Derek Kelsall, l’architecte naval qui a inventé le trimaran moderne

 

Le monde de la course au large a perdu un de ses pionniers. L’architecte Derek Kelsall s’en est allé à 89 ans le 11 décembre 2022. Il restera comme l’homme qui a conçu le premier trimaran de course moderne et qui a développé la construction en sandwich. Retour sur l’histoire et le parcours d’un défricheur de la course au large.

 

Des origines rurales

 

Originaire d’une famille modeste, Derek Kelsall est né le 15 mai 1933 au pays de Galles. Son père, ouvrier agricole, et sa mère, institutrice, lui inculquent des valeurs traditionnelles. Étudiant, il intègre l’université de Bristol, mais ne parvient pas à aller au bout de son cursus par manque de finances.

Dans le cadre de son service militaire, il est déployé une année entière au Kenya. À son retour, il se lance dans l’industrie du pétrole en se faisant embaucher par BP.

Après ce début de carrière dans les pays du golfe Persique, il est envoyé sur une exploitation au Texas.

 

Une transat en course avec son premier multicoque

 

Derek et sa femme Clare
Derek et sa femme Clare

C’est à cette période, dans la mer des Caraïbes, que Derek s’initie à la construction et la manœuvre de multicoques. Disposant pour la première fois de sa vie d’un pécule lui permettant de devenir skipper, il construit un trimaran en contreplaqué de 35 pieds qu’il baptise Folâtre. Dessiné par Arthur Piver, ce trimaran est gréé en ketch et n’est pas équipé de lest, ce qui était pourtant la norme à l’époque.

Le trimaran Folâtre
Le trimaran Folâtre

Puis sur un coup de tête, et soutenu par sa jeune épouse Clare, Derek s’inscrit à la 2e édition de la Transat Anglaise en 1964 et prend le départ de la célèbre transatlantique entre Plymouth et Newport. Il se retrouve aux côtés de concurrents comme Francis Chichester et Éric Tabarly, qui le mentionne dans ses mémoires comme un  » séduisant ingénieur, dont le trimaran peut créer la surprise au portant par la route des alizées « .

Derek prenant la pose peu avant le départ de la Transat Anglaise 64
Derek prenant la pose peu avant le départ de la Transat Anglaise 64

À la faveur de conditions avantageuses, Folâtre prend un bon départ, mais brise son safran après cinq jours de course. Après avoir réparé à Plymouth, Kelsall reprend la mer et boucle le trajet en 34 jours, alors que Tabarly a passé la ligne d’arrivée en vainqueur après 40 jours de mer.

 

Le pionnier du trimaran océanique

 

Toria
Toria

Convaincu du bien-fondé et du potentiel d’un multicoque sur une course océanique, Kelsall met à profit sa formation d’ingénieur et conçoit Toria, un trimaran de 45 pieds. Visionnaire, Derek apporte à son multicoque pléthore d’innovations qui vont inspirer la course au large pendant plusieurs décennies.

Construit en sandwich sur une base de mousse Airex, Toria possède de longs flotteurs volumineux, reliés à la coque centrale par deux bras parallèles. Sa surface mouillée est réduite, car il navigue sur deux coques quand il est sous voile. Le microcosme des coureurs océaniques est sceptique au lancement de Toria, le monocoque étant encore préféré dans la culture européenne.

Tabarly est convié par Derek à naviguer sur Toria lors d’un convoyage au sud de l’Angleterre. A son retour en France, Tabarly est stupéfait par les performances du trimaran anglais et se lance dans la conception de Pen Duick 4. Mais pour des raisons de culture et de coût, il se tourne vers l’architecte français André Allègre pour dessiner ce trimaran en aluminium d’une longueur de 68 pieds. Kelsall regrettera longtemps de ne pas avoir été sollicité pour ce projet novateur.

La technologie de construction en sandwich-mousse, développée par Kelsall, intéresse Sir Thomas Lipton, qui le sollicite pour la construction d’un monocoque de 60 pieds pour s’aligner au départ de l’Ostar en 1968. En raison de plusieurs avaries, Derek finira à la 5e place de cette édition, qui a été remportée par Sir Thomas Lipton. Tabarly et son Pen Duick 4, victime d’une collision avec un cargo, devront rebrousser chemin.

 

1970-1980 : l’essor du trimaran de course

 

Three Leggs of Mann
Three Leggs of Mann

Au début des années 70, Derek rencontre de nouveaux succès dans la conception de trimaran, avec les lancements de Toria TriffleThree Legs of Mann et Trumpeter qui brillent sur les régates anglo-saxonnes. En 1973, il construit pour Chay Blyth le Great Britain 2, qui est le plus grand bateau en composite de son époque.

Dans les années 80, tous les coureurs océaniques se tournent vers le trimaran. Les projets affluent dans cette course à l’innovation, majoritairement trustés par les skippers bretons.

Trimaran VSD (© Jean-Luc Garnier / Revue Bateaux)
Trimaran VSD (© Jean-Luc Garnier / Revue Bateaux)

Face à la mainmise des « froggies », Kelsall dessine un trimaran de 52 pieds, VSD, avec lequel Eugène Riguidel et Gilles Gahinet ont remporté la Transat en double Lorient-Les Bermudes-Lorient en 1979, devant Marc Pajot et … Éric Tabarly.

William Saurin lors de son lancement
William Saurin lors de son lancement

Fort de ce succès, Riguidel maintient sa confiance dans l’architecte anglais en lui commandant un trimaran géant de 93 pieds, William Saurin, qui est le plus grand trimaran du monde à son lancement.

 

Une carrière dans la plaisance

 

Par la suite, Derek Kelsall a délaissé le microcosme de la course au large pour se concentrer sur la conception de bateaux de plaisance. Il conçoit de nombreux yachts et multicoques de croisière.

Le Kelsall 46
Le Kelsall 46

Il développe une technique de construction navale, le KSS pour Kelsall Swiftsure Sandwich, qui consiste à découper des panneaux plans en composite au lieu de les mettre en forme, améliorant ainsi la productivité des chantiers. Cette technique, qui a été utilisée pour la construction de petits ferries ou de yachts de croisière, ainsi que des productions de série comme le Space 55, le Suncat 40 et l’Islander 39 et des modèles plus grands tels que le 70 pieds My Way.

Le Kelsall 70
Le Kelsall 70

Une retraite active chez les kiwis

 

Après le décès de sa femme Clare, Derek se rend en Nouvelle-Zélande dans les années 90 afin de suivre la construction d’un catamaran de 72 pieds. Tombant amoureux du pays, il décide de s’y installer et d’y continuer son activité de concepteur naval. Il y donnera ses derniers coups de crayon avant de disparaître à 89 ans le 11 décembre 2022.