Comment sauver la Méditerranée ?

 

La Méditerranée est un pays, disait François Léotard. Il aurait pu dire, une patrie. Le constat est sans appel : la Méditerranée se meurt. Il n’est même plus nécessaire d’aligner chiffres et études, que ce soit l’ONU, l’Institut océanographique, les universités ou les pêcheurs, en dehors même de tout changement climatique, la Méditerranée est condamnée. Facile à comprendre, ses eaux se renouvellent en un siècle, elles se polluent tous les jours. Trop de monde. Trop de bateaux, trop de pêche, trop de fleuves qui charrient déchets, éléments chimiques et plastiques, trop de villes. Un tiers du commerce y passe. 245 millions d’habitants y vivent. Et autant de touristes. Et plus encore de conflits en germe.

Heureusement, on sait ce qu’il faut faire pour la sauver. Les solutions, elles sont partout.  C’est pour cela que nous accompagnons le Festival de la Méditerranée qui se déroulera du 01 au 03 juin à Ajaccio.

Pas la sobriété : l’investissement. Pas la décroissance : la croissance bleue. Pas la punition : l’invention.

Cela ne vient pas tout seul, évidemment. Il faut déjà que chacun prenne conscience de l’ampleur des problèmes. C’est presque fait : les enfants sont mieux informés que les parents. Il faut ensuite que les responsables politiques s’accordent pour changer les règles. Cela prend du temps. Et puis que les entreprises trouvent les ingénieurs, les chercheurs, les esprits innovants, qui au premier abord, vont d’abord vers les associations. Enfin il faut mettre tout ce bruit, tous ces talents, toutes ces idées venues en vrac ensemble, faire que chacun se rencontre, et faire la part de ce qui peut marcher et ce qui ne marche pas. Le Fonds HLD pour la Méditerranée a commandé un annuaire des associations, entreprises, projets, acteurs des solutions pour la Méditerranée. Car beaucoup agissent, mais peu savent qui fait quoi. Essayer, échouer, modifier, recommencer, réussir, dupliquer. 

Cela parait compliqué mais c’est assez banal : c’est la vie. Sauf que là : il faut l’appliquer dans l’urgence, pour cette chose ou cette déesse que nous connaissons peu et sans laquelle nous ne serions rien : la mer, et pas n’importe laquelle, la Méditerranée. Par où commencer ?

Par se rassembler et faire la fête

 

Les Méditerranéens échangent des rites, des chants, des langues, des idées, des familles, et se rassemblent sur les ports. Tous différents, tous semblables. Nous avons créé l’association « Sauver la Méditerranée », à quelques-uns, avec Jean-Bernard Lafonta, qui a lui-même créé le « Fonds HLD pour la Méditerranée », pour subventionner des projets, réunir élus, associations, entreprises, et agir, concrètement, en sélectionnant et en finançant des projets soutenus par le fonds HLD. D’où la création d’un « Festival de la Méditerranée », à Ajaccio. Il y a les enfants, avec le soutien du Rectorat, les scientifiques, les inventeurs, les entrepreneurs, les pêcheurs, les photographes, les réalisateurs de films, les journalistes, les badauds, des projections, des conférences, un village où seront proposés actions et solutions, les élus, ceux de la ville et ceux de la Collectivité, et ceux d’ailleurs : le festival aura lieu les 1er, 2 et 3 juin, en même temps que la saint Erasme (la fête des pêcheurs à Ajaccio), la fête de la Méditerranée et le moment de s’en soucier.

Le but n’est pas de créer un Festival, c’est de sauver la mer. On sait ce qu’il faut faire : trois degrés d’actions. 

Action au niveau international, parce que tout ce qui se passe au Nord va au Sud et réciproquement. Comme d’Est en Ouest. Bizarre qu’on l’ignore autant. L’idée de Nicolas Sarkozy de créer une Union Pour la Méditerranée était une idée forte. Elle a buté sur deux écueils. Le premier, l’Europe du Nord, notamment l’Allemagne, s’en sentait exclue, ou n’y voyait pas d’intérêt. Aveuglement stupide et criminel. Injuste aussi, puisque les pays de la Baltique se sont organisés, ont édicté des normes plus sévères que celles de l’Union Européenne en matière de pollution et développé des programmes de protection. Dernièrement encore, la création d’un gigantesque parc éolien en mer baltique, décidé par certains pays européens du nord (avec le soutien de la France) sera en partie financé par l’Union Européenne. L’Allemagne en tirera un grand profit. Ce qui est bon pour les pays du Nord est bon pour toute l’Europe. Ce qui aurait pu être fait en Méditerranée aurait été utile et bon pour toute l’Europe. Et ce qui sera fait sera nécessaire et plus utile encore. L’aveuglement de l’Europe en Méditerranée n’est pas qu’écologique ou financier, il est stratégique. La géopolitique est la deuxième raison de l’échec de l’Union Pour la Méditerranée. 

Beaucoup de pays méditerranéens sont en guerre, ou en conflit. Beaucoup sont des régimes policiers, autoritaires, menacés par des islamistes radicaux, ou par un besoin de démocratie. Beaucoup souffrent des perturbations de l’économie mondiale, pour l’eau, l’énergie, le commerce, les céréales. Une entente entre tous les pays riverains de la Méditerranée, au niveau politique, était et reste illusoire. C’est pourquoi l’Union Pour la Méditerranée, embrassant tout le champ politique, était vouée à l’échec. En revanche, une Union concentrée sur ce que tous ces pays ont en commun, la mer elle-même, seulement la mer, est possible. Puisqu’aucun ne peut vivre au bord d’une mer morte. Si le Nil devenait un égout à ciel ouvert, avec bientôt 100 millions d’Egyptiens sur ses bords, l’ensemble de la Méditerranée en serait le réceptacle. C’est pourquoi les initiatives prises par la région sud, qui a créé avec Renaud Muselier le Fonds Sud, d’un milliard d’euros, avec des ONG, des fonds européens, des investisseurs privés, a pu rassembler des compétences de tous les horizons en si peu de temps. Ce fonds finance des projets en Egypte, en Tunisie, -et dans la Région sud- qui se veut, du coup, modèle. Le Rhône ne déverse-t-il pas, lui aussi, ses déchets dans la mer ? Les usines de Fos, le port de Marseille, ne sont-ils pas responsables de pollution maritime jusqu’au cap corse ? La Camargue n’est-elle pas menacée ? Aussi la Région Sud agit-elle pour elle et bien au-delà d’elle, avec raison.  

S’unir pour la Méditerranée

 

S’il n’est pas possible d’unir les Etats méditerranéens sur l’ensemble des questions politiques, il est possible de les unir sur les questions écologiques de la mer. S’il n’est pas possible de réunir les Etats sur les questions écologiques (encore peut-on réunir les Etats européens, puis ceux du bassin occidental), alors il est possible d’unir les régions et collectivités locales de Méditerranée. 

De même que la région Sud, la Corse pourrait être en pointe sur ce sujet. Elle pourrait prendre l’initiative d’une Charte pour la Méditerranée (la Présidente de l’Assemblée y songe), qui fixerait des engagements des collectivités locales pour protéger la mer : protection du littoral, multiplication des aires marines, normes de pollution, zones de protection renforcée y compris au large, traitement des déchets, production électrique, fonds verts, facilités d’expérimentations, titrisation financière des gains futurs, car il faut aussi une nouvelle ingénierie financière pour investir dans la transition écologique.

Les sujets ne manquent pas. Chacun les traite un peu au fil de l’eau. Les communes italiennes ont de magnifiques exemples à montrer. Mais rien ne suffira si l’on ne se fixe pas des règles communes comme l’ont fait les pays de la Baltique. Tous les ports doivent avoir les mêmes règles, en s’alignant sur le plus propre. L’exemple des Baléares montre la destruction de sites envahis par des afflux incontrôlés. Bien sûr, à un moment, il faudra que les Etats s’en mêlent. Mais les initiatives doivent partir d’en bas : des citoyens, des élus des communes et des régions, des capitaineries, des chambres de commerce, des armateurs.  

A la fin, au niveau international, établir un règlement de copropriété de la Méditerranée par les pays riverains. Il n’y a que deux entrées de la Méditerranée. Penser la Méditerranée comme l’Océan Pacifique, avec un droit maritime qui n’est que côtier, est devenu une aberration. On le voit dans l’irresponsabilité que se renvoient les Etats à propos des migrants et des morts. Un nouveau droit international concernant la surveillance, les règles de navigation, les règles de sauvetage, les responsabilités des Etats et les responsabilités collectives, ainsi que le partage d’informations devrait voir le jour. C’est le cas pour la mer Caspienne, mer fermée, comme en fait la Méditerranée. En attendant ce jour, agir au niveau local. 

Les règles et les initiatives des communes et régions méditerranéennes suffiront-elles ? Certainement pas. Les solutions aux effets néfastes de la croissance économique, urbaine, démographique, viendront du système économique. C’est l’économie qui sauvera l’écologie, et non l’arrêt de l’économie. Il y a une nouvelle économie qui apparait tous les jours dans le monde, avec ses aspects destructeurs – et créateurs. On vit les effets de la révolution digitale, on devine ceux de l’intelligence artificielle, on espère ceux de la transition écologique. C’est-à-dire la production d’énergie autrement que par les hydrocarbures. 

 

Un pari géopolitique

 

C’est le grand pari géopolitique européen : comment, en dehors de toute considération sur les émissions de CO2 et leur effet sur le climat, se rendre indépendant en matière énergétique ? Solaire, éolien, nucléaire, hydrogène vert, géothermie ? Les investissements sont considérables, parce que les besoins sont considérables et les incertitudes plus nombreuses qu’on ne l’affirme. Il y aura des échecs, coûteux. Et la Méditerranée ? Toute une branche de la nouvelle économie, l’économie verte, est bleue. Il y a la géothermie (la Guadeloupe va doubler sa production électrique géothermique, en Corse, en Sicile, en Crète, en Grèce, les eaux chaudes sont connues depuis l’empire romain), il y a la maréthermie. Pour prendre l’exemple de la Corse, non seulement il est possible, compte tenu de la géologie, d’imaginer des puits de production géothermique, mais il est aussi (c’est expérimenté à Propriano) possible d’utiliser la différence de chaleur entre la surface de l’eau et l’eau profonde. Toutes les îles sont un problème énergétique. Toutes les rives ont un problème d’eau. L’économie de l’eau n’en est qu’à ses débuts. Comme celle des biodéchets et du recyclage. L’eau est aussi essentielle aux pays de la Méditerranée que le pétrole. Le prix de l’huile d’olive espagnole, en raison des pénuries d’eau, a été multiplié par plus de deux en deux ans.  

Les expériences, du côté des associations, comme du côté des groupes industriels foisonnent. Tous les ports ont des problèmes de production électrique et de propreté. Ajaccio se veut en pointe sur le sujet. Pas seulement pour nettoyer, avec des robots qui amuseront enfants et passants, mais aussi pour faire revivre les poissons et toute la chaîne de biodiversité. La Corse est le deuxième centre d’Europe d’espèces endémiques, derrière le Caucase et devant la Sardaigne. Bref, une science, une recherche, une économie nouvelle se mettent en place. Elle est la clé du futur.

BaroMed

 

Le Festival de la Méditerranée présentera deux expériences. La première, théorique, celle « des » Futurs de la Méditerranée. La nouvelle Chaire de l’Université de Corte, « Devenirs de la Méditerranée », tenue par Sébastien Quenot, créée sous le parrainage de l’Unesco, imaginera, avec les participants, quelques futurs. Prévisibles, et imprévisibles. Ni l’explosion de Santorin, ni la philosophie grecque, ni l’arrivée de la tomate n’était prévisibles.

La deuxième sera le lancement du BaroMed, à l’initiative du Fonds HLD pour la Méditerranée, avec le soutien de la ville d’Ajaccio (et de l’engagement personnel du maire, Stéphane Sbraggia), de la Collectivité de Corse et de l’ADEC (et de l’engagement personnel de Gilles Simeoni et d’Alexandre Vinciguerra). Qu’est-ce que le BaroMed ? Le baromètre de la santé de la mer. Il recueillera les données sur l’eau, comme on le fait pour les rivières, comme on le fait pour l’air dans les villes. Les données sont nombreuses, et rares à la fois. Nombreuses parce que beaucoup d’instituts et de scientifiques font des relevés. Rares parce que la mer est immense et profonde. 

Y manque, dès qu’on s’éloigne de la côte, le fond marin. Aussi le BaroMed sera-t-il lancé avec un outil spécial, un bateau qui plonge en partie dans l’eau, afin de photographier les fonds marins : Le Platyplus, conçu par François-Alexandre Bernard. Un drôle de bateau, partie sous-marin, partie trimaran.  L’expédition « Blue Odyssey Corsica » partira d’Ajaccio le 3 juin et y reviendra fin juin, après plusieurs escales dans les ports corses et une campagne de relevés. Ce sera une première. Au fur et à mesure du temps et des efforts, la cartographie des fonds marins et les analyses de l’eau à différentes profondeurs permettra d’évaluer la santé de la mer, en Corse, en premier lieu, puis  sur toutes les côtes de la Méditerranée. 

Pour trouver les bonnes solutions, il faut de bonnes évaluations et de bonnes expertises. Tel est le but de ce Festival. Trouver des solutions, à partir de la vraie vie, à partir d’initiatives qui viennent de tout bord, à partir de rêveries. Un des invités du Festival n’est-il pas Jacques Rougerie : l’architecte des » villes sous la mer », mondialement connu ? Il n’y a pas beaucoup d’endroits sur cette planète qui abrite autant de biodiversité que la Méditerranée, disent les scientifiques (en fait, il n’y en a pas). Il n’y a pas non plus beaucoup d’endroits où furent inventés tant de théories et de langues différentes, tant de monuments et croyances, tant de littératures et de sciences. Toutes œuvres d’imagination. Une fois les solutions imaginées, il suffit de les appliquer. Auparavant, regarder ce qu’a imaginé la mer elle-même : le Festival projettera, sur le port, aux yeux de tous, plusieurs films exceptionnels comme « Méditerranée, l’odyssée pour la vie », les extraits de « Mediterraneo » de Via Stella, des photos exceptionnelles prises à soixante mètres, de nuit, de Pierre-Jean Beaux… Toutes ces images qui montrent que si l’imagination du vivant est sans borne, celle des hommes devrait être capable de l’imiter, pour sauver la Méditerranée.

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