En Méditerranée, entre restauration et restriction, il faut sauver le « poumon » posidonie…

 

Vitaux pour le climat et la biodiversité, les herbiers de posidonie perdent du terrain en Méditerranée. Des scientifiques et acteurs publics se mobilisent pour les protéger et les restaurer.

 Un travail de fourmi ! Jo-Ann Schies résume ainsi sa mission entre deux plongées. Elle est biologiste marine chez Andromède océanologie, une société cofondée à Montpellier par le photographe-plongeur Laurent Balesta. Depuis 2019, son équipe accomplit un minutieux labeur.

 

Un lieu de vie et de reproduction

 

Par vingt mètres de fond dans les Alpes-Maritimes (Golfe-Juan, Beaulieu-sur-Mer et Villefranche-sur-Mer), elle récolte un à un des fragments arrachés de posidonie, avant de les repiquer dans le sol marin. Le but ? Aider cette précieuse plante à fleurs à recoloniser son territoire perdu : 10 % en un siècle en Méditerranée française. La faute aux ancres des bateaux, aux aménagements côtiers, à la pêche de fond et à la pollution. À l’échelle méditerranéenne, le WWF estime cette perte à 34 %.

Pendant des forêts terrestres, ces herbiers constituent un lieu de vie et de reproduction pour 400 espèces végétales et 1 000 espèces animales, mais aussi un irremplaçable puits de carbone, stockant trois fois plus de CO2 au m2 que la forêt terrestre. Sans oublier leurs pouvoirs filtrant, anti-érosion… Au total, Andromède a dénombré 25 fonctions pour ce végétal dont il cartographie l’évolution en France depuis dix ans, tout en surveillant la qualité des eaux côtières avec l’Agence de l’eau Rhône Méditerranée et Corse.

 

Repic, Repair, Reposeed…

 

À Marseille, le programme Reposeed consiste à planter des graines de posidonies au fond de l’eau, à l’emplacement d’anciens herbiers. Fin 2023, 30 % avaient germé, donnant des pousses de 6 à 11 cm. | GIS POSIDONIE

L’opération Repic apporte de bons mais lents résultats : environ 80 % de taux de survie pour les milliers de fragments transplantés, et 2 000 m2 d’herbiers régénérés. Ailleurs, d’autres optent pour des techniques de boutures en laboratoire, à l’image du programme Repair en Corse. D’autres enfin parient sur des méthodes low cost, comme celles du programme Reposeed. À Marseille, la municipalité récolte des graines de posidonie sur le rivage et les sème à 28 mètres de fond, sur un tapis végétal.  Selon les premières observations, 30 % des semis ont pris, c’est assez encourageant , estimait fin 2023 Hervé Menchon, adjoint au maire chargé des littoraux. L’opération entre dans un « plan posidonie » à 1,4 million d’euros, qui prévoit aussi des mesures de prévention.

 Protéger restera toujours plus efficace que restaurer , souligne Jo-Ann Schies. Pour sauver la posidonie des ancres de la plaisance, Andromède a lancé le programme Donia : une application, qui signale les herbiers aux plaisanciers (66 000 ont téléchargé ce  Waze de la mer ) et un système de bouées connectées qui permet aux yachts de s’amarrer plutôt que jeter l’ancre. Dix unités sont déjà en place dans les Alpes-Maritimes. Un principe sur réservation également adopté dans les parcs nationaux comme Port-Cros (Var) pour les plus petites embarcations. Le Parc des calanques de Marseille (Bouches-du-Rhône), qui a banni l’ancre dans certains secteurs, y réfléchit aussi.  Un réel dialogue s’est créé entre les scientifiques et les acteurs publics , salue Jo-Ann Schies.

 

Amende et interdiction de naviguer

 

La posidonie a beau être classée espèce protégée depuis 1988, il a fallu attendre 2020 pour que la préfecture maritime de Méditerranée interdise aux yachts de plus de 20 ou 24 mètres de jeter l’ancre dans ses herbiers sur une large partie de la Côte d’Azur. Mais les choses s’accélèrent. Fin 2023, un capitaine ayant bafoué la règle à Cannes et Saint-Tropez a été condamné par le tribunal maritime de Marseille à 20 000 € d’amende et une interdiction de naviguer d’un an. Et en juin dernier, contre trois capitaines jugés pour les mêmes faits, France nature environnement (FNE) et la préfecture maritime ont déposé au civil une plainte assortie d’une demande de réparation financière inédite : entre 200 000 et 250 000 €, voire 300 000 € selon les destructions.

En attendant de savoir si de telles sommes viendront alimenter les programmes de sauvegarde, une évolution encourageante se dessine. Au printemps, Andromède a signalé des  signaux précoces du rétablissement des herbiers dans un contexte d’amélioration du traitement des eaux usées. Mais la repousse est extrêmement lente, avertit Jo-Ann Schies. Pour récupérer des herbiers denses, cela prendra plus de cent ans. »  

Source: Ouest france