En Zambie, le poisson d’élevage, une source « pas chère » de protéines pour lutter contre la malnutrition



Simple et efficace. Dans ce magasin de la marque Yalelo trônent en tout et pour tout une grosse balance et un long bac réfrigéré semblables à ceux des supermarchés. Sur leur lit de glace, des dizaines de poissons frais y attendent le client. En cette fin de journée de novembre à Kafue, ville à 45 km au sud de Lusaka, les voilà justement – des clientes, essentiellement – qui passent acheter le repas du soir ou du lendemain. Gants enfilés, elles choisissent elles-mêmes leurs tilapias, une espèce d’eau douce appréciée dans la région, puis font peser leur butin sur la balance.

Le kilo est à 64 kwachas, soit un peu plus de 2 euros. « Ce n’est pas cher », s’enthousiasme Nambela Namwila, 38 ans, cliente régulière et mère de deux enfants. « Chaque semaine, je leur donne une fois du poisson et une fois du poulet », ajoute cette employée d’hôtel. A sa suite, Duminga Machipisa, 28 ans, a fait du poisson frit la spécialité du petit restaurant qu’elle tient non loin de là. « Beaucoup de gens aiment le poisson, je dois m’assurer de toujours en avoir », dit-elle.

La Zambie a beau être enclavée au milieu de l’Afrique australe, à plus de 600 km de l’océan, c’est un pays riche de rivières et de lacs – dont l’immense Kariba, né de la construction d’un barrage sur le fleuve Zambèze – et on y raffole de poisson. Contrairement à de nombreux pays d’Afrique, sa consommation y est plus élevée que celle de poulet.

De ce point de vue, « la Zambie est très particulière », note Samanta Mapfumo, coordinatrice de projet au bureau zambien de la coopération allemande, la GIZ. « Chez les personnes mal nourries, 60 % des protéines animales consommées viennent du poisson, c’est très élevé », poursuit-elle, ajoutant que cette nourriture est aussi source d’acides gras : « Donc cela fait une grande différence si vous aidez les personnes mal nourries à y avoir accès. »

 

Moins polluant que la viande

 

La malnutrition atteint en Zambie l’un des niveaux les plus élevés au monde, selon le Programme alimentaire mondial (PAM), avec 48 % de la population n’obtenant pas la quantité minimum de calories par jour et 35 % des enfants de moins de 5 ans connaissant un retard de développement pour cette raison.

Face à ce fléau, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) plaide, à l’échelle de l’Afrique, pour le développement du poisson d’élevage : il est moins cher et moins polluant à produire que la viande, et ses niveaux de production sont encore anecdotiques comparés aux autres continents. Très largement dominé par l’Egypte, le secteur du poisson en Afrique a progressé de 455 % depuis l’an 2000, mais ce chiffre illustre un immense retard : l’Afrique totalise moins de 2 % de la production mondiale et affiche la consommation par tête la plus faible au monde, selon le rapport « Etat de la pêche et de l’aquaculture 2024 » de la FAO.

En Zambie, dans un contexte d’épuisement et de protection renforcée du poisson sauvage, la production locale a plus que triplé au cours de la dernière décennie, passant de 13 000 tonnes en 2012 à plus de 45 000 tonnes en 2020, selon la FAO. Un bond porté à la fois par des acteurs privés et, à plus petite échelle, par des programmes de développement et d’ONG. Ainsi, la GIZ a formé environ 1 900 petits agriculteurs de la province rurale de Luapula (nord) à élever des poissons chez eux, en petit bassin, pour leur propre consommation. L’organisation a également travaillé dans l’est du pays sur des petits élevages artisanaux.

Mais l’essentiel de la hausse est venue de fermes, comme celle de Yalelo. Le leader local s’est installé en 2011 sur les rives du lac Kariba, la plus grande étendue d’eau douce artificielle du monde, qui compte quelques exploitants. Harnaché d’un gilet de sauvetage, on rejoint en bateau pneumatique ses cages, de larges bouées circulaires soutenant de grands filets, où les poissons grandissent en dix mois l’hiver, six mois l’été. A maturité, la cage entière est tirée jusqu’à la rive et le poisson directement stocké dans la glace à sa sortie de l’eau. Moins de trente-six heures plus tard, il sera vendu dans l’un des 75 magasins disséminés à travers le pays : une fraîcheur dont l’entreprise s’enorgueillit.

 

« Le tilapia permettra de nourrir l’Afrique »

 

A son arrivée, rappelle Ulric Daniel, PDG de Yalelo en Zambie (l’entreprise opère aussi en Ouganda), le marché était dominé par des importations de poisson congelé venant principalement de Chine. Les importateurs « pensaient qu’ils étaient intouchables », raconte ce citoyen sud-africain et néerlandais : « Aujourd’hui, la préférence des consommateurs est passée du tilapia congelé au tilapia frais, au point que les importateurs peinent à maintenir leur part de marché » même en étant légèrement moins chers. Cet approvisionnement local permet aussi de développer l’emploi et de réduire les importations dans un pays en manque de dollars.

Bien sûr, l’aquaculture en Zambie est confrontée à des défis. Le pays a été durement touché par une sécheresse historique en 2024, avec de multiples conséquences sur la vie quotidienne et les industries. Yalelo a pu continuer d’opérer dans le lac en tirant les cages plus loin, mais ses coûts d’énergie ont explosé, de même que ceux de l’alimentation des poissons (maïs, soja, restes de poulet et de poisson, essentiellement locaux).

En face, le consommateur, au budget déjà très limité, a lui aussi perdu en pouvoir d’achat pendant cette période difficile. « Nous ne pouvons pas lui faire porter les coûts additionnels que nous payons, donc nous avons réduit nos marges, explique Ulric Daniel. On subventionne, en quelque sorte, jusqu’à ce que les consommateurs retombent sur leurs pieds. »

Un autre acteur de l’industrie souligne que l’aquaculture a connu une telle croissance en Zambie qu’une « saturation » s’est opérée, contraignant les industriels à « une guerre des prix ». « Mais cela fait partie du développement d’un marché », nuance cet expert, se disant optimiste pour le futur : « Nous pensons que le tilapia permettra de nourrir l’Afrique en raison de sa compétitivité-prix. » Et si les entreprises zambiennes souffrent actuellement, ajoute-t-il, « celui qui sourit, à ce stade, c’est le consommateur ».

Source: Le Monde