Climat : les courants marins de l’Atlantique sont-ils à un point de bascule ?

Une étude publiée dans la revue «Nature» apporte des éléments qui confirment une déstabilisation de la Circulation méridienne de retournement Atlantique (Amoc) à cause du dérèglement climatique.

Des hivers plus rudes en Europe du nord (jusqu’à 10°C de moins au nord de la Norvège), une montée du niveau des eaux sur la côte Est de l’Amérique du Nord, des modifications des régimes de moussons de l’Amérique du Sud, à l’Inde en passant par l’Afrique… Voici les perturbations climatiques qui pourraient avoir lieu si la Circulation méridienne de retournement Atlantique (Amoc), un ensemble de courants marins de cet océan qui côtoie la France, continuait à se déstabiliser. Si nous ne sommes pas encore arrivés à ce scénario catastrophe, une étude publiée le 5 août dans la revue scientifique Nature Climate Change suggère néanmoins que l’Amoc se rapproche de son point de bascule.

D’abord, l’Amoc, c’est quoi exactement ? La Circulation méridienne de retournement Atlantique constitue un ensemble de courants marins qui circulent dans l’Atlantique Nord, le long des littoraux américains, de ceux d’Europe de l’Ouest jusqu’aux mers nordiques de Scandinavie, d’Islande et du Groenland. Abusivement assimilé au Gulf stream qui fait partie de cet ensemble mais n’est qu’un courant précis au large de la Floride, l’Amoc s’exprime donc comme le débit d’un énorme fleuve qui s’élèverait à environ 20 millions de mètres cubes par seconde. Quelle influence sur le climat ? «L’Amoc joue un rôle de thermostat de la planète car il transporte de la chaleur des tropiques vers les hautes latitudes», explique le chercheur au CNRS, Didier Swingedouw. Il contribue ainsi à réguler la température du globe.

Une publication de 2018 de la même revue suggérait déjà que l’Amoc était en train de ralentir, et ce depuis les années 50. «Nous avons détecté un phénomène de refroidissement des eaux au sud du Groenland, avec, en parallèle, un réchauffement inhabituel le long de la côte nord-américaine. C’est l’empreinte de l’affaiblissement de ces courants océaniques», expliquait alors à Libération Levke Caesar, l’une des auteurs de l’étude.

Réchauffement climatique

Ce dont traite le récent article, c’est un changement de l’état moyen des courants. «Mes résultats suggèrent que l’Amoc a perdu une partie de sa stabilité en parallèle du déclin de sa force de circulation globale. Elle a ainsi évolué vers ce seuil critique lors duquel elle pourrait basculer de son mode de fonctionnement fort vers son mode faible», éclaircit Niklas Boers, l’auteur principal de la nouvelle étude. Ce qui inquiète surtout avec ce basculement est sa rapidité qui serait sans précédent. Attention, «des déclarations telles que «le Gulf Stream est sur le point de s’effondrer» sont fausses», précise le climatologue à l’Institut de recherche de Potsdam (Allemagne).

Récapitulons : l’Amoc s’approche donc d’un point de bascule. Mais à quoi est-ce dû ? Evolution naturelle ou réchauffement d’origine anthropique ? «Une partie de la variabilité de l’Amoc est assurément naturelle, détaille Niklas Boers. Mais son déclin au cours du siècle dernier est considérablement prononcé et s’accompagne, d’après mon étude, d’une perte de stabilité. Cela s’accorde bien avec l’idée d’une responsabilité de l’augmentation des températures atmosphériques causées par le réchauffement climatique d’origine humaines.»

Sécheresse permanente au Sahel

Le détraquement de l’Amoc s’explique ainsi en partie par des températures plus élevées dans les tropiques. Il est également dû à la fonte des glaciers groenlandais : dans deux régions de l’Atlantique Nord (la mer du Labrador et les mers nordiques), l’Amoc réalise une convection en hiver, c’est-à-dire la plongée des eaux de surface à 1 000-2 000 mètres de profondeur qui repartent vers le Sud. Ce retournement est permis car ces eaux de surface, plus denses, sont plus salées et plus froides. Or elles devraient se réchauffer, dans les prochaines décennies, et perdre en salinité. En cause, donc, l’eau douce de l’écoulement glaciaire.

Quelles conséquences sur la planète ? Au-delà des dérèglements mentionnés plus haut comme la baisse des températures en Europe (modérée en Europe centrale mais drastique au nord), Didier Swingedouw évoque, entre autres, un «effet sur les tempêtes hivernales en Amérique du Nord» ainsi qu’une sécheresse accrue au Sahel. «Pour l’Afrique de l’Ouest, certains modèles suggèrent des états de sécheresse permanente», souligne même Niklas Boers.

Source : Libération