NAUFRAGE EN SICILE
23 août 2024
23 août 2024
« L’enfer s’est déchaîné, on ne comprenait rien, le vent est arrivé, puis l’eau, c’était certainement une tornade », a raconté à l’AFP un pêcheur local. Une personne et six autres sont toujours portées disparues deux jours après le naufrage d’un voilier de luxe ce lundi 19 août. Parmi elles Mike Lynch, un richissime homme d’affaires surnommé le « Bill Gates britannique »
Ancré au large des côtes siciliennes, le « Bayesian » a subi une violente tempête, une trombe marine selon les experts. Il a chaviré puis coulé en quelques minutes. En raison du réchauffement climatique, ces phénomènes pourraient devenir plus fréquents et plus intenses, rendant la Méditerranée de plus en plus dangereuse.
Selon le Centre international de recherche sur les trombes marines, 18 phénomènes de ce type ont été recensés au large des côtes italiennes au cours de la seule journée du 19 août. Il s’agit là de sortes de tornades se produisant au-dessus de l’eau, à la faveur de la rencontre entre une masse d’air froid en altitude et des eaux plus chaudes.
Les trombes marines sont ainsi plus fréquentes à la fin de l’été et en automne, lorsque les températures de la mer sont les plus élevées. La semaine dernière, les eaux de la mer Méditerranée ont enregistré leur plus haute température journalière jamais enregistrée. Sur certaines parties du littoral, le mercure a dépassé la barre des 30°C dans l’eau à plusieurs reprises, soit quatre degrés de plus que la moyenne sur 20 ans pour cette période de l’année, selon Copernicus.
« Cela crée une énorme source d’énergie qui contribue à ces tempêtes », a déclaré à l’agence de presse Reuters Luca Mercalli, président de la société météorologique italienne.
Ces conditions contribuent à rendre l’atmosphère plus instable et à permettre aux tempêtes de puiser dans cet énorme bain chaud pour s’intensifier. En effet, plus une eau et chaude, plus l’évaporation va être importante, contribuant aux conditions de formations de phénomènes extrêmes.
Au-delà des scientifiques, les changements en Méditerranée sont également observés par d’autres usagers de la mer, à l’instar des skippers. Interrogé par Reuters, Giuliano Gallo, qui a notamment traversé l’Atlantique, affirme que la Méditerranée ressemble de plus en plus aux Caraïbes, qui comportent des zones que de nombreux bateaux évitent à certaines périodes de l’année, avec une prévisibilité encore moins grande en Méditerranée. « Les choses sont moins prévisibles en Méditerranée », ajoute-t-il.
Si cette nouvelle donne liée au dérèglement climatique affecte les touristes, les personnes migrantes qui tentent de rejoindre l’Europe à bord de navires de fortune surpeuplés le sont d’autant plus.
Comme le note la BBC, les tentatives étant plus nombreuses en été, où la météo est imprévisible. « Si des tempêtes se produisent – ou si la mer est agitée – ce qui pourrait devenir plus fréquent avec le changement climatique, le risque pour la vie est beaucoup plus grand », déclare Ryan Schroeder, porte-parole de l’organisation internationale pour les migrations de l’ONU.
En outre, ces mauvaises conditions peuvent également rendre la détection des bateaux en détresse difficile, mais aussi les opérations de sauvetage.
Outre les trombes marines, le dérèglement climatique affecte particulièrement la région de la Méditerranée, qui fait d’ailleurs partie des « hotspots » de la crise climatique, c’est-à-dire des zones les plus touchées de la planète, se réchauffant plus vite que la moyenne mondiale.
D’autres phénomènes météorologiques sont ainsi accentués par la hausse du mercure de la mer comme les épisodes méditerranéens, un « violent système orageux » qui apporte des précipitations intenses, ou encore les medicanes, contraction de « mediterranean hurricane » (« ouragan méditerranéen »), ces tempêtes extrêmes dont les caractéristiques s’approchent des ouragans ou des cyclones tropicaux.
« Entre 1961 et 2022, nous avons observé un doublement de la fréquence des épisodes méditerranéens les plus forts, ceux qui dépassent 200 millimètres de pluie en une journée, et une augmentation des fortes précipitations », explique au Monde Aurélien Ribes, chercheur à Météo-France au Centre national de recherches météorologiques (CNRM).
Ces deux phénomènes, qui peuvent être dangereux à l’instar du medicane qui a entraîné la mort de milliers de personnes en Libye en raison des inondations soudaines l’an dernier, sont favorisés par une mer Méditerranée chaude, même s’il ne s’agit pas du seul ingrédient.
Avec le dérèglement climatique et le réchauffement global des mers et des océans, les précipitations sont plus intenses. « Lorsque l’atmosphère se réchauffe de 1°C, elle peut contenir 7% de vapeur d’eau en plus. C’est comme si on avait augmenté la taille du réservoir d’eau au-dessus de nos têtes », explique au Monde Françoise Vimeux, climatologue et directrice de recherche à l’Institut de recherche pour le développement.
Les tempêtes rendent ainsi la navigation sur la mer dangereuse, mais les risques sont également accrus dans les terres et surtout sur le littoral. Ce dernier est également menacé d’une autre manière par le dérèglement climatique: avec l’élévation du niveau de la mer, qui rend les agglomérations côtières encore plus vulnérables face aux tempêtes.
Tempêtes extrêmes d’un côté, sécheresse, canicule et incendies de l’autre, la Méditerranée connaissent les deux facettes du même fléau: le changement climatique.
Source: bfmtv