Exploitation des fonds marins : et si on évitait la prochaine catastrophe écologique
28 octobre 2022
28 octobre 2022
Du 31 octobre au 11 novembre, l’Autorité Internationale des Fonds Marins (AIFM) se réunit pour décider du futur des zones sous sa responsabilité. Un enjeu vital sur lequel la position de la France est très ambiguë. Protection ou exploitation, apparemment la question se pose encore…
Sauriez-vous placer Nauru sur une carte ? Nous non plus. Pourtant, c’est depuis cet état insulaire du Pacifique que notre climat pourrait être définitivement condamné.
En juin 2021, Nauru et une entreprise minière (The Metals Company – TMC), ont déposé une demande d’exploitation auprès de l’Autorité Internationale des Fonds Marins (AIFM). Une procédure régulière pour cet organe des Nations Unies qui a pour mission de délivrer des permis d’exploration et de définir les règles d’exploration et d’exploitation des fonds marins de la zone internationale (plus de 200 miles marins des côtes). C’est là que ça se complique.
À ce jour, il n’existe tout simplement aucun règlement concernant l’exploitation des fonds marins internationaux théoriquement permise par la convention de Montego Bay. L’AIFM n’a jusqu’ici délivré que des autorisations d’exploration. Or Nauru et TMC ne veulent pas étudier les fonds marins mais y collecter des minerais. En déposant leur demande, ils ont donc activé la « règle des deux ans ». Ce point de règlement oblige l’AIFM à se prononcer sur leur demande dans ce délai, faute de quoi l’exploitation sera autorisée par défaut et sans réglementation.
La deadline pour autoriser ou interdire ce projet tombe en juin 2023. Mais prendre cette décision nécessite d’établir un code minier des abysses. Un travail technique et politique titanesque. C’est au conseil de l’AIFM de le rédiger. Composé de représentants de 36 États, il devrait ensuite faire valider ce cadre légal par les 168 membres qui composent l’Autorité. Impossible dans les délais impartis, d’autant plus que ces grands fonds sont encore méconnus.
Si douze astronautes ont déjà marché sur la Lune, seuls quatre plongeurs se sont aventurés à plus de 200 mètres de profondeur. Nous ignorons beaucoup de la faune et de la flore des planchers océaniques mais nous savons que de nombreux métaux s’y trouvent sous la forme de nodules poly métalliques. Ces agglomérats, qui ressemblent à des pommes de terre, sont composés de fer, de manganèse, de nickel, de cuivre et de cobalt.
Pour les récolter, il suffirait d’envoyer un robot « tondeuse à grands fonds » qui viendrait racler le sol, aspirer les patates et les expédier en surface. Facile ! The Metals Company le fait déjà. Le 12 octobre, l’entreprise a annoncé avoir collecté 14 tonnes en une heure et sur 147 mètres lors d’un test réalisé par 4 380 mètres de profondeurs dans la zone de Clarion-Clipperton dans le Pacifique.
Le cobalt se négocie en ce moment à 60 000$ la tonne. Ces minerais sont des ressources indispensables pour les industries numériques mais aussi les éoliennes, les panneaux photovoltaïques ou les batteries automobiles. C’est d’ailleurs au nom de la transition vers les énergies renouvelables que The Metals Company justifie ses projets (et sans tousser)…
L’entreprise est obligée de reconnaître que nous n’en avons pas vraiment besoin : il nous reste suffisamment de cuivre, de cobalt et de nickel à la surface terrestre pour 40 ans et nous avons encore du manganèse pour 80. L’extraction de ces ressources pose déjà de graves risques écologiques (c’est une litote) dans un environnement « facile », une telle opération sur le plancher océanique est une catastrophe annoncée.
« Si l’exploitation minière en eaux profondes devait commencer, il n’y aurait pas de retour en arrière possible. »
Matthew Gianni, cofondateur du collectif Deep Sea Conservation Coalition qui regroupe 90 organisations internationales
Pollution sonore et lumineuse, contamination des eaux par les métaux, dispersion d’immenses nuages de sédiments, destruction des écosystèmes marins… Les scientifiques ne peuvent pas encore évaluer précisément les dommages engendrés par le raclage des fonds marins mais ils seraient considérables. En 1989, le Pérou a effectué un test pour les évaluer. La zone raclée est encore dévastée.
Pour avoir le temps de mener ces études et se doter d’un cadre qui puisse réellement protéger les fonds marins, les scientifiques et certains pays appellent à un moratoire international sur leur exploitation minière : tant qu’on ne sait pas à quel point c’est risqué, aucun permis ne serait délivré. Simple, basique.
Fin juin, lors de la Conférence des Nations Unies sur les océans à Lisbonne, l’Espagne, le Chili, le Costa Rica et la majorité des états insulaires du Pacifique se sont prononcés en faveur de cette pause. Emmanuel Macron avait créé la surprise en les rejoignant.
Jusqu’à présent, le gouvernement était favorable à la quête de minerais. Pour le président, l’exploration des fonds marins était une « priorité d’avenir ». En septembre 2021, la France n’avait donc pas soutenu le moratoire sur l’extraction minière en haute mer lors du dernier congrès mondial de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). En clair : les patates nous intéressaient trop pour vouloir interdire leur récolte.
La volte-face du président est d’autant plus importante que la France fait partie du Conseil de l’AIFM dont elle est au premier rang des pays membres en termes de superficie de sa Zone Economique Exclusive. C’en est également l’un des principaux contributeurs financiers. On pèse dans le game.
Cette déclaration ne semble pas avoir été suivie d’effets. Lors des négociations de juillet, le représentant français s’est déclaré en faveur d’un règlement incluant des fortes dispositions de protection des écosystèmes marins. Mais sans moratoire clair ni accord global (ce qui est plus que probable), l’exploitation des fonds marins commencera en juillet 2023 ! Interrogé sur la position de la France, la réponse du ministre de l’écologie ne semble pas très claire.
Olivier Poivre d’Arvor, ambassadeur des pôles et des enjeux maritimes a déclaré pousser « à l’adoption de règles communes, sur le modèle du Code minier français, pour interdire les projets néfastes » pour l’environnement. Seul problème : le code en question, malgré sa réforme récente, n’interdit pas l’exploitation minière des grands fonds…
L’ambassadeur ne semble pas avoir entendu le Président. Le secrétaire général pour l’investissement non plus : Bruno Bonnell, ancien député LREM, déclarait la semaine dernière vouloir « Faire de la France un champion » des fonds marins.
Mais à part le gouvernement, les soutiens à l’exploitation minière des océans sont rares. Dans son rapport « Abysses : la dernière frontière », le Sénat a rendu une conclusion catégorique : se lancer dans de tels projets serait « prématuré ». Non seulement « l’échéance et la nature des besoins demeurent floues compte tenu des réserves existantes », mais il « faut imposer des règles de protection de l’environnement ». À l’Assemblée Nationale, le député EELV Nicolas Thierry, lance ce mercredi 26 octobre une coalition transpartisane en faveur du moratoire.
Les grandes entreprises se sont également positionnées. Google, Samsung BMW et Renault ont déclaré qu’elles n’utiliseraient pas de métaux issus des fonds marins.
Les scientifiques alertent sur une catastrophe annoncée, les parlementaires soulignent qu’une telle exploitation minière n’est pas utile et les plus grandes entreprises indiquent qu’elles n’utiliseront pas ces minéraux. Mais alors… pourquoi ?!
Les financements de l’AIFM dépendent en grande partie de l’allocation de licences d’exploration et des futurs profits qui seront réalisés par les entreprises exploitantes. Pas sûr que cet organe soit si enclin à passer un moratoire.
Quant à la France, elle dispose du deuxième espace maritime mondial (10,2 millions de km² dont 97 % outre-mer) et d’une expertise reconnue avec l’Ifremer. Présente dans tous les océans sauf l’Arctique, elle pourrait tirer avantage d’un code minier qui permettrait de racler les fonds marins.
Est-il alors utile de rappeler que les océans sont le principal régulateur du climat ? Ils absorbent 93 % de l’excès de chaleur induit par les activités humaines et environ 30 % des émissions de CO2, tout en générant près de la moitié de notre oxygène.
Mais que pèsent ces détails s’il y a des patates au fond de l’eau… ?