En Méditerranée, l’amélioration du traitement des eaux usées semble profiter aux posidonies
24 mai 2024
24 mai 2024
Chargée du suivi annuel des herbiers de posidonies en Méditerranée française, Andromède Océanologie a constaté des reprises de croissance dans certaines zones d’Occitanie, probablement en lien avec les progrès dans le traitement des eaux usées en France. Une bonne nouvelle pour cet écosystème soumis à de nombreuses pressions.
« Signaux précoces du rétablissement des herbiers de Posidonia oceanica dans un contexte d’amélioration du traitement des eaux usées ». C’est le titre de l’article, prudent mais positif, publié dans l’édition d’avril de la revue scientifique Marine Pollution Bulletin, dont Thomas Bockel est l’auteur principal. Ingénieur de recherche en écologie marine et doctorant, il travaille depuis six ans chez Andromède Océanologie, entreprise fondée en 2008 par deux biologistes marins, Pierre Descamp et Laurent Ballesta, par ailleurs célèbre photographe animaliste.
Basée à Carnon (Hérault) et spécialisée dans l’étude, la restauration et la valorisation des écosystèmes marins, l’entreprise assure depuis une dizaine d’années le suivi de l’état écologique des herbiers de posidonies en Méditerranée française, pour le compte de l’Agence de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse. « Cela représente un gros linéaire de côte, qui s’étend sur les régions Occitanie, Provence-Alpes-Côte d’Azur et Corse », explique Thomas Bockel à Mer et Marine. « Nous nous concentrons chaque année sur l’une de ces régions, et revenons tous les trois ans ».
Pourquoi une telle attention accordée à ces posidonies ? Parce que ces plantes à fleurs marines endémiques de Méditerranée, qui se développent entre 0 et 40 mètres de fond, rendent de nombreux services écosystémiques : « leur importante masse racinaire de plusieurs mètres de profondeur vient créer une sorte de barrière contre la houle, elles servent de nurserie pour les juvéniles de poissons, fixent et stockent du carbone dans des proportions comparables aux plus grosses forêts tropicales… », énumère le chercheur. D’où l’importance de ne pas dégrader cet écosystème, dont on estime qu’il a perdu 10% de surface en 100 ans dans l’ensemble du bassin méditerranéen.
En cause, les pressions anthropiques, c’est-à-dire d’origine humaine, qui ne cessent d’augmenter depuis une cinquantaine d’années. Aménagements côtiers, rejets urbains, ancrage et réchauffement climatique mettent à mal les prairies sous-marines, qui sont pourtant protégées, en France, par un arrêté ministériel datant de 1988, mais aussi par les conventions internationales de Berne et de Barcelone. Elle est également identifiée comme habitat prioritaire au titre de la directive européenne « Habitat, faune, flore », qui date de 1992.
Voilà pour la théorie. En pratique, si les posidonies occupent en France environ 80.000 hectares, et couvrent encore 66.2% des fonds en Corse et 33.5% en Provence-Alpes-Côte d’Azur, « elles ont quasiment disparu en Occitanie », explique Thomas Bockel. Ces fortes variations selon les régions sont notamment liées à leurs différentes conditions hydrologiques. « Mais, à partir de 2021-2022, on a commencé à observer en Occitanie des reprises de croissance dans la limite inférieure des herbiers, à 35 mètres de profondeur ».
Parmi les possibles facteurs explicatifs, le doctorant choisit de s’intéresser aux conséquences de l’amélioration du traitement des eaux usées, mise en œuvre en France au début des années 2010 en application d’une directive européenne datant de 1991. « Jusque-là, dans les stations d’épuration, les eaux usées n’étaient traitées que physiquement, avec une grille pour capturer les macro-déchets, mais les pollutions biologique et chimique n’étaient pas traitées et venaient contaminer le milieu naturel lorsqu’elles y étaient rejetées ». Depuis une dizaine d’années, une étape de traitement biologique de la matière organique a été ajoutée au processus : les eaux arrivent dans un bassin où se sont développées des bactéries qui vont digérer les impuretés, avant le rejet de l’eau traitée dans le milieu naturel.
Pour déterminer si les reprises de croissance des herbiers sont liées à ces améliorations, l’équipe d’Andromède Océanologie a analysé puis croisé des données transmises par l’Agence de l’eau sur les flux de polluants dans les rejets urbains d’une part, et des données environnementales issues du réseau satellitaire Copernicus (température de surface, turbidité, salinité…) d’autre part, le tout sur une période de 20 ans.
Les résultats tendent à montrer qu’il existerait bien une corrélation entre l’amélioration du traitement des eaux usées et les reprises observées, notamment dans les sites de suivi d’Andromède Océanographie, à Paulilles dans le Parc naturel marin du golfe du Lion (Pyrénées-Orientales), à Agde (Hérault) et à Carnon. Même s’il tient à rester prudent, Thomas Bockel parle tout de même d’un « signal positif, pour quelque chose qui prend du temps : il a fallu 20 ans pour que la réglementation soit appliquée, et une dizaine d’années supplémentaires pour commencer à constater une amélioration dans le milieu. Sachant que la France est plutôt une bonne élève par rapport aux autres pays européens ».
L’identification, puis la diminution des pressions à l’origine de la dégradation des écosystèmes relèvent du principe de la restauration écologique passive, qui se base sur la résilience des milieux, à l’inverse de la restauration active, qui implique une intervention humaine. « Avant de replanter des herbiers de posidonie, comme nous le faisons par ailleurs, il faut commencer par réduire les pressions », insiste Thomas Bockel.
Andromède Océanologie, qui réalise depuis dix ans une cartographie continue des habitats sous-marins en Méditerranée française (plateforme Medtrix), a par exemple lancé en 2018 un outil qui permet aux possesseurs de navires de participer à la réduction d’une pression particulièrement destructrice pour les herbiers, notamment en région Provence-Alpes-Côte d’Azur : celle de l’ancrage. L’application Donia, qui compte aujourd’hui 50.000 utilisateurs actifs, permet, grâce à la cartographie, de connaître la nature du sol sous-marin qui se trouve sous son navire, et donc d’éviter les zones sensibles.
Mieux vaut en effet les identifier avant de jeter l’ancre : depuis 2019, un arrêté de la Préfecture maritime de la Méditerranée interdit le mouillage des bateaux de plus de 24 mètres dans les zones abritant des herbiers de posidonies. Avec la signature du dernier arrêté local en 2023, toute la façade méditerranéenne française est désormais couverte. Les contrevenants risquent jusqu’à 150.000 euros d’amende et un an d’emprisonnement, une suspension du permis de navigation voire une exclusion de la mer territoriale pour les contrevenants étrangers.