Interview | « Les mutations en cours sont autant de défis à relever pour pérenniser la pêche et l’aquaculture »

La région Provence-Alpes-Côte d’Azur accueillera à Nice les 21 et 22 septembre les assises de la pêche et des produits de la mer, évènement organisé par le marin et le groupe Ouest-France. Christophe Madrolle, conseiller régional et président de la commission biodiversité, mer et littoral, revient sur les enjeux de ces assises pour la région, caractérisée par une pêche aux petits métiers qui fait face à des défis majeurs.

Pourquoi la région Provence-Alpes-Côte d’Azur a-t-elle souhaité accueillir les assises de la pêche et des produits la mer ?

Réglementations des pêches, état des stocks, conflits d’intérêts en mer ou encore vieillissement global de la flotte de pêche et de ses marins… Les enjeux sont très nombreux ! Ici, nous avons une pêche artisanale polyvalente avec une diversité de métiers et de techniques. Le contexte général n’est pas facile. Même si nous sommes une région à la tradition maritime affirmée, il n’en demeure pas moins que la pêche aux petits métiers et l’aquaculture sont en défaut d’attractivité. Pourtant, elles concilient valeur ajoutée économique, avec des poissons nobles, et durabilité pour le milieu marin.

Les mutations en cours sont autant de défis à relever pour pérenniser et transformer ces activités en segments porteurs. Notre région est par essence une région maritime et littorale, ouverte sur la Méditerranée, riche d’une histoire millénaire : diversité et singularité de cet espace, avec des sites naturels remarquables, 53 % du littoral protégé, trois métropoles littorales, 56 communes littorales, trois ports de commerce, 147 ports de plaisance et de pêche ainsi que de nombreuses stations balnéaires. 6 % des emplois dans la région sont liés au secteur maritime.

 

 

 
 
 
 
 
 
 
 
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Pourquoi dites-vous que le contexte général n’est pas facile ?

« Ce n’est plus pêcher qui est compliqué aujourd’hui, mais c’est d’avoir le droit de pêcher. » Tout est résumé dans cette phrase d’un pêcheur de Martigues. Il y a des craintes. Il est donc primordial que les régions soient mieux associées aux travaux de la Commission européenne, par exemple, pour une meilleure prise en compte des spécificités régionales. Ce qui aboutirait davantage à des encadrements d’activités plutôt qu’à des interdictions pures et simples, comme l’interdiction de la pêche de fond dans les aires marines protégées.

Les régions sont compétentes pour le développement économique, elles sont également chefs de file pour la préservation de la biodiversité. Il faut une approche plus ciblée par bassin maritime avec une meilleure élaboration et un meilleur suivi des réglementations par les professionnels régionaux. Ces prochaines assises de la pêche et des produits de la mer pourront être l’occasion d’en débattre.

 

Vous insistez sur la vente en circuits courts ?

Compte tenu de l’importance des petits métiers dans la flotte régionale, la grande majorité de la production est écoulée en vente directe auprès de la population locale, dans les ports tout le long du littoral mais également auprès des restaurateurs, des mareyeurs, et des poissonniers sur des marchés locaux. La région compte 88 sites de débarquement des produits de la pêche professionnelle. Par ces circuits diffus, le pêcheur écoule localement sa production. Cette grande diversité des lieux de vente directe crée une grande disparité en termes d’équipements et de gestion.

Le renforcement des contrôles et l’augmentation des exigences sanitaires rendront nécessaire l’équipement de certaines zones qui présentent des installations vétustes désormais inadaptées aux besoins des professionnels. La seule criée de la région, qui était située à Port-de-Bouc, a cessé de fonctionner en 2010. Elle a fermé à cause d’une forte diminution de l’activité des navires de pêche, notamment des chalutiers, au même titre que l’organisation de producteurs Copémart qui regroupait dix chalutiers spécialisés dans la sardine et l’anchois, qui a été dissoute en 2014.

 

« Une identification des pêcheurs professionnels facilitée. »

 

La région Paca a mis en place un système de carte vertueuse pour lutter contre le braconnage. Comment fonctionne-t-il ?

Nous avons mis en place le certificat régional d’activités professionnelles pêche aquaculture qui est effectivement un outil de lutte contre le braconnage… Ce certificat, créé en partenariat avec la direction interrégionale des affaires maritimes en Méditerranée, le comité régional des pêches de Provence-Alpes-Côte d’Azur et le comité régional de la conchyliculture de Méditerranée, a pour objectif la reconnaissance de la qualité de professionnels de nos pêcheurs et aquaculteurs et l’identification facilitée de celle-ci par les premiers acheteurs mais aussi les consommateurs et les restaurateurs.

En juin 2019, le président du conseil régional Renaud Muselier a lancé cette opération à Port-Saint-Louis-du-Rhône et il a pu constater l’adhésion des professionnels à cette démarche d’identification qu’ils attendaient depuis de nombreuses années. Aujourd’hui, avec la création du parlement de la mer et de sa commission pêche, aquaculture, plaisance, il s’agit de lancer la phase 2 de valorisation de ce certificat, avec une implication plus importante des premiers acheteurs que sont les poissonniers et restaurateurs. L’objectif étant que ces professionnels puissent tirer parti de leurs engagements à l’égard de la filière de production locale et mettre en avant vis-à-vis de leurs clients, ce choix des circuits courts, avec des produits pêchés et élevés dans le respect de la saisonnalité et avec des techniques de production durable.

 

Vous évoquez également un défaut d’attractivité pour les métiers de la pêche dans votre région…

La filière pêche reste effectivement d’une manière générale un secteur en manque d’attractivité chez les jeunes. En 2022, on comptait 733 marins pêcheurs en activités dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, pour une flotte de pêche composée de 526 navires, dont 273 dans les Bouches-du-Rhône, 162 dans le Var et 91 dans les Alpes-Maritimes. 95 % de la flotte est constituée de navires de moins de 12 mètres, les petits métiers ; pour le reste, on dénombre six thoniers senneurs et trois chalutiers. Même tendance qu’au niveau national, on observe un vieillissement général de la flotte de pêche régionale et des pêcheurs professionnels.

 

Pour remédier aux difficultés de recrutement, la région Paca a mis en place plusieurs actions. Vous pouvez détailler ?

Dans le cadre du plan de relance de l’État, la région a été retenue au titre du volet 3 Promotion des métiers de la pêche et de l’aquaculture mis en œuvre. Il s’agit de proposer des actions en faveur des publics éloignés de l’emploi maritime ou peu informés sur les filières créatrices d’emplois dans ce domaine. La région a ainsi proposé des visites sur site, des rencontres avec les professionnels et des diffusions de films relatifs aux professions de pêcheurs et d’aquaculteurs sur casques de réalité virtuelle à trois types de public : les élèves des écoles de la deuxième chance des trois départements littoraux et les délégations départementales au droit des femmes des trois départements littoraux.

Ces deux opérations ont connu un vif succès, avec plus de 150 élèves concernés et une centaine de femmes. Nous avons aussi ciblé les lycéens, déjà sensibilisés à la préservation de l’environnement marin dans le cadre du dispositif Calypso mis en œuvre par la région et ses associations partenaires. Plus de 1 600 lycéens sont concernés chaque année depuis dix ans.

 

« Ce qui caractérise la pêche de notre région, c’est avant tout la polyvalence. »

 

Vous vantez pourtant une région qui offre la plus grande diversité de métiers de pêche ?

C’est vrai, il y a une grande diversité de métiers, en raison d’une façade située à cheval sur le golfe du Lion et sur la côte provençale. Parce que nous avons aussi une grande diversité de techniques de pêche : les filets fixes, la pêche à pied (telline, palourde, clovisse), la pêche en scaphandre autonome (coquillages, oursincorailéponge), la palangre de surface ou de fond, la drague, le gangui, la senne de plage, la senne tournante et coulissante et le chalutage.

Les entreprises de pêche sont à dimension humaine. Généralement le propriétaire du navire travaille seul à bord. Ce qui caractérise néanmoins la pêche de notre région c’est avant tout la polyvalence. Les pêcheurs pratiquent différents métiers selon la saison, le temps ou l’espèce. Ce modèle d’exploitation multi-espèces permet un effort varié et donc une pression de pêche répartie sur des espèces et milieux différents et garantit ainsi un équilibre d’exploitation de la ressource.

 

L’aquaculture tient aussi une place importante ?

L’aquaculture dans la région regroupe deux activités principales : la conchyliculture et la pisciculture marine. En ce qui concerne la pisciculture marine, une dizaine d’entreprises élèvent des loups et des daurades royales pour une grande part de leur production. Ces entreprises sont de petites structures familiales qui ambitionnent de maintenir des élevages de qualité et qui, depuis quelques années, favorisent la vente en circuits courts.

La conchyliculture, quant à elle, se pratique sur deux sites : la baie du Lazaret à Toulon et l’anse de Carteau à Port-Saint-Louis-du-Rhône. En baie du Lazaret, six professionnels exploitent une quinzaine de concessions réparties sur 10 hectares. La production annuelle est de 100 à 150 tonnes mais les potentialités du site sont bien supérieures puisque 1 500 tonnes de moules étaient produites dans les années 1960. À Port-Saint-Louis-du-Rhône (anse de Carteau), 34 conchyliculteurs regroupés au sein d’une coopérative, la Coopaport, exploitent une centaine de tables en mer sur une concession accordée par le grand port maritime de Marseille-Fos. Entre 2 500 et 3 000 tonnes de moules sont produites annuellement sur le site. Environ 150 familles vivent directement ou indirectement de cette activité. Depuis 2015, l’huître de Camargue est produite dans l’anse de Carteau, sur le territoire du parc naturel régional de Camargue. Elle se caractérise par sa forme arrondie et bombée et son goût noisette. Les professionnels de la zone mènent actuellement une réflexion sur la possible obtention d’une indication géographique protégée pour leur production d’huîtres.

 

Vous travaillez également en étroite relation avec les organisations professionnelles ?

Les professionnels de la pêche et de l’aquaculture sont représentés par deux instances professionnelles : le comité régional des pêches maritimes et des élevages marins de Provence-Alpes-Côte d’Azur qui a en charge les élevages piscicoles et la pêche maritime et le comité régional de la conchyliculture de Méditerranée qui structure la filière élevage de coquillages en région.

Ces instances sont géographiquement présentes sur les trois façades : Corse, Occitanie et Provence-Alpes-Côte d’Azur. Dans le cadre de la mise en œuvre du Feamp 2014-2020, la région Paca a soutenu la création d’une nouvelle organisation de producteurs, l’OP du Levant, qui regroupe des pêcheurs professionnels de la région Corse et de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Cette nouvelle structure permet notamment aux professionnels méditerranéens de se faire entendre au niveau national, voire européen. La pêche en Corse étant similaire à celle en région Paca, contrairement à l’Occitanie, où il y a encore de très nombreux chalutiers.

 

« Le parlement de la mer est une véritable instance de concertation réunissant des acteurs maritimes, tous secteurs confondus. »

 

Comment aujourd’hui la région Paca compte-t-elle accompagner la filière pêche et l’aquaculture ?

Nous souhaitons une filière pêche vertueuse, pérenne et compétitive, tout en restant à l’écoute des demandes des professionnels. Plusieurs axes ont été lancés : favoriser la commercialisation en circuits courts, notamment en soutenant les besoins en équipements à terre des professionnels, valoriser les produits ou sous-produits de la pêche régionale, soutenir la modernisation des entreprises de la filière et favoriser le renouvellement des générations avec l’installation des jeunes pêcheurs, soutenir les investissements en faveur de la préservation des écosystèmes et des habitats marins (sélectivité des engins de pêche, limitation des impacts sur les écosystèmes…), développer des projets de recherche et innovation afin d’adapter les techniques ou produits commercialisés pour répondre aux différents enjeux identifiés en région (réduction des impacts du changement climatique, réduction des déchets, espèces invasives, amélioration des connaissances sur la ressource halieutique…).

Nous voulons également accompagner le développement local mené par des acteurs territoriaux pour mettre en œuvre notamment des projets économiques et environnementaux (Galpa), participer à la diffusion de l’information, sensibilisation, éducation, formation en direction du grand public, permettre à l’ensemble des activités maritimes et nautiques de cohabiter.

 

Avec quels budgets ?

Ces dispositifs d’intervention reposent essentiellement sur la mise en œuvre du fonds européen pour les affaires maritimes, la pêche et l’aquaculture (Feampa). La région est l’organisme intermédiaire de gestion sur la période 2021-2027. C’est ainsi près de 12 millions d’euros d’aides publiques qui pourront être mobilisés (entre le Feampa, la région et l’État) pour les professionnels des filières pêche et aquaculture durant cette programmation. À celles-ci s’ajoutent les aides issues du régime cadre exempté de notification qui est en cours de validation auprès de la Commission européenne et qui permettra de mobiliser annuellement près de 1 million d’euros de crédits régionaux.

 

Fin 2022, la région Paca lançait le parlement de la mer. Pourquoi ?

La région Provence-Alpes-Côte d’Azur est la première région française à avoir fait le choix de lancer une politique maritime ambitieuse. Dès 1982, elle s’est dotée d’un service mer et littoral. En 2005, elle a décidé de créer le conseil consultatif régional de la mer et d’instituer un cadre de concertation largement ouvert à l’ensemble des acteurs maritimes et de le positionner aux côtés de l’institution régionale, afin de répondre au mieux aux attentes des professionnels du monde maritime. En 2016, l’assemblée maritime pour la croissance régionale et l’environnement a remplacé le conseil consultatif régional de la mer. Il s’agissait à travers cette instance d’aller plus loin et de définir les stratégies et les programmations inhérentes à la complexité de la maritimité.

En 2022, le parlement de la mer a été installé car la région est consciente des multiples enjeux et potentialités que recouvre le territoire littoral. Nous avons souhaité affirmer encore davantage notre politique maritime au travers d’orientations stratégiques pour une région leader de la politique maritime euro-méditerranéenne et une identité maritime renforcée. Déjà dotée d’un plan climat Gardons une Cop d’avance, qui contient des engagements régionaux en faveur de la mer sur son axe dédié, le parlement de la mer est une véritable instance de concertation réunissant des acteurs maritimes, tous secteurs confondus (transports, économie, sports et loisirs nautiques, environnement, etc.).

Source: Le marin