La coopération océanique pour faire progresser le développement durable

 

L’ambassadeur Olivier Poivre d’Arvor, envoyé spécial du président de la République française pour la Conférence des Nations Unies sur l’océan, explique à Linh Tong de VET le rôle central de l’océan dans le développement économique, la protection de l’environnement et la coopération internationale.

Quel est votre point de vue sur le lien entre la protection des océans et le développement durable dans l’économie mondiale ?

Je suis venu au Vietnam parce que je pense que ce pays est un laboratoire de ce que l’océan peut représenter en termes de ressources économiques dans les 10 ou 20 prochaines années. Pour tout pays, l’océan constitue notre atout le plus précieux, tant économique que financier. Si l’océan était un pays, il serait la cinquième économie mondiale. Les pays varient en termes de longueur de littoral, mais le Vietnam, grâce à sa proximité vitale avec l’océan, a le potentiel de subvenir aux besoins de sa population en matière de ressources alimentaires et de souveraineté tout en développant de nouvelles industries comme les télécommunications, l’énergie éolienne et les énergies renouvelables.

La France est aussi un pays maritime, avec 5 500 km de côtes. Notre coopération dans ce domaine est très prometteuse. Le président Emmanuel Macron m’a demandé de venir ici et d’engager un dialogue maritime dont le premier aura lieu prochainement. Désormais, nos deux pays échangeront chaque année leurs points de vue sur les questions de sécurité, de droit, d’économie et de protection des océans. La relation entre le Vietnam et la France est donc une relation « bleue ».

La 3e Conférence des Nations Unies sur les océans (UNOC3), qui se tiendra à Nice cette année, sera une occasion importante pour les pays de prendre des engagements. Qu’attend la France des pays participants pour promouvoir une économie verte et durable ?

Cette conférence est cruciale et peut-être aussi importante que la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques (COP21) de 2015. Dix ans après la COP21, la 3ème Conférence des Nations Unies sur les océans devrait nous aider à avancer à la fois vers une utilisation intelligente et durable de l’océan ainsi qu’une paix plus large sur l’océan. L’océan est un espace sûr. Même si des problèmes de souveraineté demeurent, l’océan est en bonne santé et offre de nombreuses solutions. Contrairement au climat, qui présente de nombreuses difficultés et défis avec peu de solutions immédiates autres que l’adaptation climatique, l’océan offre de nombreuses solutions pour les personnes, la santé et les besoins essentiels comme l’alimentation. Nous espérons que des pays clés seront présents, avec une centaine de chefs d’État et de gouvernement attendus. Le président français invitera le Vietnam à l’UNOC3 en tant qu’invité d’honneur.

Que signifie cette conférence pour les relations Vietnam-France en matière de protection de l’environnement marin ? Pourrait-il ouvrir des opportunités pour renforcer la coopération sur des projets de protection de l’environnement et de développement durable ?

Absolument, et je crois que cela commence par la science. Nous en savons bien plus sur la Lune que sur l’océan. Notre objectif est de développer la coopération scientifique avec le Vietnam, notamment en raison de son important littoral. Nous serions ravis d’aider le Vietnam à accéder à la flotte océanographique et aux navires scientifiques français pour collecter les données dont il pourrait avoir besoin. Nous proposons également qu’il rejoigne le Groupe d’experts international sur la durabilité des océans, une plateforme hébergée par la Commission océanographique intergouvernementale de l’UNESCO, qui fournira un rapport sur la santé des océans pour guider la prise de décision des dirigeants.

Comment les initiatives de protection de l’environnement marin peuvent-elles jouer un rôle dans le développement économique durable au Vietnam et dans d’autres pays en développement ?

Nous devons faire face aux menaces émergentes, notamment la montée du niveau de la mer, qui concernent de nombreux pays, notamment le delta du Mékong, où les terres se situent à peine à un mètre au-dessus du niveau de la mer. Il s’agit d’une question importante.

Lors de l’UNOC3, nous accueillerons le premier sommet des régions et villes côtières touchées par l’élévation du niveau de la mer causée par la fonte des pôles et le réchauffement de l’eau. Près de 500 gouverneurs et dirigeants politiques du monde entier, représentant près d’un milliard de personnes menacées par la montée du niveau de la mer, y participeront. Les 20 millions d’habitants du delta du Mékong sont particulièrement touchés. Un autre problème important concerne l’industrie de la pêche et les petites réserves, qui soutiennent les communautés locales. Pour garantir la souveraineté alimentaire de vos 100 millions d’habitants, le développement de l’aquaculture est crucial. Le Vietnam a déjà fait des progrès significatifs et nous serions heureux de coopérer pour les développer davantage.

Comment la France peut-elle soutenir les efforts de développement durable du Vietnam avec des technologies et des politiques visant à lutter contre la pollution marine et à gérer les ressources ?

Je pense que le numérique joue aujourd’hui un rôle clé. Nous travaillons sur le jumeau numérique européen de l’océan, qui vise à modéliser les multiples composants de l’océan, à fournir des connaissances et une compréhension du passé et du présent et à proposer des prédictions fiables de son comportement futur. En rassemblant toutes les données océaniques disponibles, nous pouvons suivre en temps réel les changements des courants, les mouvements des espèces, la pollution plastique, etc. Cela nous permettra de surveiller visuellement votre littoral en un seul clic, nous permettant ainsi de comprendre et d’intervenir dans l’océan sans contact direct. Le Digital Twin, financé par la Commission européenne, sera librement accessible aux membres. Je propose que le Vietnam se joigne à cette initiative intergouvernementale révolutionnaire pour améliorer notre compréhension de l’océan.

Le développement économique et la protection de l’environnement peuvent parfois être contradictoires. Comment les pays peuvent-ils trouver un équilibre entre croissance économique et préservation des écosystèmes marins ?

L’ambition du Vietnam de devenir une nation développée d’ici 2045, sur 20 ans, permettra au pays de passer d’une réflexion annuelle à une vision à long terme. Dans cette vision à 20 ans, il y a une croissance économique qui fera évidemment du Vietnam un grand partenaire économique et un pays développé, mais il doit aussi penser à une gestion durable des ressources.

Les ressources ne sont pas épuisables, le Vietnam doit donc penser à un développement basé sur des ressources qui se régénèrent. Si l’on prend par exemple la question de la pêche, il est important de pêcher légalement, d’éviter la surpêche et de capturer certaines espèces à des moments précis. En fin de compte, l’objectif est d’utiliser les ressources de manière durable, ce qui vaut également pour les ressources génétiques ou les ressources minérales.

Il est donc crucial de comprendre que, dans 20 ans, le Vietnam deviendra une puissance économique, et qu’il y parviendra encore plus que si ses ressources étaient durables. C’est là le défi, car on a tendance à penser que le développement doit primer. En fait, les deux doivent se produire simultanément, et de nombreux pays le font déjà, en équilibrant développement et préservation des écosystèmes, et cette approche doit être suivie.

Quelles politiques la France a-t-elle mises en œuvre pour réduire l’impact négatif des activités économiques sur les écosystèmes marins, et que pourrait apprendre le Vietnam de son expérience ?

En France, pour réduire l’impact des pollutions industrielles qui nuisent aux écosystèmes marins, nous évitons de consommer certaines espèces de flore et de faune et évitons que les pollutions plastiques ou chimiques ne s’échappent. La gestion des déchets est très importante, d’autant plus que la population mondiale atteindra 10 milliards d’habitants d’ici 2050, dont 75 % vivront près de l’océan. Il faut donc vraiment réfléchir à des systèmes d’assainissement efficaces qui ne rejettent pas les eaux usées dans l’océan mais les traitent au préalable. Sans cela, nous condamnons nos océans, ce qui conduit à des mers mortes ou à des eaux polluées, à des plages inhabitables et à une diminution du tourisme. Cela se produit très rapidement. Les plages disparaissent à cause de la montée du niveau de la mer, aussi bien dans votre pays que dans le nôtre.

Il faut vraiment repenser l’activité humaine, comprendre que l’océan n’est pas une décharge où l’on jette ses déchets mais un véritable berceau de vie et de régénération. Il faut replanter les mangroves, restaurer ces écosystèmes fragiles. Une fois sain, l’océan produit des espèces, des ressources génétiques et de l’oxygène pour nous aider à respirer.

Le Vietnam s’efforce de devenir un pays emblématique de la région Asie-Pacifique en termes de réduction des déchets plastiques dans les océans. Que pensez-vous de cet objectif et, selon vous, que faudrait-il faire pour atteindre cet objectif ?

Le problème avec l’océan est qu’il n’y en a qu’un, donc vous ne pouvez pas simplement réduire votre propre pollution car la pollution des autres viendra toujours. Il est essentiel que le Vietnam soit exemplaire, comme il le souhaite, et mette en place des cadres de coopération régionale, ce qui est très important, au moins au niveau de base. Nous ne pouvons pas penser seuls à la préservation des océans, car l’océan n’a pas de frontières, les poissons n’ont pas de frontières et, malheureusement, la pollution n’a pas de frontières non plus. C’est pourquoi il est crucial d’assurer la paix, ce qui n’est pas toujours simple. Plus vous aurez de coopération régionale, plus vous pourrez créer un océan durable.

Source: Vn Economy