Environnement : La crise des déchets organiques en Tunisie
19 décembre 2024
19 décembre 2024
La Tunisie fait face à des défis environnementaux importants liés à la pollution, notamment la gestion des déchets organiques. D’après le rapport 2021 du Programme des Nations unies pour l’environnement (Pnue), environ 931 millions de tonnes de déchets alimentaires sont produites chaque année à l’échelle mondiale, contribuant à des émissions importantes de méthane et de gaz à effet de serre
En Tunisie, environ 60 % des déchets ménagers proviennent de matières organiques, représentant une perte économique considérable estimée à près de 100 millions de dinars par an, en grande partie due aux déchets alimentaires, notamment les produits subventionnés comme le pain.
Dans le cadre de cet article, nous avons souhaité recueillir l’avis du directeur général de l’Anged (Agence nationale de gestion des déchets organiques). Cependant, il y a eu un manque de coopération et d’implication de la part du ministère de l’Environnement, ce qui a limité l’accès aux informations officielles et a compliqué la collecte de données pertinentes.
Cette gestion inefficace des déchets a des répercussions majeures sur l’environnement, l’économie et la santé publique, renforçant l’urgence de trouver des solutions durables.
Face à ces défis environnementaux et économiques, l’expert Dr Wassim Chaâbane, consultant en gestion des déchets et économie circulaire, a souligné que la gestion des déchets repose avant tout sur une bonne organisation, une réglementation applicable, appuyée par un financement durable, accompagnée d’une communication efficace et un renforcement continu des capacités. La technologie, souvent perçue comme la clé des solutions pour la résolution des problèmes des déchets, n’intervient qu’en bout de processus. Il a, en effet, insisté sur l’importance du tri sélectif, aussi bien au niveau des ménages que des industries, comme base essentielle. À titre d’exemple, en Allemagne, les citoyens disposent de poubelles de différentes couleurs, la poubelle marron est destinée aux déchets organiques pour le compostage. Un calendrier annuel précise les jours et horaires de collecte, garantissant une gestion optimale et des coûts optimisés. Les déchets organiques triés sont envoyés vers des stations de compostage, en aérobie ou en anaérobie, produisant un compost de qualité. Cependant, la contamination par des microplastiques demeure un défi, impactant la qualité du compost et des sols. En cas de tri inadéquat, les déchets organiques mélangés dans les poubelles noires sont extraits dans les unités de traitement mécano-biologique, mais leur qualité dégradée les condamne souvent aux décharges après la stabilisation. En Tunisie, la fraction du déchet organique composté ne dépasse pas 1%, principalement en raison du faible marché pour ce produit. Les agriculteurs, bien que conscients des avantages du compost sur la qualité et la quantité de leurs productions, privilégient les engrais chimiques, plus abordables financièrement. Malgré cela, Chaabane rappelle que la Tunisie dispose, depuis 2005, d’une norme pour le compost alignée sur les standards européens. Législativement, aucune loi n’interdit le compostage domestique ou professionnel, et la loi de finances 2024 introduit des incitations fiscales pour les projets d’économie verte et circulaire, qui seront renforcées en 2025.
Pour mieux cerner les pratiques et attitudes des citoyens face à ces défis, une enquête réalisée à Bizerte a révélé des données clés qui soulignent les besoins et opportunités liés au compostage.
Selon un sondage réalisé sur un échantillon représentatif des citoyens de la ville de Bizerte, les connaissances générales sur le compostage et l’économie circulaire sont relativement bien ancrées : 70% des répondants savent ce qu’est le compostage, 66,7% ont entendu parler de l’économie circulaire, mais des lacunes subsistent. Concernant les pratiques, seuls 26 % des habitants trient systématiquement leurs déchets, tandis que 46,7 % jettent toujours leurs déchets organiques avec les autres types de déchets. Cette situation s’explique en partie par l’absence d’espaces pour le compostage, un problème mentionné par 66,7% des répondants.
Néanmoins, 93,3% reconnaissent l’utilité environnementale du compostage, et 80% se disent prêts à participer à un programme collectif de compostage. Parmi les barrières identifiées, le manque d’information est cité par 50% des participants, suivi par l’insuffisance d’espaces (16,7%) et le manque de temps (10%). Sur le plan de la gestion des déchets, 56% des habitants jugent les pratiques locales très mauvaises, et 73,3% reprochent aux autorités locales un manque d’efforts pour promouvoir une gestion durable. Pourtant, 90% des citoyens estiment que la valorisation des déchets organiques via le compostage pourrait réduire les coûts de gestion des déchets municipaux, et 80% soutiennent l’investissement de ressources publiques dans ce secteur.
Ces données montrent un intérêt marqué pour des solutions locales de compostage, mais également un besoin d’information et de soutien institutionnel pour surmonter les obstacles actuels.
C’est dans ce contexte que le projet d’unité de compostage Sircles se pose comme une réponse innovante et nécessaire pour transformer ces déchets organiques en ressources valorisables, réduisant ainsi l’empreinte écologique. Bien que le gouvernement et les ONG aient lancé plusieurs initiatives pour contrer la pollution sous diverses formes, y compris les déchets plastiques, l’implémentation de solutions comme le projet Sircles reste cruciale pour amplifier l’impact et assurer un avenir plus durable.
Origine et objectifs du projet
Dans un contexte de pollution croissante en Tunisie, où environ 65 % des déchets totaux proviennent de matières organiques, le projet Sircles émerge comme une réponse efficace et durable. Lancé en février 2021 et financé par l’Union européenne, ce projet pilote s’inscrit dans une dynamique régionale et s’étend sur sept pays méditerranéens, dont la Tunisie. Son objectif est de valoriser les déchets organiques par compostage, tout en promouvant l’économie circulaire et en soutenant l’inclusion sociale.
En Tunisie, Sircles propose une approche novatrice pour transformer les déchets organiques en ressources précieuses. Le compostage, qui représente une alternative écologique aux engrais chimiques, est au cœur de ce projet. Ce processus, réalisé selon une méthode de compostage en andains (ou Windrow Piles), permet de traiter divers types de résidus comme les déchets alimentaires, les déchets verts et le fumier, afin de produire un compost de haute qualité, utilisable dans l’agriculture.
En plus de sa valeur environnementale, cette solution offre des opportunités d’emploi, notamment pour les jeunes, les femmes et les groupes vulnérables, souvent touchés par le chômage dans la région méditerranéenne.
Dans le cadre d’une interview, Aymen Louhichi, responsable de l’unité de compostage, a mis en lumière l’absence d’une structure de recyclage des déchets organiques à Bizerte et l’importance d’un tel projet face à l’abondance des déchets en automne et en hiver. Il a mentionné que des collecteurs clandestins, menuisiers, agriculteurs et un entrepreneur municipal participent au processus de collecte et de tri. Les coûts atteignent 15.600 dinars par mois, avec un loyer annuel de 6.000 dinars, mais les ventes de compost (650 dinars/tonne) génèrent une recette de 118.300 dinars par an, couvrant les charges.
Il a insisté sur le besoin d’une implication accrue des administrations, d’associations et de partenariats avec les médias. Malgré l’absence de problèmes liés à la quantité de déchets disponibles, il a souligné le manque de réglementation dans le domaine se présente comme un obstacle. Des formations, telles que celles au centre de Rimel, et des visites de terrain contribuent à sensibiliser les citoyens.
Malgré des défis comme le manque de mobilisation, il observe un impact positif, notamment auprès de médecins et agriculteurs sensibilisés à l’agriculture biologique. Enfin, il reste optimiste quant à l’avenir du projet, souhaitant son extension et sa pérennisation.
Transport, collecte et tri des déchets : des obstacles majeurs
Malgré ses avantages, le projet rencontre des obstacles, notamment liés aux coûts élevés du transport, à la fréquence des collectes et à un tri insuffisant des déchets à la source. Pour surmonter ces défis, Sircles travaille sur l’optimisation des processus logistiques et met en place des programmes de sensibilisation pour encourager un tri plus rigoureux.
Rôle de la sensibilisation et de l’éducation environnementale
Des visites éducatives, notamment pour les écoliers et les associations, sont organisées afin de promouvoir la gestion des déchets organiques et l’utilisation du compost domestique.
Lors d’une interview, Yosri, un ouvrier de l’unité de compostage, a partagé son expérience, mettant en avant son rôle polyvalent dans toutes les étapes du processus, tout en insistant sur l’importance du tri pour garantir la qualité du compost.
Avant de rejoindre l’unité, il n’avait aucune connaissance du compostage, mais il considère désormais ce travail comme stable et enrichissant, tant sur le plan personnel que communautaire. Il a observé un impact positif, avec des citoyens s’intéressant davantage à la gestion responsable des déchets. Cependant, il a identifié des défis, notamment l’absence d’un tamis et le besoin de recruter davantage d’ouvriers pour alléger la charge de travail. Il estime que son travail est moyennement suivi, il participe activement aux évaluations pour améliorer les performances. Il a également souligné que, malgré une sensibilisation encore limitée des citoyens, des progrès sont visibles dans leur comportement. Enfin, il est conscient des règles encadrant son activité, qu’il juge exemptes de complications, et aspire à une collaboration accrue avec la municipalité pour pérenniser le projet.
Perspectives d’avenir : étendre l’impact du compostage en Tunisie
Les projets pilotes en cours donnent déjà des résultats significatifs en matière de gestion durable des déchets et d’insertion professionnelle. À long terme, Sircles espère élargir son impact en Tunisie et au-delà, contribuant à une transition vers une économie circulaire plus respectueuse de l’environnement. Grâce à ce modèle, SIRCLES prouve que l’économie circulaire peut être un levier pour la durabilité et la création d’emplois verts, tout en améliorant la gestion des déchets.
Vers une gestion durable des déchets organiques
En combinant des initiatives citoyennes, des solutions innovantes comme Sircles et un soutien institutionnel accru, la Tunisie peut s’engager sur la voie d’une gestion durable des déchets organiques, réduisant ainsi les impacts environnementaux et économiques liés à la pollution.
«Ce travail a été réalisé en collaboration avec la Section-Tunisie de l’Union de la presse francophone»