«En protégeant mieux ses océans, la France gagnerait en crédibilité à l’international»

 

En juin, la France accueillera la troisième Conférence des Nations unies sur l’océan. Or dans le même temps, le pays en fait moins que ses voisins pour protéger ses fonds marins et leur biodiversité, alertent plus de soixante scientifiques et experts de l’environnement, dont Pascal Lamy et Camille Etienne.

À l’heure où la France s’apprête à accueillir la troisième Conférence des Nations unies sur l’océan (UNOC-3) à Nice en juin 2025, et à quelques jours du sommet international SOS Océan, un constat s’impose : notre pays, deuxième domaine maritime mondial, est loin d’être un exemple en matière de protection de l’océan. Il mène effectivement une politique à rebours des recommandations de la communauté scientifique et contourne les standards internationaux et européens.

La France revendique protéger plus de 33 % de son espace maritime à l’aide d’aires marines protégées (AMP). Cependant, très souvent, nos AMP n’ont de «protégées» que le nom. 80 % de ces AMP n’imposent aucune différence de réglementation entre l’intérieur et l’extérieur. Alors qu’il est établi que la pêche est la principale cause d’érosion de la biodiversité marine, des chalutiers de fond peuvent par exemple pêcher dans nombre de ces AMP. Le paradoxe français se manifeste particulièrement dans l’objectif du pays de protéger 10 % de ses eaux en «protection forte». Cette labellisation ne correspond ni aux standards internationaux ni aux recommandations de l’Union européenne. Pour l’heure, elle n’interdit formellement aucune activité industrielle ou exerçant une pression sur la biodiversité, hormis l’extraction minière et de matériaux.

Pire, pour protéger la biodiversité exceptionnelle des îles Éparses, le gouvernement prévoit la création d’une AMP de plus de 600.000 km² dans l’océan Indien, sans modifier les pratiques de pêche existantes. Ainsi, dans cette réserve naturelle nationale, plus fort statut de protection de notre pays, la pêche sur dispositifs de concentration de poissons (DCP), une technique de pêche à l’origine de fortes pressions sur la biodiversité marine, serait autorisée. Comment imaginer, dans ces conditions, que cette AMP géante devienne la vitrine de la politique française à l’UNOC-3 aux côtés de projets en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie ? Ces grandes AMP doivent être dotées de moyens humains, financiers et de surveillance, et afficher une protection à la hauteur des enjeux en excluant les pratiques d’exploitation les plus néfastes pour la biodiversité marine. Autre constat troublant : 94 % de nos zones véritablement protégées se trouvent aux antipodes de l’Hexagone, dans les Terres australes françaises et en Nouvelle-Calédonie. Un niveau d’ambition équivalent serait attendu pour les eaux métropolitaines. Pourtant, les travaux scientifiques les plus récents démontrent que la protection intégrale n’en représente qu’une portion congrue : 0.1 % en Méditerranée et 0.008 % en Atlantique-Manche-Mer du Nord. Comment justifier une telle faiblesse dans la protection de nos eaux hexagonales ?

La communauté internationale ne s’y trompe pas et aura en juin 2025 les yeux rivés sur la France. L’accord de Kunming-Montréal de 2022 sur la biodiversité fixe un objectif clair : protéger et gérer efficacement 30 % des surfaces marines d’ici 2030. L’Union européenne va plus loin, recommandant qu’un tiers de cette surface (donc 10 % des eaux côtières et marines européennes) soit protégé sous un régime de «protection stricte». En accord avec les standards internationaux des catégories I et II de l’UICN, la protection stricte exclut toute activité extractive (pêche récréative ou professionnelle, éolien en mer, exploitation minière, etc.). Les études scientifiques le démontrent : les aires marines en protection haute et intégrale sont les plus à même de fournir des bénéfices écologiques (des poissons plus gros et plus abondants, parfois plus de diversité en espèces), économiques (augmentation des captures autour de l’aire protégée, zone d’attraction pour un tourisme durable) et sociaux (maintien des revenus pour les pêcheurs, développement d’activités économiques locales). Enfin, en associant les parties prenantes, les AMP contribuent à une meilleure gouvernance de l’océan et accroissent la connaissance du milieu marin.

Notre crédibilité internationale est en jeu alors que nos voisins européens, comme la Grèce, le Royaume-Uni ou la Suède, agissent déjà concrètement en interdisant des pratiques destructrices

La Conférence de Nice représente une opportunité historique pour la France de reprendre le leadership en matière de protection de l’océan. Pour cela, une priorité s’impose : faire que la protection forte, «à la française», corresponde à la protection stricte européenne et s’assurer d’une répartition équitable de cette protection entre eaux métropolitaines et ultramarines. Notre crédibilité internationale est en jeu alors que nos voisins européens, comme la Grèce, le Royaume-Uni ou la Suède, agissent déjà concrètement en interdisant des pratiques destructrices, à l’image du chalutage de fond, dans leurs AMP. Il devient urgent pour la France d’emboîter le pas de ces initiatives et d’assurer la concordance entre ses AMP et les standards internationaux. À défaut, faudra-t-il se résoudre à renoncer à ce qualificatif de «protégé» ?

Monsieur le Président, l’heure n’est plus aux demi-mesures. En tant qu’hôte de l’UNOC-3, la France hérite d’une responsabilité et d’une opportunité inédite. L’enjeu dépasse largement la préservation de la nature ; il y va de l’avenir de nos sociétés. Protéger strictement 10 % de nos eaux, c’est garantir la bonne santé de l’océan, régulateur du climat, plus grand réservoir de biodiversité sur Terre, et notre meilleur allié dans la lutte contre le changement climatique et la perte de biodiversité.

Source : Le Figaro