Groenland, une proie vulnérable

 

« Malgré le silence incompréhensible des Européens, une course contre la montre est lancée. Le Groenland pourrait très rapidement basculer du statut de territoire d’outre-mer d’un pays membre de l’UE à celui de protectorat américain », explique Laurent Marchand, rédacteur en chef délégué, éditorialiste en charge de l’Europe et de l’international à Ouest-France.

C’est un espace immense, situé entre l’Atlantique nord et l’Arctique. Peu peuplé – à peine 57 000 habitants – le Groenland est un territoire autonome qui dépend de la couronne du Danemark. Comme une possession d’outre-mer. Un territoire, donc, européen, même s’il est en réalité plus proche des côtes canadiennes.

 

En vertu de l’accord d’association qui lie ce territoire à l’Union européenne, ses habitants sont considérés comme des citoyens de l’UE et peuvent ainsi s’installer dans l’Union comme tous les autres ressortissants des pays membres. Même si, en 1982, le Groenland a décidé de quitter le Marché commun d’alors (CEE), par référendum.

 

Endormi dans les glaces, le Groenland a longtemps été un enjeu stratégique  dormant . Ses ressources naturelles (or, uranium, pétrole, terres rares), relativement peu exploitées jusqu’ici en raison des conditions climatiques, sont convoitées depuis longtemps. Dès 1867, le président américain Andrew Johnson avait d’ailleurs songé à l’acquérir, dans le sillage de l’acquisition de l’Alaska.

 

Plus récemment, la Chine s’y est fortement intéressée, en passant même des accords avec de grandes sociétés (notamment danoises et canadiennes) pour l’exploitation de l’uranium. Mais en 2021, le parlement local a banni l’exploitation de produits radioactifs. La Russie, elle, a toujours été aussi attentive à la position géostratégique de ce territoire, pour les voies de navigation en Arctique.

 

Intérêts américains

Tout cela existait, mais sans fracas. Or, avec le réchauffement climatique, l’expansionnisme russe, la montée en force de la Chine et le retour de Donald Trump au pouvoir, l’Arctique n’est plus un sanctuaire à l’abri des tensions géopolitiques. Stratégiquement, le Groenland constitue une base de surveillance et d’alerte antiaérienne fondamentale pour les Américains, qui occupèrent l’île durant la Seconde guerre mondiale et ont noué un accord de défense avec le Danemark dès 1951.

La navigation, aussi, devient un enjeu majeur. L’an dernier, près de 38 millions de tonnes de frets russes ont emprunté la route maritime du Nord, selon le gouvernement russe. Le recours à des brise-glace est encore nécessaire et coûteux, mais pour combien de temps ?

Alors que le monde semble renouer avec l’ère de l’expansion territoriale des grandes puissances, le statut sui generis du Groenland paraît plus fragile que jamais. Ses habitants, à 98 % Inuits, ont longtemps rêvé d’indépendance et volontiers utilisé les convoitises étrangères comme autant de leviers pour peser sur l’ancienne puissance coloniale, Copenhague. Mais depuis quelques semaines, ils sont inquiets, eux aussi.

En annonçant à plusieurs reprises son intention d’en prendre le contrôle, de gré ou de force, le président Donald Trump est sérieux. Il invoque même la  sécurité nationale  des États-Unis. Les minerais rares et les routes maritimes sont des enjeux majeurs pour l’avenir. Si l’épreuve de force avec Moscou et Pékin devait mal tourner, Donald Trump signifie au monde qu’il a lui aussi une Ukraine ou un Taïwan à portée de main.

Malgré le silence incompréhensible des Européens, une course contre la montre est lancée. Le Groenland pourrait très rapidement basculer du statut de territoire d’outre-mer d’un pays membre de l’UE à celui de protectorat américain. « Le Groenland n’est pas à vendre », insiste le nouveau chef du gouvernement groenlandais. Mais il y a dans les parages un très gros acheteur manifestement prêt à faire une offre qu’il ne pourra pas refuser.

Source : Ouest France