Ils sont cinq. Cinq nouveaux pays qui se sont déclarés pour un moratoire sur l’exploitation minière des fonds marins : l’Autriche, le Guatemala, le Honduras, Malte et Tuvalu lors de cette session de l’AIFM qui se tenait en Jamaïque du 15 juillet au 2 août. Cela porte à 32 le nombre d’États dans le monde qui réclament de ne pas se lancer dans l’exploitation des abysses avant de mieux les connaître et de mesurer l’impact, notamment écologique, que leur infligerait une activité minière. Un nombre qui demeure minoritaire mais qui progresse d’année en année. Lors de la session 2023 de l’AIFM, la Suède ou encore l’Irlande s’étaient déjà jointes à la demande de faire une pause. Les ministres irlandais demandant alors : qu’aucune exploitation minière en eaux profondes n’ait lieu tant qu’un cadre réglementaire solide n’aura pas été mis en place pour protéger le milieu marin et que la base de connaissances scientifiques ne sera pas suffisante pour permettre une prise de décision en connaissance de cause
Cette position est également celle de la France, telle que l’exprime Olivier Poivre d’Arvor, ambassadeur des pôles et des enjeux maritimes : Nous, Français, considérons qu’il est absurde et dangereux d’exploiter ces fonds alors que nous ne connaissons pas ces écosystèmes, qu’ils sont fragiles et qu’ils stockent du carbone.
Sur les 167 États membres de l’institution, environ 80 soutiennent l’exploitation minière des fonds marins, estime François Chartier, chargé de campagnes Océans à Greenpeace. Parmi eux, la Chine, Nauru, la Norvège ou encore Singapour. Le bras de fer est engagé. D’autres n’ont pas une position ferme, ou ne se sont pas déclarés.
C’est quoi l’AIFM ?
Inconnue du grand public, cette instance des Nations Unies regroupe tous les pays signataires de la Convention des Nations Unies sur les droits de la Mer. Elle est chargée d’établir un « code minier » pour réglementer l’exploitation des fonds marins situés à plus de 200 mètres de profondeur. Depuis les années 1960, les minéraux présents sur le plancher océanique, cobalt, cuivre, manganèse, nickel… aiguisent les appétits des compagnies minières. Des nodules polymétalliques riches en minéraux reposent sur les dorsales océaniques et autres abysses. Des espaces considérées comme du « patrimoine commun de l’humanité » par l’ONU qui a créé une instance spécifique chargée d’élaborer un cadre légal pour l’extraction minière dans les grands fonds. Olivier Poivre d’Arvor, résume son rôle ainsi : Elle a été créée il y a 40 ans pour éviter que tout le monde aille gratter les grands fonds marins.
Depuis les années 1980, l’AIFM se réunit pour discuter de la réglementation à établir, au niveau juridique, technique et environnemental dans les eaux internationales. Elle lance aussi quelques missions d’exploration pour améliorer la connaissance technique et scientifique. Ces dernières années, la discussion a repris en intensité car des acteurs du secteur privé sont de nouveau intéressés pour se lancer dans l’aventure après avoir abandonné l’idée pendant plusieurs décennies, du fait de défis technologiques trop importants et d’une absence de rentabilité économique. The Metals Company, une entreprise canadienne a ainsi déposé une demande d’exploitation en 2021, soutenue par l’Etat de Nauru. Olivier Poivre d’Arvor le constate : Depuis deux ou trois ans, il y a une tentation très forte d’accélérer les négociations pour disposer d’un code minier.
Les avancées de la session 2024
L’intérêt renouvelé des grandes compagnies minières internationales a accru les enjeux autour de l’AIFM. Résultat, plus de délégations ont fait le déplacement en Jamaïque cet été. Pour la première fois de l’histoire de l’AIFM on arrive à un quorum
se félicite François Chartier qui constate également que le niveau de représentation politique n’a jamais été aussi élevé avec la présence du président des Palaos et de plusieurs ministres. L’ONG Greenpeace, qui s’oppose à l’exploitation et soutient le moratoire, a salué une dynamique pour protéger les océans de l’exploitation minière en eaux profondes
et un intérêt public croissant
pour le sujet. Néanmoins, si la discussion autour de la politique générale, qui ouvre la voie à la possibilité d’un moratoire, a bien eu lieu mercredi 31 juillet, elle n’a pas permis d’aboutir à une décision consensuelle.
L’autre actualité était celle de l’élection du secrétaire général de l’AIFM. C’est finalement la Brésilienne Leticia Carvalho qui a été élue en remplacement du Britannique Michael Lodge qui briguait son troisième mandat. Cette élection est plutôt une bonne nouvelle pour les opposants aux projets miniers puisque l’océanographe est réputée être pour le moratoire quand son prédécesseur a été accusé de collusion avec les grandes industries minières. Elle prendra son poste en janvier 2025.
Un code minier pour 2025 ?
L’objectif initial de parvenir à un accord pour un code minier dès 2025 semble s’éloigner de plus en plus. La discussion sur la politique générale a bien eu lieu mercredi 31 juillet. Elle ouvre la voie à une possibilité de moratoire… Ou à un code minier mais à grand renfort de compromis. François Chartier, estime lui qu’ «
une course de vitesse s’est enclenchée entre les deux camps. » Les choses pourraient se jouer avec la Conférence sur les Océans prévue à Nice en juin 2025. Avec le renfort de cinq nouveaux pays, la position défendue par la France ne s’est jamais aussi bien portée.
Source: ouest-france