La Gorgone, menaces sur « l’île magique » du Pacifique colombien

Paradis méconnu de biodiversité préservée, l’île de la Gorgone, rocher volcanique couvert de jungle tropicale au large des côtes sud-ouest de la Colombie est elle aussi, malgré les efforts, menacée par la pollution planétaire et l’activité humaine.

« C’est dans l’imaginaire colombien l’un des parcs les plus lointains, les plus inaccessibles », observe Santiago Felipe Duarte Gomez, directeur du Parc national naturel de la Gorgone, l’une des soixante aires protégées du pays.

La faute sans doute à la singulière histoire de l’île qui abrita dans les années soixante un bagne infâme où les pires criminels du pays et les prisonniers politiques étaient livrés aux sévices de leurs gardiens.

 

Si l’ancienne prison (fermée en 1984), déjà presque engloutie par la végétation luxuriante, « attire toujours les visiteurs », son intérêt, essentiellement historique, est bien moindre que « l’exceptionnelle biodiversité de ce paradis naturel », souligne M. Duarte Gomez.

Conséquence des pluies quasi-quotidiennes, l’eau douce coule de partout, donnant à l’île verdoyante des allures de jardin d’Eden.

Vue aérienne de l'île de Gorgone, où se trouvait autrefois une prison, dans l'océan Pacifique au large du sud-ouest de la Colombie, le 1er décembre 2021
Vue aérienne de l’île de Gorgone, où se trouvait autrefois une prison, dans l’océan Pacifique au large du sud-ouest de la Colombie, le 1er décembre 2021 ( Luis ROBAYO / AFP )

Observation des baleines qui s’ébattent à quelques dizaines de mètres du rivage, plongée au milieu des poissons sur des récifs coralliens enchanteurs, et promenades le long de sentiers balisés dans la forêt font la joie d’une poignée de touristes (environ 3.000 par an) venus trouver ici « calme et sérénité » sous les cocotiers géants de la plage de graviers noirs.

L'île de la Gorgone en Colombie
L’île de la Gorgone en Colombie ( Tatiana MAGARINOS / AFP )

Une « île magique », assure Juan Fernando Agredo Lara, manager de l’unique hébergement touristique. « Le tourisme ne doit pas dévorer la Gorgone. L’occupation maximum n’a jamais été atteinte, et c’est heureux », plaide-t-il.

La fréquentation de la jungle est limitée à quelques sentiers balisés, de jour uniquement, pour y prévenir les accidents avec les très nombreux serpents qui ont fait la mauvaise réputation de l’île et lui ont donné son nom.

« L’île science »

La Gorgone fait partie du corridor marin du Pacifique oriental (CMAR), composé des célèbres Galapagos (Equateur), de Malpelo (Colombie), Coiba (Panama) et Cocos (Costa Rica).

Comme « connectées », ces îles protégées servent de couloir de migration à la faune marine, tels requins marteau ou tortues marines, ainsi qu’aux oiseaux.

« Nous sommes dans un sanctuaire d’une beauté merveilleuse. Peu de gens imaginent la richesse des eaux de la Gorgone », souligne M. Duarte. « Les baleines apprennent à chanter ici. Les écouter sous l’eau est un enchantement », s’émeut-il.

Un requin mort sur le canot d'un pêcheur, sur une plage de l'île de Gorgona, dans l'océan Pacifique au large de la côte sud-ouest de la Colombie, le 2 décembre 2021
Un requin mort sur le canot d’un pêcheur, sur une plage de l’île de Gorgona, dans l’océan Pacifique au large de la côte sud-ouest de la Colombie, le 2 décembre 2021 ( Luis ROBAYO / AFP )

Par conséquent, d’innombrables missions scientifiques ont été menées sur l’île, parfois surnommée « l’île science », notamment pour étudier un lézard endémique entièrement bleu et unique au monde (Anolis gorgone).

Mais comme tous les sanctuaires naturels de la planète, l’île fait inévitablement face à diverses menaces.

Celles de « l’érosion côtière de certaines plages, les interrogations sur le réchauffement de l’eau en surface, et la hausse du niveau des océans », énumère un biologiste du parc, Christian Diaz.

Et si elle ne se voit pas au premier abord, la pollution est bien là. « Ici comme ailleurs, la contamination aux micro-plastiques est réelle, même si la qualité de l’eau est très bonne », constate-t-il.

« Et puis il y a les poubelles », soupire le biologiste. Charriés par les courants, venus des côtes, de pays plus lointains ou jetés par les gros bateaux au large, des détritus en tout genre s’amoncellent sur les plages du sud de l’île les plus exposés à la houle.

Au milieu des bernard-l’hermite gisent pèle-mêle sur le sable gris des sandales rongées par le sel, des rasoirs jetable et d’innombrables bouteilles en plastique.

Un sapajou capucin (Cebus capucinus) sur l'île de Gorgone, dans l'océan Pacifique au large de la côte sud-ouest de la Colombie, le 1er décembre 2021
Un sapajou capucin (Cebus capucinus) sur l’île de Gorgone, dans l’océan Pacifique au large de la côte sud-ouest de la Colombie, le 1er décembre 2021 ( Luis ROBAYO / AFP )

« C’est une problématique planétaire », se navre M. Diaz, fataliste. « Le parc organise régulièrement des collectes. On peut tout nettoyer un jour, mais le lendemain il faut recommencer… »

Un autre sujet inquiète mais dont on parle moins volontiers : celui des projets de l’armée colombienne de construction d’un ponton et d’un radar.

Située sur un corridor du narcotrafic vers le nord, « on entend parfois au large la nuit les moteurs surpuissants des hors-bords des trafiquants », confie un employé.

« Le radar fait de nous une cible. Il y aura aussi des baraquements, car plus d’hommes. Nous risquons de devenir un objectif militaire », pour les narcos notamment, s’inquiète l’un des résidents.

« Il y aura un impact. Nous espérons qu’il sera minimal », lâche le directeur du parc. Il souhaite « simplement que la Gorgone reste ce lieu si spécial où l’on vient se ressourcer spirituellement ».

 Source: Bourse Direct