Comment les méduses ont conquis l’océan
4 juillet 2025
4 juillet 2025
Les méduses sont bien connues pour leur capacité à se multiplier en masse et à influencer les écosystèmes côtiers. Mais ce que l’on sait moins, c’est qu’elles ont des cycles de vie très variés et parfois surprenants. Chez beaucoup d’espèces, le cycle de vie alterne entre deux formes:
– Un polype, une forme benthique, qui reste fixé au fond de la mer.
– Une méduse, qui nage librement dans l’eau.
C’est le cas par exemple des méduses Aurelia ou Rhizostoma, fréquentes sur les côtes européennes. Mais certaines espèces ont évolué différemment: elles ont complétement abandonné la phase benthique pour vivre entièrement dans la colonne d’eau. Ce mode de vie, dit holoplanctonique, se retrouve chez de nombreuses espèces, telles les méduses du genre Pelagia ou chez les siphonophores.
Les facteurs écologiques et évolutifs à l’origine de cette diversité des cycles de vie n’avaient encore jamais été étudiés. Cette lacune vient d’être comblée dans un article publié dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS).
Pour cette étude, les scientifiques ont exploité les données de l’expédition Tara Oceans (2009-2013) qui a collecté des échantillons dans toutes les régions du globe.
Grâce à la combinaison des données génétiques, des mesures environnementales et des analyses évolutives, les chercheurs ont découvert que le mode de vie holoplanctonique est apparu au moins huit fois dans différents groupes de méduses, de manière indépendante, et ce, depuis plus de 100 millions d’années dans certains cas. Ces évolutions ont pris plusieurs formes:
– Certaines espèces ont complètement perdu la forme polype, fixée au fond marin.
– D’autres ont vu leur polype se transformer en forme flottante, dérivante ou parasitant d’autres organismes planctoniques.
Chaque fois ce changement a été lié à un passage des côtes vers le large, confirmant une hypothèse proposée par Ernst Haeckel au XIXe siècle.
L’étude a montré que les espèces holoplanctoniques sont plus abondantes et plus largement réparties que celles qui conservent une phase fixée. Elles sont notamment plus fréquentes dans les océans tropicaux et subtropicaux dans des eaux profondes et claires. Fait remarquable, ce sont souvent ces espèces totalement planctoniques qui dominent, y compris près des côtes.
Pour mieux comprendre leurs rôles écologiques, les scientifiques ont examiné l’interactome du plancton à l’aide de bases de données qui permettent de cartographier les interactions potentielles entre les organismes planctoniques. Ils ont observé que les méduses avec une phase fixée occupent des positions centrales dans ce réseau, ce qui signifie qu’elles interagissent de façon plus spécifique avec d’autres espèces. A l’inverse les méduses holoplanctoniques semblent plus flexibles: elles s’adaptent plus facilement et participent à une plus grande variété d’interactions.
En résumé, ces travaux montrent que le cycle de vie des méduses a un impact important sur leur présence dans l’océan et sur leur rôle dans l’écosystème. En abandonnant leur phase benthique, certaines espèces ont conquis des zones immenses devenant des acteurs dominants dans l’écosystème marin.
Cette étude souligne la nécessité d’accorder une plus grande attention aux espèces holoplanctoniques afin d’évaluer l’impact, l’abondance et l’évolution future des méduses dans l’océan. A l’heure du changement climatique et de la pression humaine sur les océans, il est important de comprendre comment les méduses s’adaptent afin de prévoir quelles espèces vont prospérer à l’avenir et lesquelles risquent d’être en difficulté.