Des délégués quittent des négociations à la COP15

 

Signe de la difficulté de parvenir à un accord à la conférence des Nations unies sur la biodiversité (COP15), des délégués de pays en développement ont quitté la nuit dernière une séance de négociations qui portait sur le financement nécessaire pour mettre en oeuvre l’entente qui doit être signée à Montréal dans les prochains jours.

« Il y a toujours des enjeux à régler. Mais l’enjeu qui semble avoir précipité la sortie des délégués est celui de la création d’un nouveau fonds sur la biodiversité », a fait valoir mercredi matin le porte-parole de la Convention sur la diversité biologique, David Ainsworth.

Il a précisé qu’une rencontre sera organisée mercredi par la présidence chinoise de la COP15 pour tenter de ramener les délégués à la table de négociations sur cet enjeu crucial pour tenter de parvenir à un accord mondial sur la protection de la biodiversité d’ici le 19 décembre.

La question du financement est en effet au coeur des enjeux qui demeurent à régler au cours des prochains jours, a indiqué mercredi Basile Van Havre, coprésident du groupe de travail sur le cadre mondial de la biodiversité pour l’après-2020. L’impasse actuelle devra d’ailleurs être dénouée par les ministres chargés de peaufiner le texte de négociations, et ce, entre le 15 et le 17 décembre, a-t-il précisé.

 

100 milliards $

 

Il faut dire que la mise en oeuvre d’un cadre de protection de la biodiversité nécessitera des dizaines de milliards de dollars de financement au cours des prochaines années. Essentiellement, il s’agira de financement qui devra être fourni par les pays développés aux pays en développement pour leur permettre de respecter les objectifs de l’entente.

Le Brésil a réitéré samedi, au nom du continent africain et de 14 autres pays, dont l’Inde et l’Indonésie, leur demande de « subventions financières d’au moins 100 milliards de dollars par an, ou 1 % du PIB mondial jusqu’en 2030 ». Mais cette hausse attendue du financement est jugée irréaliste par les pays riches, pour qui l’aide au développement consacrée à la biodiversité représentait 10 milliards de dollars par an en 2020.

Pour accueillir ces sommes, le Brésil et ses alliés dans ce dossier réclament aussi la création d’un nouveau fonds mondial consacré spécifiquement à la mise en oeuvre du futur accord mondial sur la biodiversité.

 On ne peut pas demander aux ministres d’Amérique latine, d’Afrique ou d’Asie de justifier l’adoption d’un cadre mondial, avec autant d’objectifs, sans preuve qu’il y a aura une façon d’obtenir du financement pour le mettre en oeuvre.

Ils ont d’ailleurs détaillé les raisons de cette demande mercredi dans une déclaration écrite. En rappelant que leurs territoires « abritent la majorité de la diversité biologique dans le monde », ils ont souligné que la « mobilisation des ressources » sera essentielle pour leur permettre de respecter les engagements en faveur de la protection et de la restauration des milieux naturels et de leurs espèces. « Notre groupe continuera de s’engager de façon constructive dans les prochains jours. Nous souhaitons un succès à la COP », ont-ils ajouté dans cette missive de deux pages distribuées aux médias.

Mais l’idée d’un nouveau fonds n’enchante pas les pays riches comme le Canada, le Japon et les membres de l’Union européenne, qui veulent privilégier une réforme des flux financiers existants. « La création d’un nouveau fonds pourrait prendre des années », a d’ailleurs mis en garde mardi le ministre canadien de l’Environnement Steven Guilbeault, invoquant les sept années passées à installer l’actuel Fonds mondial pour l’environnement.

 

« Solidarité »

 

Directeur de la diplomatie climatique au Réseau action-climat, Eddy Perez insiste sur l’absolue nécessité de régler la question du financement pour parvenir à une entente. « Il n’y aura pas de cadre mondial sur la biodiversité le 19 décembre sans financement », laisse-t-il tomber.

« C’est une question logique. On ne peut pas demander aux ministres d’Amérique latine, d’Afrique ou d’Asie de justifier l’adoption d’un cadre mondial, avec autant d’objectifs, sans preuve qu’il y a aura une façon d’obtenir du financement pour le mettre en oeuvre. On ne peut pas leur demander de prendre toute la responsabilité sur leurs épaules sans considérer des questions de base comme la solidarité internationale », fait-il valoir.

« Ce qui m’étonne, c’est de voir que les 27 pays de l’Union européenne et le Japon arrivent à Montréal en étant incapable de discuter du financement. L’ambition sur la vision est assez élevée, mais l’ambition sur le financement est très basse. Il y a un très grand manque d’écoute », déplore M. Perez.

Autre enjeu qui demeure à régler : la cible de protection de 30 % des milieux naturels terrestres et maritimes d’ici 2030. Selon Basile Van Havre, le dossier sera remis entre les mains des ministres, puisque pour le moment, les cibles et les échéanciers ne font toujours pas l’objet du consensus nécessaire pour être inscrits dans le texte final. Il n’a toutefois pas souhaité s’avancer sur l’idée que l’accord sur la biodiversité pourrait ne pas prévoir de cibles chiffrées en matière de protection des écosystèmes.

 

Risques

 

Spécialiste des enjeux de biodiversité au Fonds mondial pour la nature, Innocent Maloba a souligné mercredi le besoin de « rehausser l’ambition dans toutes les négociations » en cours, jugeant que celles-ci sont carrément sur le point d’éclater.

Certains groupes redoutent d’ailleurs un scénario similaire à celui de la conférence climatique de Copenhague, en 2009. À ce moment, les États n’étaient pas parvenus à conclure un accord mondial de lutte contre le réchauffement climatique, ce qui a eu pour effet de ralentir les efforts pendant plusieurs années.

Chose certaine, a rappelé mercredi le Fonds mondial pour la nature, le temps presse pour éviter le pire : un million d’espèces sont aujourd’hui menacées d’extinction, tandis que les océans sont mis en péril par la pollution et la crise climatique. En 2010, les 196 pays signataires de la Convention sur la diversité biologique de l’ONU s’étaient engagés à mettre en oeuvre des mesures, appelées « objectifs d’Aichi », pour freiner le déclin de la biodiversité à l’horizon 2020. Aucune des cibles n’a été atteinte et plus de 70 % des écosystèmes de la planète sont désormais dégradés tandis que plusieurs sont irrémédiablement perdus.

Source: LE DEVOIR