COP28 : plusieurs climatologues critiquent l’accord trouvé à Dubaï

Le compromis ouvrant la voie à l’abandon progressif des énergies fossiles adopté ce mercredi à la COP28 de Dubaï n’est pas uniquement salué positivement. Plusieurs climatologues s’affichent en effet sceptiques. Ils le jugent « peu convaincant » ou rempli de « promesses vides ». S’ils ne remettent pas en question la tenue d’un tel événement, ils préconisent une réforme de son fonctionnement.
 

« Historique ». Le terme a été utilisé à plusieurs reprises et par différents dirigeants du monde pour qualifier l’accord conclu ce mercredi 13 décembre lors de la COP28. Car, pour la première fois dans l’histoire des conférences sur le climat de l’ONU, il appelle à une « transition » vers l’abandon des énergies fossiles. Reste que ce texte « n’est pas vraiment convaincant », juge Michael Mann, climatologue et géophysicien à l’Université de Pennsylvanie.

« C’est comme promettre à son médecin d’abandonner les beignets alors qu’on est diagnostiqué diabétique », résume-t-il auprès de l’AFP, notant que l’accord ne comporte aucune date de sortie des énergies fossiles précise, ni indication sur l’ampleur des mesures à prendre par les pays.

Pour rappel, l’accord approuvé par consensus appelle le monde à « effectuer une transition hors » (« transitioning away » en anglais) des énergies fossiles. Mais il ne parle pas, comme le réclamaient plus d’une centaine de pays et nombre d’ONG, de « sortie » de ces énergies (« phase out » en anglais), ce terme faisant office de drapeau rouge pour certains États pétroliers notamment. Il comporte par ailleurs des failles pour les pays souhaitant poursuivre l’exploitation de leurs réserves d’hydrocarbures.

« Promesses vides »

L’expert n’est pas le seul à critiquer le texte approuvé à Dubaï. L’accord « est salué comme compromis, mais nous devons être très clairs sur ce qui a été compromis », insiste Friederike Otto, climatologue spécialiste de l’analyse du rôle du changement climatique sur certains phénomènes météorologiques extrêmes. « Les intérêts financiers à court terme de quelques-uns l’ont à nouveau emporté sur la santé, la vie et les moyens de subsistance de la plupart des habitants de cette planète », fustige-t-elle.

« Avec tous ces verbes vagues, ces promesses vides dans le texte final, des millions de personnes de plus se retrouveront en première ligne du changement climatique et beaucoup d’entre elles mourront », prévient-elle.

Un constat accablant partagé par Kevin Anderson, qui enseigne le changement climatique à l’Université de Manchester. « La physique se moque » des applaudissements des dirigeants, renchérit-il, estimant que le compromis de la COP28 « sonne le glas » de l’objectif +1,5°C, de l’ambitieux accord de Paris signé lors de la COP21. Si les émissions restent au niveau actuel, l’humanité n’a d’ailleurs plus qu’entre cinq et huit années avant de dépasser le « budget carbone » fixé pour maintenir le réchauffement climatique en-deçà de cet objectif. Et même si les émissions commencent à diminuer en 2024, il faudrait abandonner toutes les énergies fossiles d’ici 2040, pointe l’expert, et non d’ici 2050, comme évoqué dans l’accord au sujet de la neutralité carbone. Un « élément de langage frauduleux » selon lui. Quant à l’objectif moins ambitieux de +2°C, avec des impacts bien plus graves, il s’éloigne néanmoins lui aussi de plus en plus.

Continuer malgré tout

Tenir de tels événements internationaux a-t-il encore finalement du sens ? Oui, pour le climatologue Michael Mann. « Il ne faut pas y mettre un terme », plaide-t-il.

« Nous devons continuer à organiser des COP. Elles constituent le seul cadre multilatéral de négociation des politiques climatiques mondiales », abonde l’expert.

Pour aller plus loin, Michael Mann appelle à une réforme du fonctionnement des COP, pour permettre par exemple à ce que des décisions puissent être approuvées par une grande majorité de pays, malgré l’objection de nations productrices d’énergies fossiles. Car, selon les règles de l’ONU Climat, un seul pays peut objecter à l’adoption d’une décision à la COP. Lors de cette 28e conférence, il a donc fallu trouver les bonnes formulations afin que tous approuvent le texte. Ce qui a pris plus longtemps que prévu : elle aurait normalement dû se terminer un jour plus tôt mais, faute d’accord le 12 décembre, les négociations ont joué les prolongations.

L’expert appelle aussi à interdire à des dirigeants de pays pétroliers de présider les sommets à venir. Pour rappel, le président de la COP28, Sultan Al Jaber, est le PDG de l’entreprise pétrolière publique Abu Dhabi National Oil Company. Une nomination qui a toujours fait débat.

Source: La tribune