DONIA, UNE APPLICATION POUR SAUVER LES HERBIERS MARINS

En Méditerranée, l’essor de la plaisance fait des ravages sur la posidonie. Cette plante aquatique est indispensable à tout l’écosystème, et capture plus de CO2 que les forêts du monde entier.

« La posidonie n’est pas une algue, mais une plante à fleurs sous-marine », recadre patiemment Florian Holon. Le directeur général d’Andromède Océanologie communique ainsi son attachement à cette plante endémique de la mer Méditerranée. Et, après son exposé, on ne peut que partager ses préoccupations. La posidonie recouvre 34 % des fonds marins le long des côtes françaises, un chiffre qui grimpe à 66 % autour de la Corse. « Elle est la source de la vie telle qu’on la connaît en Méditerranée, poursuit Florian Holon, elle permet l’oxygénation de l’eau, elle fournit abris et nourriture aux poissons. » Et pourtant, elle a perdu 10 % de sa surface au cours du dernier siècle. Bien que protégée par la loi, la posidonie est plus que jamais menacée par l’activité humaine, et notamment par les bateaux de plaisance, toujours plus gros et plus nombreux, qui viennent s’arrimer dans ses champs. En tournant sur leur ancre, ces navires peuvent arracher avec leur chaîne des dizaines de mètres carrés d’herbiers, laissant de longues traces, quasi-indélébiles, derrière eux. Ces cicatrices ne se refermeront au mieux qu’au bout d’un siècle, si la plante n’est pas déjà morte.

Or, c’est la posidonie qui rend l’eau méditerranéenne si claire, qui stabilise ses magnifiques plages et les protège de l’érosion, qui permet la diversité de sa faune tant appréciée par les plongeurs… Selon Florian Holon, les dégâts infligés à la posidonie coûtent 580.000 euros par hectare à la France, soit 4 milliards d’euros par an. Une étude de 2012 de la Florida International University montre en outre que ces plantes, dont certaines sont âgées de dizaines de milliers d’années, captent bien plus de carbone que les forêts du monde. Un écosystème qu’il faut donc impérativement préserver.

Plongeurs et biologistes passionnés
Sans surprise, c’est Andromède Océanologie qui a décidé de s’attaquer au problème. Créé en 2000 sous forme d’association par Laurent Ballesta et Pierre Descamps, biologiste et plongeurs, ce repaire de passionnés de la mer s’est fait connaître du grand public par sa série de documentaires sous-marins, Gombessa, qui illustre leurs expéditions par des images à couper le souffle. « C’était le but de l’association à l’origine : marier la science et l’image autour du milieu marin », raconte Florian Holon. Pour élargir ses moyens et son champ d’action, l’association devient en 2008 une entreprise basée dans l’Hérault. Ses missions sont multiples : exploration, surveillance des écosystèmes côtiers, études d’impact, assistance à maîtrise d’ouvrage, restauration écologique… Elle emploie désormais 14 personnes pour un chiffre d’affaires de 2,5 millions d’euros.

Andromède Océanologie travaille notamment avec des institutions publiques, comme l’Agence de l’eau Rhône-Méditerranée–Corse ou le Parc naturel marin du cap Corse et de l’Agriate, mais aussi avec des entreprises privées comme Bouygues. Elle a ainsi mené avec le géant du BTP des travaux compensatoires sur l’extension en mer de Monaco, en réalisant avec succès la plus grande opération de transplantation d’herbiers de posidonie à ce jour. Son savoir-faire lui a permis de se faire connaître autour de la Méditerranée : elle effectue des missions en Tunisie, en Sardaigne, en Sicile, en Grèce…

La première cartographie des fonds marins méditerranéens
Mais l’une de ses plus grandes réussites réside dans la mise au point, en 2014, de la première carte continue des fonds marins sur les côtes méditerranéennes françaises. Pour ce faire, Andromède Océanologie a mené, pendant plus de dix ans, un véritable travail de fourmi sous-marine. « C’est très fastidieux, confirme Florian Holon. Nous mobilisons cinq personnes à temps plein, qui partent en mer pendant au moins six mois, pour mettre à jour ces cartes. » Les plongeurs utilisent un sonar latéral embarqué pour cartographier les fonds marins, afin de déterminer leur relief et leur nature : roche, sable, herbiers morts ou herbiers de posidonie. Mais cela ne suffit pas : pour vérifier de visu la justesse de leur échographie, les équipes doivent s’immerger toute la journée, tractées par leur navire. « Une journée permet de cartographier 20 kilomètres sous l’eau », explique Florian Holon. Les informations récoltées sur le terrain sont complétées par des images satellites et des données bathymétriques.

En tout, Andromède Océanologie a cartographié plus de 650.000 hectares sur les côtes françaises, en Corse, en Ligurie, au Capo Carbonara et autour de plusieurs îles : Baléares, La Galite, Zembra et Tavolara. Cette compilation a permis à la société d’évaluer les pressions subies par l’écosystème marin, notamment du fait de l’homme. « C’est à la suite de ces observations sous l’eau que nous avons constaté la dégradation des herbiers de posidonie », déclare Florian Holon. Les équipes d’Andromède Océanologie décident de réagir en développant une application à partir de 2013. « Mais ce n’était pas vraiment notre cœur de métier, précise le directeur général. Ce n’est que récemment que nous avons réussi à avoir une version stabilisée. »

Le Waze de la navigation maritime

Les plongeurs d’ Andromède ont cartographié plus de 650.000 hectares de fonds marins en Méditerranée. Photo : DR
Cette application mobile, nommée Donia, est désormais complètement gratuite avec la fin programmée de l’option premium. Elle permet à l’utilisateur de savoir quelle est la nature du sol sous-marin qui se trouve sous son navire, avec une précision de dix mètres. Ainsi, le navigateur peut éviter de jeter l’ancre au cœur d’un herbier, et choisir avec plus de soin sa zone de mouillage. « Notre application va devenir d’autant plus nécessaire que la préfecture interdit depuis 2019 aux navires de plus de 24 mètres de mouiller au-dessus d’un herbier de posidonie », indique Florian Holon. L’application compte désormais 18.000 utilisateurs actifs de tous horizons, du plaisancier au pêcheur en passant par les gestionnaires de parcs. Selon ses calculs, Donia a permis en 2020 la préservation de 3,26 hectares de posidonie, contre 1,77 hectare en 2019.

Afin d’augmenter son audience et donc son impact, l’application ambitionne de devenir l’équivalent de Waze pour la navigation maritime. Outre son service de cartographie, elle délivre de nombreuses fonctionnalités : plateforme communautaire pour permettre aux utilisateurs d’échangeur leurs bons plans, leurs observations ou leurs photos, description des zones de mouillage (restaurants, wifi…), des spots de plongée, indication des réglementations en vigueur, alarmes pour éviter le dérapage des bateaux à l’ancre, antivol, données météorologiques… L’application peut ainsi déterminer si un mouillage est sûr pendant les 72 prochaines heures tout en collectant des données pour de futures études de sciences participatives.

Et de nouvelles améliorations sont au programme. « Nous allons poursuivre la simplification de l’outil et développer encore le lien terre-mer, précise Florian Holon. Nous voulons aussi la rendre rentable en la développant sur le pourtour méditerranéen. Mis à part aux Baléares, il n’y a aucune application comme la nôtre. » On ne peut que souhaiter bon vent à cet outil, capable de guider le navigateur en préservant l’écosystème marin.

Source : Les Echos Planète